Haifa-Jérusalem 1956 Ch.

loulourna

36-Haifa-Jerusalem 1956-Ch 35

L’arrivée à Haïfa d’un bateau de passagers était un événement important. Ce 9 septembre 1956, cela faisait plus de 4 heures qu’hommes, femmes et enfants agglutinés à la proue du Negba scrutaient l’horizon.

Un silence inspiré couvrait l’assistance. Une grande émotion planait sur les passagers. Puis il y eut un premier cri —Haïfa ! —, puis un deuxième et un troisième et puis tous en chœur, —Israël !, Israël !Heretz Israël ! Heretz Israël !

Le temps était suspendu et les quelques heures qui allaient s’écouler avant d’atteindre le quai du port de Haïfa étaient abolis par les passagers hypnotisés sous le soleil matinal qui auréolait ce qui semblait être un mirage ; une ligne blanche vibrante, prise en étau entre le ciel et la mer. Les plus émotifs essuyèrent quelques larmes. 2000 ans de drames s’effaçaient en un instant

Debout parmi la foule assemblée en bordure du quai, Judith triturait nerveusement son foulard. La voix altérée par l’émotion, elle regardait André,--- Dix ans que je n’ai pas vu Erna. Je n’osais espérer cet instant. Décidément, ici, il faut croire aux miracles.

Joseph avait promis de l’accompagner. Ils se faisaient une joie d’en profiter pour déjeuner à Haïfa et faire du shopping pour la naissance prochaine de leur bébé. Un contre temps de dernière minute le bloqua à Magdena. Il avait refusé de laisser Judith faire seule les 70 kilomètres de la route étroite et encombrée qui séparaient le kibboutz de Haïfa. André s’était proposé.

Il passait son temps à calmer Judith, --- Je comprends que tu sois contente de revoir ton amie mais pense un peu aussi à ton bébé.

Judith légèrement excédée,--- Mon bébé va très bien et Erna est plus qu’une simple amie. C’est ma sœur, je lui dois tout. À la fin de la guerre si je ne l’avais pas connue, je serais probablement une idiote illettrée et inculte.

André sourit,---Tu n’es pas illettrée, ni inculte.

---C’est ça fout toi de moi.

---Quel âge a-t-elle “” ta sœur “ demanda André en insistant sur le mot sœur.

Judith foudroya André du regard,--- Continue, continue, tout ça ce payera.

André insista, ---Bon ! blague a part, quel âge a Erna.

---Attends laisse moi réfléchir...elle a eu 20 ans au mois de juillet. Regardant André avec suspicion,--- Ne t’avise pas de lui faire la cour. Dès son arrivée je vais la mettre en garde et te présenter comme le plus vil coureur de jupons d’Israël.

--- J’ai vraiment autre chose en tête. je dois organiser le nouveau laboratoire de recherche agronomique. Je suis complet à temps plein.

Dubitative, Judith, toujours aussi soupçonneuse,--- Oui, oui, bien sûr.

André prit Judith dans ses bras et l’embrassa sur les deux joues.

— Je reconnais en toi une véritable amie.

Le navire rentra lentement dans le port et mit encore une bonne heure avant de se coller le long du quai. Judith chercha des yeux Erna parmi la foule compacte qui s’agglutinait au bastingage. André, sans la connaître, fut le premier à identifier ce qui pouvait être Erna : une jeune fille aux cheveux blonds accompagnée d’une femme sans âge solidement charpentée. La jeune femme faisait de grands moulinets des deux bras dans leur direction.

---Regarde à une vingtaine de mètres à gauche de la passerelle. Tu vois ? Judith dirigea ses yeux dans la direction indiquée par André et vit Erna et Amélia faire de grands signes. L’excitation était grande. Deux petites filles s’étaient séparées 10 ans plus tôt, certaines qu’elles ne se reverraient jamais et dans quelques minutes elles allaient pouvoir exprimer leur joie, se laisser aller au bonheur de leurs retrouvailles. C’est exactement ce qui se passa. Après les premières effusions et quelques mots en allemand, Judith, encore pleine de son émotion présenta André qui était resté en retrait. --- Tu m’as dit que tu étais bonne en Hébreu. Et bien c’est le moment de nous le montrer. André ne parle pas l’allemand.

