Hécatombe sur Mars
Rosanne Mathot
Bien sûr qu'il y avait de la vie, sur Mars, puisqu'on l'avait inventée. Mais sous le feu nourri de la réalité, la vie extraterrestre s'est écroulée dans une flaque de boue, abandonnée aux rugueux aléas d'une existence unicellulaire souterraine. Livrée aux bûchers dévorants des images de la NASA, la 4e planète de notre système solaire ne rencontrera jamais de 3e type. Faut croire que deux suffisaient.
A l'acmé de l'automne terrestre 2015, avec une trépidation toute primesautière, les Américains nous ont livré un baril d'eau chlorée. C'était sinistre. Ils ont trouvé ça glorieux. « Il y a de l'eau sur Mars », ont-ils annoncé à l'univers. C'est vrai. D'ailleurs ça fait quarante ans que Moustaki le dit, en chaloupant du gosier sur un air de bossa. Pour le scoop, on repassera. Sur terre, cette nouvelle aquatique, quoique quarantenaire, a réjoui et plongé dans une apnée béate astrophysiciens et botanistes.
Mais alors que le monde scientifique déconnait au balcon, sur Mars, c'était l'hécatombe, la Bérézina, Waterloo et le génocide arménien tous réunis par un jour de grand vent, un jour triste de sirocco polaire : des civilisations entières issues de 150 ans de littérature d'anticipation ont été englouties dans une flaque d'eau toxique, précipitées dans une agonie aussi éphémère qu'invisible. Finalement, peu de choses laissent suinter autant de tragique et d'exterminante vulgarité qu'une goutte d'eau martienne.
Dès l'annonce de la Nasa, le capitaine John Carter a immédiatement plongé dans un canal, respectant à la lettre le folklore local. Le spectre d'Orson Welles a annoncé la paix à la radio. Les hominidés à la verte peau ont pelé de dépit sur le champ. Celui de Mars. Pas de Paris. Flash Gordon et David Vincent sont allés se rhabiller. Quant à la sculpturale Dejah Thoris, elle nous a fait la grâce de rester en petite tenue, dans le crépuscule bleuté du ciel martien. Ca lui va bien.
Il y avait de la vie sur Mars, puisqu'on l'avait inventée. Il paraît même qu'il y avait des chicons, mais si peu que ça ne vaut pas la peine d'en parler. A présent, Mars va continuer à étirer pour pas grand-chose ses inquiétantes étendues stériles râpées en rafale par des vents poussiéreux, en offrant à l'indiscrétion du rover américain l'échancrure indécente de ses paysages si désolés qu'ils ont forcément quelque-chose à se reprocher.
Sur les flancs rêches des montagnes extraterrestres, le sel tendra pour toujours sa toxique blancheur vers dieu, pour lui demander qui existe. Quant aux païens nostalgiques des peuplades bigarrées de cette planète sauvage, même armés d'une imagination fertile, ça va être coton, pour eux, de se satisfaire des cascades d'eau salée dans lesquelles s'ébrouent avec langueur d'hypothétiques êtres unicellulaires ; des ruissellements sauvages de boues saturées en perchlorate où s'ébattent des bactéries de cauchemar, des flaques opaques d'où surgissent des hordes de microbes hystériques, avec leur peau dure et leurs mini-gueules béantes - ridiculement édentées - d'où jailliront très lentement de très longs cris martiens, dans une atmosphère aussi dioxidée que l'haleine de nos poulets de batterie.
Mais c'est pas tout ça. L'heure tourne et il ne s'agirait pas de louper le film de 20h30 sur la Première.