HAD (5) : rencontre du 3ème type

blanche-dubois

Des tranches littéraires sur Dimitri, un homme inventé de toute pièce.

Dans l'ascenseur, seule, j'étais bien. J'avais l'impression d'être enveloppée comme un fœtus. Ces grands et rares moments d'exploration avec moi-même. J'avais la vie devant moi. Tout ce temps que je possédais, à ma disposition depuis que je vivais en solo. Je ne savais pas trop ce que j'allais faire. J'avais certes des ambitions mais je ne savais pas comment j'allais m'y prendre dans ce vaste monde qu'était Paris.

Arrivée au 6ème étage, je me retrouvais face à ma voisine de pallier, une toucouleure, qui attendait impassible. Comme à son habitude, elle me saluait sans aucun sourire, sans affabilité, ses sourcils parfaitement peignés, son boubou, sa stature très imposante de diva. Une jeune femme de ma génération mais un sacré physique. Elle me faisait penser à ma grand-mère noire. Ses yeux sombres me dévisageaient toujours comme si je m'étais plantée là, devant elle, venue de nulle part. J'entendai le bruit du poids de son corps faisant interagir l'ascenseur. Il poussa une sorte de grincement douloureux de ferraille. Elle maintint à quai la grosse caisse car je n'entendais rien de la ferraille avalant cette grande et grosse mama.  Sa porte à demie-ouverte, elle passait ses journées en prières, chants liturgiques et le soir à cuisiner pour tous les toutcouleurs de la cité universitaire. Cette solidarité communautaire qui ouvrait ma mémoire baignée de souvenirs nostalgiques. Ceux de ma famille, famille détricotée de partout par trop de rancœurs sous-jacentes depuis le décès de ma grand-mère. Elle aussi, cuisinait pour tout notre clan et même le voisinage. Instinctivement, je me retournais vers elle une fois pied sur le pallier. Elle commença comme si de rien n'était.

- Excuse-moi.

- Oui pardon ?

- J'ai une question à te poser.

- Laquelle ?

- Qui est ce blanc qui frappe fort tous les soirs à ta porte ?

- C'est mon voisin juste au-dessus de ma chambre

- Il est étudiant ou prof ?

-....

- Il t'importune ?

- Non.

- Alors pourquoi il crie d'ouvrir la porte à moitié saoul ?

- Je ne sais pas.

- Tu ne sais pas ? Alors pourquoi tu ne lui ouvres pas s'il ne t'embête pas ?

Je ne sais pas.

J'utilisais le « je ne sais pas » parce que j'avais beaucoup de mal à m'exprimer simplement. C'était idiot. Ma tête, bouillonnante de mots et de pensées arrivant de partout, m'empêchait de formuler quelque chose de compréhensible oralement. Ce cerveau que je commençais à débrancher quand j'eus mon premier enfant car il n'y a pas à réfléchir très longtemps devant son propre gosse. Je bégayais quand j'étais très fatiguée. C'était affreux. C'était fâcheux ma tendance à vouloir tout intellectualiser là où il n'y avait qu'à répondre, notamment devant une inconnue. J'aurais pu lui dire "Mêle toi de ce qui te regarde". Mais elle m'impressionnait.

Elle éclata de son rire, de son si beau rire franc, direct et honnête. Ce rire profond des grosses femmes noires et qui était aussi celui de ma grand-mère. Ce rire qui part de la gorge en passant par les entrailles et qui remonte. Elle m'observait beaucoup en vérité,  moi et les va et viens des types qui me tournaient autour. Quelques copains de fac ou de drague glanés dans les allées de la bibliothèque du centre Georges Pompidou. Je me demandais ce qu'elle pouvait penser de moi. Et je me demandais également  au même instant ce qu'aurait pensé ma défunte grand-mère.

- Il est amoureux de toi pardi !

- Non, il ne l'est pas. C'est un pécheur pour toi !

J'adulais dejà  Élisabeth 1er pour sa chasteté et son obstination ? Et au cœur de mon obstination, il y avait toi, Dimitri. Soudain, l'envie de solitude s'évanouit.

Signaler ce texte