--- Non ! non ! ne vous occupez pas de moi. Je me charge de vos bagages.

Assises toutes les trois dans le hall des arrivées elles se tenaient par la main sans rien dire. Leurs regards mouillés étaient suffisamment éloquents. André revint avec un chariot bourré de valises et après le passage rapide de la douane prirent la route de Tel-Aviv avant de bifurquer pour faire les soixante derniers kilomètres jusqu’à Jérusalem.

Quel changement avec les Ardennes, pensa Amélia. Au fur et à mesure qu’on montait dans la montagne, un paysage rocailleux, aride et jauni par le soleil défilait devant ses yeux. Le regard collé à la vitre, elle se demandait si elle supporterait ce climat. Elle soupira. Comme si elle lisait les pensées d’Amélia, Erna lui prit la main et lui sourit. Ce qui eu pour effet de l’apaiser. La voiture s’arrêta rue Rahel Ameinu devant une, maison de 2 étages de style colonial anglais, en pierre de Jérusalem, remarquable par ses tons ocre, orangé. Le propriétaire, le docteur David Marantz, avait vu venir la montée du nazisme, Il avait fui l’Allemagne en 1930. C’est en langue allemande qu’il accueillit chaleureusement ses locataires. Après avoir visité l’appartement, Monsieur Marantz les précédait sur la terrasse, véritable jardin suspendu: des bacs de sauges et de lychnis mélangeaient leurs fleurs jaune et rouge. Du sol grimpait un énorme bougainvillée qui venait recouvrir un muret protégeant ainsi ses occupants de l’indiscrétion éventuels des voisins. La vue sur l’angle sud-ouest des murailles de la vieille ville et le dôme du Rocher qui brillait dans le soleil couchant était impressionnante. On pouvait presque toucher les soldats jordaniens faisant les cent pas sur les remparts. Amélia s’était approché du bord de la terrasse et contempla le quartier, puis elle se retourna souriante vers Erna,---Je crois que je vais me plaire ici. Erna manifesta son soulagement,--- Ouf ! tu m’enlèves mon plus gros souci, je ne nous voyais pas retourner à Rheinfeld. Le contact entre Amélia et Monsieur Marantz s’établit immédiatement. En quelques mots ils s’aperçurent qu’ils avaient habité le même quartier à Berlin, lorsque lui jeune médecin pratiquait dans un dispensaire et qu’Amilia louait une petite chambre avant d’être engagé cher Monsieur et Madame Birnbaum.

--- Madame Feininger, vos meubles n’arrivent que dans quelques jours. Nous habitons au rez-de-chaussée, si vous avez besoin de quoi que ce soit, surtout n’hésitez pas. En attendant ma femme a installé deux lits et le nécessaire pour faire la cuisine. Elle n’est pas là pour le moment, elle viendra vous souhaiter la bienvenue un peu plus tard. André s’échinait à monter les valises et Judith téléphonait à Joseph pour le tranquilliser.

---Nous n’allons pas rentrer ce soir à Magdena. Monsieur Marantz nous propose de dormir chez lui.

—OK, fait attention au bébé.

Judith légèrement énervée répondit—Bien sûr. Et moi... je ne compte pas.

—Tu sais très bien que tu comptes, mais le bébé...

— Si tu ne me dis pas un mot gentil, je me fais avorter.

— Je t’aime. Prend soin de vous deux.

— Moi aussi, je t'aime. Nous prendrons la route demain matin de bonne heure.

André n’avait pas dit grand-chose pendant le trajet en voiture. Les femmes au bonheur de leurs retrouvailles n’avaient pas remarqué son geste. Il avait réglé le rétroviseur afin de pouvoir dévisager discrètement Erna. C’est ce qu’il croyait, mais lorsque leurs regards se croisèrent il remit le rétro en bonne position espérant qu’elle n’y verrait qu’un incident fortuit. À 24 ans, André avait, bien sûr, eut quelque aventure, mais beaucoup moins que ce que Judith lui avait prêté en plaisantant sur le quai. Il s’était surtout consacré à ses études et son travail, sa première passion.

