H2G (Hand of God game)

Gérard Dargenson

Le jeu de la main de Dieu CHAP 2

L'ENLACEMENT DES JUSTES

La mère, je l'ai attendue jusque tard dans la soirée, les petits dînés couchés, elle a fini par m'avertir par SMS qu'elle serait en retard. Enfin, Annie qui a engendré ces geek-zombies chéris, est rentrée. Il paraît qu'elle a grignoté et parlé longuement avec des collègues. Si ça continue, bientôt elles iront voir des matches de foot entre copines. Évidemment on s'est fait un peu fait une scène, ses yeux brillent. Je n'aime pas quand elle pleure, les larmes, ça n'embellit personne.

Elle est la première que j'ai rencontrée qui conjugue presque les deux qualités magiques féminines : belle et élégante, jolie et sexy en même temps, comme si avait pu exister une chimère de BB et Catherine Deneuve, de Marylin et Lauren Bacall dans « Le port de l'angoisse », bref une créature formée de toutes les déesses réunies. Je dis “presque'' parce que bien sûr on ne peut pas être parfaite dans les deux créneaux. Ma chère épouse est un peu plus “classe et élégante'' que “mignonne et sexy''. Tant mieux, c'est la catégorie qui vieillit le mieux.

— Tu laisses trop les garçons jouer sur les écrans, proteste Annie qui rengaine ses larmes et reprend un sujet de dispute rassurant. Et puis c'est quoi ce truc de les appeler par leurs pseudo, ces enfants ont des prénoms il me semble. En plus je n'aime pas trop voir le dénommé Haxe dans le film, ce gamin je le sens pas bien. Et puis il est un peu trop âgé pour nos enfants.

— C'est pas plutôt sa mère que tu ne sens pas bien ? Ou tu es jalouse parce que ce gamin est d'une beauté exceptionnelle ?

— Exceptionnelle, il est mignon d'accord, mais nos enfants sont beaux aussi !

— Oui, mais Haxe avec ses cheveux bouclés comme un pâtre grec, ses lèvres pulpeuses de fille et ses longs cils, une vraie gueule d'ange. Dommage que ce soit pas une demoiselle !

— Je t'en prie, c'est un gamin !

— Il ne le sera pas éternellement, un jour il aura vingt ans aussi. Pour en revenir à notre débat, je te rappelle qu'on a contingenté l'accès aux écrans. D'ailleurs, pour les dérogations c'est toi qui cède.

— Quand je suis complètement épuisée, comme ce soir par exemple !

— Bon, cela dit, il faut bien qu'ils vivent dans leur époque les gosses.

— Oui mais trop c'est trop ; hier le petit a encore crisé parce que on l'a interdit d'écrans un moment. Il se roule par terre, carrément.

— Oui, mais trois minutes après il oublie et il passe à autre chose. Et puis ta fille, entre son portable, les téléfilms, ses piles de Manga et de bouquin fantasy, elle est ailleurs aussi.

— Cépapareil, elle apprend la vraie vie.

— Pour parfaire son éducation, va falloir lui donner des cours de mauvaise foi en plus ! D'ailleurs, je suis sûr qu'elle est très douée pour ce sujet, c'est sûrement héréditaire de mère à fille cette aptitude. Et c'est reparti pour la grande scène conjugale.

Annie au bord des larmes :

— Je te déteste quand tu es comme ça, tu veux qu'on se sépare ? Faut se préparer à souffrir ?

— Souffrir ? Une douzaine de mois environ.

— Comment ça une douzaine de mois ?

— On est ensemble depuis douze ans à peu près. Le tarif c'est un mois de souffrance par années passées en couple ; avec atténuation progressive.

— T'es vraiment con ! Je me demande ce que je fais avec toi, un vieux en plus !

— Comment ça un vieux ? On a à peine un peu plus de vingt ans d'écart. De toute façon il faut bien ça pour pas se faire bouffer par des créatures de votre espèce !

Elle m'a enfin rejoint enfin dans le lit, pour me tourner le dos. On s'endort chacun de son côté, épuisés par les journées travail-enfants et pour ainsi dire « séparés de corps », appellation qui définissait autrefois une fin de vie conjugale juridiquement constatée mais non sanctionnée par un divorce. Souvent pourtant, Annie me dit : « donne-moi ton dos s'il te plaît » et elle vient se coller contre moi pour s'endormir. Dire qu'au début nous avions connu chaque nuit « l'enlacement des justes ». En ce temps-là, quand le sommeil nous saisissait, elle s'insérait dans mes bras comme une prisonnière viendrait se faire ligoter. Puis elle restait sans bouger, en caressant seulement mon dos pendant que je lui prodiguais des caresses de la tête aux fesses pour finir par poser ma main sur sa joue, et alors elle s'endormait. Durant la nuit parfois elle se retournait, mais venait se mouler à nouveau dos contre moi, je la reprenais dans mes bras et d'une main je caressais doucement son ventre. Puis elle se réveillait encore, se tournait à nouveau face à moi et toute la nuit elle alternait ainsi ses poses mais sans jamais se lasser d'être dans mes bras, nouant et dénouant l'enlacement des Justes. Elle était littéralement collée à mon corps, me laissant juste une petite place au bord du lit. Je lui avais demandé :

— On dirait que tu as beaucoup de manque de tendresse à rattraper.

— C'est exactement cela !

— Mais ton ami ne te touchait pas ?

— Il n'était pas très caressant.

— C'est un pêché de ne pas caresser une belle fille comme toi !

— De toute façon je ne voulais pas. — Pourquoi ? Ah oui, parce qu'il avait une idée derrière la tête ?

— Oui, et moi je ne voulais pas.

— Ce sont les caresses désintéressées qui font naître le désir.

— Oui. Et puis, quand il me prenait dans ses bras, il me faisait mal ; dès qu'il me touchait j'avais mal. Pourtant je l'aimais bien mon ami, mais sur ce plan, ça ne marchait pas. C'est pour ça que j'ai fini par le quitter.


Son corps s'accouplait exactement au mien pour dormir étroitement enlacés, jusqu'à accomplir une véritable performance physique. Nous étions capables de rester serrés l'un contre l'autre pendant toute une nuit sans aucun inconfort et quand on s'éveillait à moitié, tout de suite on se caressait tendrement puis après avoir changé de position, nos bras, nos jambes et nos corps retrouvaient en quelques gestes harmonieux et sûrs les enlacements et les ajustements qui permettaient de se rendormir sans jamais se séparer. Je pensais au malheureux ex compagnon d'Annie, dont un simple geste était douloureux pour la jeune femme ; le corps a son intelligence et ses vérités. Il a ses raisons que la raison ne connaît pas, et le cœur encore moins. Et maintenant, à peine couchée, celle qui était finalement devenue la mère de mes enfants, épuisée par nos journées de travailleur et de parents, s'endormait et moi aussi. Voilà où on en est, quelle misère. Et pourtant, au début…

  • Le tête à tête viendra... en remontant dans le temps!
    Merci pour ce commentaire.

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Babylon couv

    Gérard Dargenson

  • Quelle misère? Même vos engueulades ont du charme et l'idée d'appeler les enfants par leurs pseudos c'est trop drôle de complicité père-enfants!!! Il manque peut-être juste un peu de temps en tête à tête, une invitation au restaurant, un week-end improvisé...

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Secret

    le_gallicaire_fantaisiste

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