HAPPY END
giuglietta
HAPPY END
La décapotable file à toute blinde sur l'autoroute
direction Barcelone, l'autoradio diffuse à fond les
derniers tubes de variété FM, le vent est chaud, le ciel
limpide, les cyprès succèdent aux platanes.
Au volant, un grand brun bronzé et sur le siège
passager, les pieds sur le tableau de bord, foulard,
lunettes noires, aussi incroyable que ça puisse vous
paraître, la blonde à la peau claire, c'est moi.
De Barcelone, on ne verra rien, c'est vers Sitges
qu'on roule en fait, vers ses plages bondées, son eau tiède
et ses discothèques à la mode.
Tout de suite, on trouve un petit hôtel où l'on
réserve, pour une semaine une chambre en demi-pension
à un tarif très raisonnable. Les vacances peuvent
commencer !
Le programme est simple, efficace, joyeux :
réveil tardif et petit-déjeuner, première baignade,
farniente, casse-croûte au début de l'après-midi, baignade
encore, douche du soir, apéro, dîner modeste à la
pension.
Chris a tout organisé, je me laisse volontiers
guider. Tellement besoin de retrouver pour quelques
jours une trop rare insouciance...
Après le repas, la nuit catalane est à nous, de
boîte en boîte, de whisky-coca en gin-tonic, on va se
trémousser sur des airs de disco.
Vous croyez que j'invente cette histoire ? Je
comprends. Quelquefois je doute moi-même de l'avoir
vécue.
On parle peu, mais quand même, le soir tombé,
les langues se délient ; des bribes de nos histoires
respectives s'échangent.
Nous avons peu de points communs ; il est
animateur vedette dans la radio où j'assure les infos du
matin. Ancienne gauchiste, ex-punk, je remise mes
principes pour cette parenthèse ensoleillée avec un type
dont la seule ambition est de détrôner les « stars de la
télé », Foucault, Sabatier, ses idoles.
Son grand plaisir est de m'exhiber dans la
douceur de la nuit, les relents de monoï, la musique des
accents chantants. De descendre à mon bras la rue
principale de Sitges. Caprice d'enfant, le premier soir il
voudra même qu'on la remonte aussi, frimant entre les
terrasses, paradant négligemment, fiers d'être ce couple
élégant qui attire l'oeil, les commentaires, les
compliments.
Dans ma minijupe Alaïa de daim clair, hissée sur
mes sandales à hauts talons, je ne le boude pas, moi, ce
plaisir innocent.
Arrivés dans une discothèque à la déco atroce,
d'un kitsch limite vulgaire, on est presque assommés par
le vacarme terrifiant qui sort des baffles ; au milieu d'une
foule dénudée, parfumée, bruyante de noceurs ivres et de
dragueurs insolents, on finit par se rapprocher l'un de
l'autre.
Se faire des confidences. On se regarde
différemment. On s'évalue avec dans les yeux un trouble
nouveau, inattendu, spécial.
Tout nous séparait, je l'ai dit mais, qui sait ?...
L'alcool nous pousse à tenter l'aventure. Pas si
convaincus, pas tellement plus emballés l'un que l'autre,
on finit par danser ensemble, enlacés, puis on s'embrasse
puis... il s'en va !
Dégrisée, perplexe, j'allume une clope pour me
donner une contenance, mais je devine où il est parti... Ça
me fait rire, mais au fond ça n'est pas si drôle. Peut-être
même un peu tragique, pour lui...
Chris est allé vomir, si vous voulez savoir, se
baigner le visage à l'eau des lavabos, reprendre son
souffle, ses esprits.
Redevenu lui-même, un peu déçu et déconfit, il
se force à sourire en me présentant ses excuses. On se
marre et on repart au milieu de la piste, pour danser face
à face sur le tempo assourdissant de la basse et de la
grosse caisse.
Tard, nous retrouvons notre petite chambre à
deux lits, on se couche, on se souhaite bonne nuit. Mais,
comme deux copines, on chuchote à nouveau, on dit
« allez, il faut dormir » et on recommence à parler
doucement, et quand le jour va se lever, on s'endort pour
de bon après s'être juré une chose : demain on drague les
deux plus beaux mecs de Sitges !!!
(À Pierre Soler)