André invita les trois femmes à dîner. Judith proposa le quartier animé de Jaffa road. Il n’y eu aucune objection. André réfléchi quelques instants avant de se diriger vers un restaurant arménien qui lui avait été recommandé. André et judith portèrent un toast de bienvenue. Puis on parla de choses et d’autres. Sur l’injonction de Judith, André expliqua son travail sur les plantes mais ses pensées étaient ailleurs. Il était plus facile d’observer discrètement Erna dans le restaurant que dans la voiture. Ses grands yeux bleus d’une grande douceur et son sourire permanent sur ses lèvres joliment ourlées l’avaient immédiatement séduit. André n’était pas plus aveugle que n’importe quel homme. Mais un geste, une attitude l’avait particulièrement charmé. Il avait perçu les inquiétudes d’Amélia calmées par le geste et le regard apaisant d’Erna. À ce moment-là, André compris qu’il était facile de tomber amoureux de cette femme, sans encore savoir d’une façon consciente que c’est exactement ce qui lui arrivait. Ce n’est qu’au restaurant qu’André se remémora les paroles de Daniel Trepper sur le coup de foudre. Il ne savait pas si c’était le cas, mais ce qu’il savait c’est ce qu’il ressentait il ne l’avait jamais éprouvé auparavant. Il faisait chaud et la soirée s’éternisait. Il ne savait pas encore comment, mais André savait qu’il devait impérativement tout faire pour revoir Erna. Il était sur le point de demander la note lorsque Erna prit Amélia par l’épaule. --- Il me reste encore deux bonnes semaines avant de commencer mes cours, nous allons en profiter pour visiter le pays. Amélia, nous n’avons jamais été aussi près de la Bible et nous allons nous y plonger.

Amélia pensa à la route et la chaleur,--- il faudra que tu t’organises sans moi. Je préfère attendre notre déménagement et arranger notre appartement. J’aurais toujours le temps de faire du tourisme.

Judith, se retourna vers André. --- Tu n’es pas très galant, toi qui connais bien Israël, tu pourrais proposer de piloter Erna.

Pris au dépourvu André rougit jusqu’à la racine des cheveux et bredouilla,---oui..oui..bien sûr.

---Non, je ne veux pas vous déranger, ne vous inquiétez pas, j’irai une autre fois, il y a déjà beaucoup de choses à voir sur place.

André, s’était repris,--- Il n’en est pas question. De toute façon ça tombe bien. Les nouveaux bâtiments de notre laboratoire ne seront terminés que dans plusieurs semaines et d’ici là je n’ai pas grand-chose à faire.

---Et bien voilà dit Judith. C’est décidé. Demain André me raccompagne à Magdena et après-demain, Erna, je te renvoie ton guide.

Le soir même dans l’appartement des Marantz.

Amélia et Erna déballaient les valises dans leur chambre respective.

---Tu peux me dire merci.

André, affalé sur le canapé lisait le journal. D’une mauvaise foi évidente, il questionna, ---Merci ? pourquoi ?

---Tu crois que je n’ai pas compris ? Tu me prends pour une idiote ?

--- A propos de quoi ?

---Tu me prends vraiment pour une idiote.

André abandonna, ---Ca se voyait tant que ça ?

---Tu es vraiment nunuche, dès le départ d’Haïfa j’ai vu ton manège avec le rétroviseur. Elle se mit à rire,---Tu aurais vu ta tête, quand Erna s’en est aperçu.

Parce qu’elle s’en est aperçue aussi ?

---Ce que les hommes peuvent être bêtes.

---C’est ça, moque toi de moi !

Judith reprit son sérieux. ---Je te fais confiance, je sais que tu es un type bien. Je préfère la savoir en ta compagnie pour visiter le pays qu’avec je ne sais pas qui ou seule. Mais attention sérieux, sérieux. Et quand je dis sérieux, c’est très sérieux.

