Hécatombe

Yann Reynaud

"La seule chose dont je suis sur, c'est que je ne suis sur de rien"

C'est une hécatombe.
Afin de mieux prendre conscience du risque d'être motard au quotidien et d'être le plus pertinent et réaliste possible quant aux messages que je veux porter, j'ai pris une décision lourde mais nécessaire.
Je me suis créé une notification quotidienne sur Google Alertes et reçois ainsi chaque matin un email avec les liens de toutes les actualités contenant les termes "accident moto"

C'est une hécatombe.
Chaque jour, je compte une dizaine d'accidents (dans les pays francophones, donc également Québec, Belgique etc) dont en moyenne 3 à 4 décès.
Généralement autant d'accidents où la seule responsabilité du motard est engagée (par la perte de contrôle de sa moto, que ce soit du à sa vitesse, une erreur de pilotage ou un mauvais état de la chaussée) que d'accidents causés par un autre véhicule.

Ce matin:
- Un homme de 36 ans, dans le 11, dépassement dangereux
- Un homme dans le 27, collision avec une voiture
- Un homme d'une quarantaine d'années, dans le 77, collision avec un camion qui sortait d'un stop
- Un homme dans le 28, collision avec glissière de sécurité

Ride In Peace à eux, et condoléances aux proches.

Après analyse et réflexion, je pense que beaucoup d'accidents pourraient être évités si chaque motard prenait réellement conscience de plusieurs choses.
Mais réellement réellement.
Pas "oui, je sais".
Non, je parle de l'illumination divine là.

Nous sommes invisibles.

On pourrait se foutre le phare d'Alexandrie sur le casque avec une tenue fluo digne d'un jeune en rave-party et rouler en échappement libre à en faire péter toutes les vitres du quartier, on resterait invisibles.
Donc si on est invisibles, les autres ne nous voient pas. Si si c'est vrai, c'est la définition d'invisible. Vous pouvez vérifier sur wikipedia.
S'ils ne nous voient pas alors ils ne peuvent pas conduire en faisant attention à nous c'est évident, il faut les comprendre aussi. Voyons.

Donc, à nous de les éviter.
A nous de rentrer dans leur cerveau.
A nous de deviner leur prochaine action.
A nous d'anticiper leurs trajectoires.
A nous d'imaginer ce qui se cache derrière le prochain virage.
A nous de faire attention à eux.

Oui, en fait, c'est ça le truc.
On n'arrête pas de dire que les automobilistes doivent faire attention à nous.
En fait, c'est pas ça la solution.
Ça, c'est de l'utopie. Ce serait génial mais ça n'arrivera jamais.
Par contre, à nous de faire attention à eux.
"On ne peut compter que sur soi-même"

Donc si je veux rester en vie, à moi de tout faire pour.

L'autre chose que certains motards doivent comprendre:
La route n'est pas un circuit.

Je ne parle pas de vitesse, mais de comportement.
Certains de mes proches me connaissent bien et savent qu'il m'arrive de ne pas toujours respecter les limitations de vitesse.
Je l'avoue. Et que celui qui roule en regardant son compteur me jète la première pierre.
Mais je ne parle pas de vitesse quand je dis "la route n'est pas un circuit".

Je parle de circonstances.
Je roule à la circonstance.
Il y a des endroits où la vitesse est limitée à 50 et où on pourrait y passer à 90 que ça ne risquerait absolument rien.
Par contre il y a des endroits limités à 90 et où je ne dépasse pas le 40.

Il y a des virages où on peut se permettre de trajecter aux p'tits oignons et d'autres où il vaut mieux bien rester au centre de sa voie.

C'est une question de circonstance. Toujours.

Pour finir:
"La seule chose dont je suis sur, c'est que je ne suis sur de rien"

On ne sait pas ce qu'il peut se passer.
Que ce soit un automobiliste qui décide de nous couper la route au dernier moment (Ride In Peace Mourad et Teddy)
Que ce soit une automobiliste qui fait un malaise au volant (Ride In Peace Quentin)
Que ce soit un virage qui ne se referme pas comme on le pensait (Ride In Peace Christelle)
Que ce soit du sable ou des graviers (RIP mes genoux)

On n'est jamais sur de rien.
Il faut être "avant".
Je roule toujours "avant".
Ma moto est dans ce virage, mais moi je suis déjà dans celui d'après. Voir celui d'encore après.
L'intersection est devant moi mais moi je suis déjà dans tous les scénarios possibles qui pourraient se produire.
Mon esprit est partout.
Tout le temps.
Mes yeux ne restent jamais plus de 2 secondes sur un même point.
Devant. Rétro gauche. Devant. Virage. Rétro central de la voiture de devant. Derrière les arbres au fond à droite. Rétro Droit. Etat de la route. Contre-allée droite. Devant. Gravier. Etat de la route. Compteur. Devant. Chien sur le trottoir. Regard de l'automobiliste qui arrive en face. Devant. Loin devant. Rétro droit. Signalisation. Animal renversé. Ligne blanche. Pontage. Rétro gauche. Heure. Devant. Trou dans la route. Je-vois-pas-ce-que-c'est-mais-ça-brille-donc-ça-glisse. Devant.

Voila, il vient de s'écouler 1 min.
1.000 km par semaine.
Motard exclusif.
Et je suis toujours en vie.
Aujourd'hui.
Mais demain ?

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