Harmonie et égalité

veroniquethery

Un ado plongé dans l'Alexandrie antique

- Les différences entre les populations affectent les genres de vie, les mœurs, les croyances, les religions, le culte des morts. Chaque peuple conserve ce qui lui appartient en propre - organisation de la communauté du point de vue matériel, cultuel et administratif - ; mais on constate aussi des rapprochements et des échanges. »

   Je me rappelai, en effet, avoir appris que les rapports avec la classe dominante des Grecs et Macédoniens avaient évolué au fil des siècles, plus ou moins vite : les Juifs sont mieux considérés par exemple que les Égyptiens, leur intégration dans l'armée se fait plus tôt. Leur hellénisation est plus précoce et plus rapide : ils abandonnent l'araméen pour le grec.

- Tu as raison, mon jeune ami, me répondit courtoisement mon hôte, avec un regard appréciateur.  Il y avait aussi la volonté du pouvoir de créer une religion qui n'est pas seulement grecque et égyptienne mais alexandrine : cela se remarque dans l'identification d'un souverain divinisé à une divinité.

- Je m'en souviens ! M'exclamai-je. Arsinoé symbolisait l'Aphrodite marine et on pensait qu'Isis était la même que d'autres nommaient Séléné ! Je suis cependant étonné. Les dieux grecs sont des êtres anthropomorphes... Mais, les Égyptiens ont souvent tendance à honorer des « dieux-animaux » : je pense au dieu chacal Anubis. Et Apis n'était-il pas un taureau ? Certes, Zeus pouvait prendre parfois forme animale, mais c'était surtout pour séduire quelque mortelle : transformé en taureau pour séduire Io et enlever Europe, en cygne pour rencontrer Léda... Mais, c'est très différent...

- Vraiment ? Sais-tu, mon jeune ami, s'enthousiasma mon compagnon de voyage, que tu reprends l'argument d'Hérodote lui-même ? Lui aussi avait exprimé son incompréhension devant le caractère zoomorphe de la religion pharaonique. Et, les Grecs partageaient son point de vue.

- Alors ?

- Ptolémée Ier eut l'idée d'adapter pour les Grecs le dieu Sarapis : il lui donna une forme anthropomorphe, celui d'un Zeus barbu, qui rassemblait les pouvoirs du roi de l'Olympe, d'Asclépios, le dieu guérisseur, et de Hadès, le dieu des enfers.

- Et cela fonctionna vraiment ?

- Plus que tu ne peux l'imaginer ! On ouvrit des sarapeia ou sanctuaires de Sarapis sur tous les pourtours de la Méditerranée et, au Ier siècle après JC, la divinité fut même rangée au nombre des dieux du Capitole !

- C'est incroyable ! Y eut-il d'autres assimilations ?

- Hermès fut apparié à Thot, Aphrodite à Hathor... Les Grecs ont adopté bien des aspects de la religion égyptienne, y compris la momification !

- J'ai appris, en cours de Latin...

- Un cours sans aucun doute passionnant !

- Certes... Que, devant l'influence grandissante de ces religions orientales, les Romains eux-même vont osciller, suivant les cas, entre tolérance et rejet, voire répression. Nous en avons gardé le témoignage à travers les décisions politiques ou judiciaires, ainsi que par les œuvres des écrivains romains. Ces derniers opposent souvent la religio, la religion officielle, établie, par laquelle les hommes passent avec les dieux un contrat qui établit la sécurité de l'État, à la superstitio, qui relève de la croyance individuelle, de pratiques non répertoriées. Certains Romains traditionalistes tolèrent mal des religions importées par des étrangers, esclaves de surcroît. Tacite met ainsi dans la bouche d'un sénateur les propos suivants :" Suspecta maioribus nostris fuerunt ingenia seruorum, etiam cum in agris aut domibus i[s]dem nascerentur caritatemque dominorum statim acciperent. Postquam uero nationes in familiis habemus, quibus diuersi ritus, externa sacra aut nulla sunt, conluuiem istam non nisi metu coercueris. " (Tacite, Annales, XIV, 44) : " Nos ancêtres redoutèrent toujours la nature même des esclaves, alors que, nés dans leurs champs ou sous leurs toits, ils apprenaient à chérir leurs maîtres en recevant le jour. Mais depuis que nous avons dans nos foyers toutes les nations, dont chacune a ses rites, et ses cérémonies d'origine étrangère, ou qui n'a n'en a pas, nous ne contiendrons ce vil et confus assemblage que par la crainte." Et le poète Properce (Elégies, IV, I, 17-18), évoquant la Rome primitive, regrette les temps anciens où :

" Nulli cura fuit externos quaerere divos
Cum tremeret patrio pendula turba sacro.

" On ne se souciait pas de chercher des dieux étrangers ; alors, la foule suspendue au culte de ses pères tremblait. "

- C'est parfaitement exact. Tu étais très attentif en cours ! me félicita mon guide.

- Comment nomme-t-on ce phénomène ? questionnai-je, avec l'idée que j'allai encore apprendre un mot compliqué.

- Le syncrétisme. Il répond parfaitement à la diversité des populations.

- Tous ces peuples vivaient donc en parfaite harmonie, dans la plus parfaite égalité... murmurai-je avec envie.

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