---Tu ne serais pas en train de jouer les shidèh’.

--- Ne plaisante pas, je sais que tu m’as compris. 

Ce même soir, Erna en faisant sa toilette repensa à la journée écoulée. Elle était habituée au regard des hommes, le viol visuel dont elle était l’objet l’avait toujours excédé ainsi que le comportement stupide des quelques garçons avec qui lui avaient fait la cours. Elle savait qu’elle était loin d’être indifférente à André. Son manège dans la voiture et cette façon de garder une distance respectueuse n‘était pas pour lui déplaire. Erna n’était pas mécontente de la réaction de Judith au restaurant et se réjouissait de visiter Israël en la compagnie d’André. Son hébreux était suffisant pour soutenir une conversation et dans le pire des cas ils parlaient tous les deux anglais. Sa dernière pensée avant de s’endormir fut “ et puis il est beau garçon “.

Assis derrière son bureau, le combiné du téléphone à la main André n’avait qu’une peur, c’est qu’Erna annule carrément leur petite randonnée, et pourtant, il devait vraiment l’appeler pour retarder leur petit voyage de quelques jours. Il soupira et composa son numéro. Elle décrocha au bout de trois sonneries.

Il prit une profonde inspiration,---Bonjour, c’est André, je suis désolé, ça ne va aller comme prévu, l’architecte de notre projet à besoin de moi pour vérifier différents détails du futur laboratoire. Je ne peux venir qu’a la fin de la semaine...si tu veux.

Au son de sa voix, Erna entendait sa déception.

Erna le calma, comme on calme un enfant qui n’a pas reçu un jouet promis.---Ce n’est pas bien grave, nous pouvons remettre notre ballade à la semaine suivant.

La voix d’André se ragaillardit aussitôt pour lui dire,--- je serai à Jérusalem dimanche prochain vers midi. 

Les jours suivant, regonflé à bloc, André avec l’aide du maître-d’oeuvre du projet fut créatif et c’est dans la bonne humeur qu’il apporta certaines critiques constructives.

Vendredi soir, l’architecte roula les plans,---tu m’as l’air particulièrement joyeux, ne me dis pas que c’est uniquement nos travaux.

---Non, pas uniquement. Je ne t’en dis pas plus pour le moment.

Le 16 septembre, André, dans un état de bien-être comme il en avait rarement connu parcouru la distance Magdena - Jérusalem sans pester contre le trafic incessant des camions, bus, et autres sherouts.

Parti au levé du jour André passait par la Plaine de Jezréel pour rejoindre la route de Tel-Aviv après Césarée puis bifurquer ensuite vers l’est. Un détour était obligatoire afin d’éviter la Cisjordanie. Il faisait chaud. André roulait toutes fenêtres ouvertes. Entre Césarée et Tel Aviv la largeur du pays oscillait entre 10 et 20 km. Une situation unique au monde, mais le plus étonnant encore c’était la frontière clairement délimitée. On ne pouvait pas se tromper, le vert des cultures d’Israël contrastait avec le jaune des terrains en friche de la Cijordanie. Pour un non averti, un touriste ou un nouvel émigrant, c’était magique. Il arriva rue Rahel Ameinu à 11h30. Il grimpa deux par deux les marches des 2 étages. Avant de frapper à la porte, il laissa son cœur reprendre un rythme normal. Des bruits de pas et la porte s’ouvrit sur Erna, le visage illuminé de son ravissant sourire.

Erna fit mine d’ignorer l’émoi d’André et encore une fois fut séduite par sa timidité lorsqu’il demanda,— Je n’arrive pas trop tôt ? 

Erna toute pimpante dans une robe de coton à petites fleurs guida André vers le living-room. Les meubles avaient été livrés la veille et Amélia leur avait donné vie. ---Assois toi, Amélia nous a préparé un déjeuner léger, veux-tu boire quelque chose ? j’ai du Whisky ou du cherry.

--- Non merci, en dehors du vin de temps en temps je ne suis pas très alcool. Un verre d’eau ira très bien.

--- Comme tu veux. Quel est le programme ?

--- Voilà ce que je te propose, cet après-midi je te fais visiter la ville et demain nous déciderons ensemble où aller.

--- Tu connais le pays et pas moi.

---Je vais y réfléchir.

—D’accord. Amélia ne sera pas là ce soir. Monsieur Marantz l’a présentée à des gens du voisinage qui parlent allemand, alors je te propose d’aller au restaurant. C’est toi qui choisi et moi qui paye.

André voulut protester mais n’insista pas lorsqu’il vit qu’il n’en serait pas autrement.

Après une légère collation, Erna et André partir à pied à travers les rues de la nouvelle ville vers le Moulin de Montefiore construit en 1858 par un philanthrope juif de nationalité anglaise qui consacra une partie de sa fortune pour améliorer les conditions de vie des juifs nécessiteux. L’omniprésence de la vieille ville inaccessible avec ses remparts la protégeant d’une façon excessive avait quelque chose d’impressionnant. Pour un croyant, située au milieu de nulle part, loin des routes commerciales, loin de la mer, entourée de montagnes aride cette cité n’avait qu’une seule explication pour une grande partie du monde : Dieu.

--- Être aussi près de Dieu sans pouvoir l’atteindre, ça doit être frustrant pour ceux qui ont la foi.

---Le plus frustrant c’est de ne pas avoir accès à la vieille ville. Regarde sur les remparts les soldats jordaniens faire les cent pas.

— Tu penses qu’un jour il y aura la paix entre juifs et musulmans ?

---La paix est plus difficile entre cousins qu’entre ennemis.

Ils montèrent sur le mont Sion jusqu’au tombeau de David qui fit de la ville le sanctuaire de l’Arche d’Alliance. Lieu saint pour les juifs depuis que Salomon en fit pour l’éternité la maison de Dieu. Lieu saint pour les chrétiens par le sacrifice de Jésus. Lieu saint pour les musulmans par la montée au ciel de leur prophète Mahomet. Ils marchèrent en silence. Erna sensible à l’atmosphère mystique de la vieille ville, demanda,---Tu crois en Dieu ?

---Non... et toi ?

---Non plus, mais s’il existe, c’est ici qu’il demeure.

Ils traversèrent lentement le quartier de Mea Shearim aux maisons basses et mal entretenues.

---Ici nous sommes dans un ghetto qui doit ressembler aux quartiers juifs de l’Europe de l’est au 19e siècle dit André. Pour construire ces maisons, les terres furent achetées par de riches particuliers vers 1850, pour y installer les juifs qui s’entassaient dans des conditions abominables, depuis plus de 200 ans dans la vieille ville. Moses Montefiore fut l’un d’eux.

Ils traversèrent des cours aux larges pavés disjoints, éternels séchoirs ou flottaient du linge au gré du vent.

---Ce qui me frappe, ce sont les hommes dans leurs longues redingotes, toujours pressés. Ils ne flânent jamais, où vont-ils ?

---A la yeshiva, des écoles traditionnelles...ou en reviennent. Ils étudient le Talmud toute la journée, et parfois la nuit aussi. Ils se considèrent comme les vrais juifs, et certains ne parlent même pas l’hébreu, mais la langue traditionnelle des juifs de l’Europe de l’est: le yiddish.

---Un jour, je lirai le Talmud.

---Je te souhaite du plaisir, le Talmud ne se lit pas, il s’étudie et c’est long. Il y a plusieurs degrés d’interprétation de plus en plus difficile. Une discussion talmudique de juifs orthodoxes c’est confronter les mishnayot, les codes de la loi orale ; les comparer, les disséquer. Chaque mishna est une compilation de discussions rabbiniques, un nombre impressionnant d’hypothèses qu’il faut avoir en tête. voilà le Talmud.

---Tu sembles savoir de quoi tu parles. 

— Tout ce que je connais du Talmud, je viens de te le dire. Lorsque je suis venu en Israël, à l’époque on disait la Palestine, sur le bateau, après une tempête, nous étions peu nombreux sur le pont, j’ai sympathisé... sympathisé est un grand mot, disons qu’il n’a pas été hostile, avec un jeune orthodoxe, il avait 14 ans, venait de New York. Il étudiait dans une yeshiva de Brooklyn depuis sa plus tendre enfance et il semblait déjà porté toute la responsabilité du monde sur son visage imberbe et sérieux sous son chapeau à larges bords. Je me suis dit que c’était l’occasion d’en savoir un peu plus sur ces juifs tellement différents de nous. Je croyais que ça ne devait pas être trop compliqué. C’était compliqué. Il a été très suspicieux, il m’a d’abord demandé si j’étais juif. puis mon nom, d’où étaient mes parents, si j’allais les rejoindre et que sais-je encore. C’est quand je lui ai dit que j’étais le seul survivant de ma famille qui avait été massacrée par les nazis que son regard a changés, tout en restant à ces yeux, un étranger. Avec beaucoup de réticence il m’a bien fait comprendre que l’étude du Talmud demandait toute une vie et que ça ne s’expliquait pas en quelques mots. André sourit en regardant Erna,--- Je peux t’assurer que les juifs pieux ne pensent pas qui sommes-nous ? d’où venons-nous ? Où allons-nous ? Ils connaissent leur place dans l’Univers, ils n’ont aucun doute là-dessous. Durant leur vie terrestre, ils préparent leur vie future. Ils se posent beaucoup de questions sur tout et sur rien. En caricaturant un peu, les orthodoxes peuvent se demander pourquoi Dieu a-t-il créé les coccinelles avec parfois deux, parfois plusieurs points noirs sur une carapace rouge ?

Cela fit rire Erna.---Là, tu exagères.

Dieu a sorti l’univers du néant. Pour les croyants, toute vie doit avoir sa raison d’être. Dieu ne fait rien gratuitement...André sourit,---N’oublie pas qu’il est Juif.

Erna sourit également, — C’est vrai, il aurait pu être plus sympa, ne pas nous expulser du paradis pour une histoire de pomme.

—Bref, pour en revenir à mon jeune ami, il a terminé notre conversation en me disant que j’étais peut-être juif mais que je ne savais pas pourquoi. J’ai répondu que moi je ne le savais peut-être pas, mais demande à n’importe quel antisémite, lui, il sait. Et j’ai ajouté d’un ton sec : Ma famille n’était peut-être pas vraiment juive, mais ses assassins l’ont quand gazé pour cette raison. Probablement une erreur judiciaire ? Je ne supportais pas que ce jeune homme décidât de ce que j’étais ou n’était pas. Je suis parti sans attendre la réponse. Plus tard, j’ai regretté mon attitude. Nous nous sommes rencontrés encore une fois, sur la plage, juste avant que nos routes se séparent. Je lui ai fais des excuses. Il a sourit, m’a serré la main en me souhaitant bonne chance dans ma nouvelle vie.

C’est un peu plus tard que j’ai voulu en apprendre un peu plus ces Juifs qui se prennent pour le réceptacle de la parole de Dieu… j’ai lu quelques livres sur le sujet, mais sans la foi, ça te paraît stérile. Ce qu’il me reste, c’est d’avoir compris qu’ils ont des questions sur tout et parfois la réponse. Lorsqu’ils n’ont pas la réponse, ils ont quand même la réponse.

Erna le regard étonné se tourna vers André,--- Ah, c’est quoi la réponse ?

--- Ainsi Dieu l’a voulu.

---Voilà une réponse qui explique tout. Ils ne travaillent pas ?

---Etudier le Talmud c’est un travail à temps complet. Ils y passent plus de 10 heures par jour, et à part ça, ils font beaucoup d’enfants, ne reconnaissent pas Israël et ne payent pas d’impôts.

Erna sourit,---à qui veux-tu qu’ils payent des impôts, si pour eux l’état d’Israël n’existe pas.

---Ca tu vois, c’est un raisonnement talmudique. La plupart des gens ne le savent pas, mais le Talmud a une grande importance pour l’Humanité : il est à la basse de tout raisonnement philosophique et scientifique. Si tu tiens à approfondir le sujet, je te prêterai « Le livre des égarés» de Moïse Maïmonide. Très intéressant, je te souhaite beaucoup de courage si tu vas jusqu’au bout. Moi, je l’ai juste feuilleté. Après un silence, André ajouta,--- Il y a un dieu, il n’y pas de dieu ? Je n’en sais rien, mais je vis sans lui.

En quittant Mea Shearim Ils marchèrent en silence.

Erna regarda André qui semblait pensif. — A quoi pensais-tu ?

--- À rien de spécial.

Comment pouvait-il lui dire que depuis dimanche dernier il ne pouvait pas vivre sans elle ? Cela aurait semblé ridicule.

—Tu te rends compte, nous déambulons dans un symbole religieux pour la moitié de l’humanité.

---Ca démontre que nous sommes fous à lier. Cet acharnement à conquérir et mourir pour une ville au milieu de nulle part est un phénomène unique dans l’histoire de l’humanité. Je n’étais pas destiné à connaître cette ville, sans la guerre je serais encore à Bruxelles.

---Nous sommes nombreux à être dans ce cas. Tu avais une grande famille ?

--- J’avais un frère et deux sœurs… Après la guerre j’ai appris qu’ils ont tout de suite été gazés et brûlés dès leurs arrivés à Auswitchz. Lorsque je pense à eux, pour ne pas tomber dans la déprime, je me console en me disant qu’au moins ils sont morts à leur arrivée au camp et n’ont pas vécu comme des bêtes avant d’être gazés.

---Piètre consolation...mais consolation quand même. Toi tu peux mettre le mot fin sur ta famille, moi je ne peux pas, ma mère a tout simplement disparu… évanouie comme si elle n’avait jamais existé… Sans Amélia et une Lettre que m’a laissée avant de disparaître, je pourrais venir de nulle part.

---On ne met jamais le mot fin à cette infamie. Tu m’as dit que ta mère s’est sacrifiée pour toi ; donc elle connaissait le sort réservé aux Juifs. Tu peux chercher une consolation dans sa démarche. Mes parents n’ont rien compris, ils étaient Belges en Belgique. Comprendrais-tu, ajouta-t-il en souriant qu’une secte décide de tuer toutes les jolies jeunes filles aux yeux bleu ?

--- Ou alors les idiots qui disent n’importe quoi.

---Tu peux te foutre de moi. Imagine un instant : Sans cette guerre, quelles étaient nos chances pour que nous marchions aujourd’hui côte à côte dans les rues de Jérusalem… aucune.

---On peut dire ça de tous nos instants. Que serons-nous demain.

---Demain...Judith me prend pour un grand séducteur. La vérité c’est que je ne sais pas parler de mes sentiments, alors je vais aller droit au but, depuis que je t’ai vu sur le pont du bateau je suis amoureux de toi.

Erna resta silencieuse.

André se maudissait, quel imbécile, J’avais la perspective d’une merveilleuse semaine et j’ai tout foutu en l’air. Et puis non ! après tout c’est aussi bien qu’elle sache.

Erna lui montra un groupe de petits garçons coiffés de la kippa d’où dépassaient leurs payèss.---Comme ils sont drôles, tu penses qu’ils vont à la synagogue.

---Ou en reviennent.

André soupira intérieurement. Erna semblait n’avoir rien entendu.

Elle avait entendu.

--- Tu ne crois pas que tu vas un peu vite ? tu ne connais rien de moi, ni moi de toi.

—Tu aurais préféré que je ne dise rien...                                              Erna ne répondit pas.

André insista,---Tu m’en veux ?

--- Non pas du tout mais ce n’est pas d’actualité. Rentrons ! Rappelle-toi que tu dois m’emmener dîner et j’ai très faim. 

A suivre...                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                        

A suivre....


Signaler ce texte