Hector, le début d'un fin

Ron Wyon

Voici en avant-première (car le roman n'est pas encore sorti) les 4(:12) premiers chapitres de mon nouveau roman : Hector. Soyez les premiers lecteurs de cette épopée et donnez vos avis !


CHAPITRE PREMIER






Je n'ai jamais fumé de ma vie. J'ai toujours fait les choses bien, pris soin de moi, pensant ainsi être remercié par la vie et ma santé immunisée contre tout atteinte naturelle. J'ai soixante-six ans avec un cancer de la thyroïde au stade quatre mais je ne veux pas mourir ; pas maintenant, pas comme ça. J'ai encore des expériences à vivre après soixante-six années passées à côté de ma vie, à ne pas me laisser aller à mes dépends. Il y a des tas de choses que je me suis interdit et Dame Nature me fait un coup de pute dont je lui tiendrai rancune jusque dans ma tombe. La vie est un taureau qu'il faut maîtriser par les cornes avant qu'il ne vous envoie valser et la chance se saisit. Regret est un terme que je connais bien car j'en ai plein, mais si je commence à me dire qu'il est trop tard pour réagir, alors je ne ferais rien même si c'est une réalité probable.

Hector, soixante-six ans, cancer de la thyroïde stade quatre : il me reste sept mois à vivre et toute une vie à réaliser.


Lorsque mon cancer a été dépisté, je n'ai pas réagi. Ou du moins, je ne savais pas comment réagir car j'estimais avoir réussi ma vie suivie d'une bonne retraite. Mais bizarrement, le soir même je n'ai pas pu m'endormir, les derniers mots de l'oncologue résonnaient dans ma tête : « Vous avez un cancer », « Je suis désolé »... Je ne comprends pas pourquoi les médecins passent leur temps à s'excuser quand ils annoncent de pareilles nouvelles. Ce n'est pas leur faute ! Et s'ils pensent que ça nous soulage ou nous remonte le moral, cela ne change rien. Ils nous faut avaler l'annonce, notre cerveau n'est pas disponible à l'écoute. Ils donnent l'impression qu'ils nous ont eux-même injecté ce poison mortel, qui nous rongent jusqu'à l'os autant physiquement que moralement. Heureusement pour moi, ma femme est morte avant de me voir dans cet état. La voir se torturer jour et nuit à se demander si je vais me réveiller de ma sieste m'aurait anéanti...

Je me suis fait dépister il y a une semaine. Durant cet temps, j'ai passé mes journées à faire les cent pas et mes nuits à me retourner dans mon lit, tout cela sans sortir de chez moi. Les plus pessimistes diront que j'ai gâché une semaine de mes sept mois restant à ne pas voir la lumière du jour, sans rien faire. Mais moi, voulant désormais être optimiste, je leur répondrai donc, à tout ces pessimistes, que cette semaine m'a permis de réfléchir et d'avancer psychologiquement. Une semaine de gâchée n'est pas grand chose, pour sept mois futurs qui s'annoncent grandioses. Je sais que je ne veux plus mourir en vain, n'ayant que fait le bon petit soldat de la société – sans mauvais jeu de mot, sachant que je suis militaire en retraite.

C'est donc ici que commence le récit d'un vieux bougre et de ses sept foutus mois. Après ma semaine sabbatique, j'ai commencé par aller en ville histoire de me changer les idées. Je suis allé dans le bar où se rejoignent tous les chômeurs du village. J'ai regardé longuement la carte des boissons et je suis sorti jugeant que c'était trop peu cher. J'ai pris soin de regarder tous mes anciens amis plongés dans le cognac dès midi, ils m'ont aussi fixé dès l'instant où je suis entré jusqu'au moment où j'ai repris la porte. Je suis rentré chez moi, et j'ai pris ma voiture, ma vielle Renault que je possède depuis mes jeunes années de conduite. J'ai fait une bonne heure de route avant d'arriver à Douarnenez, une ville que je qualifierai de potable. Elle mettait suffisamment de commerces à ma disposition. Après m'être garé dans un parking, j'ai divagué à droite à gauche sans bien savoir ce que je cherchais. Je me suis arrêté devant un garage et j'ai regardé avec mélancolie les voitures cabossées, que l'on a laissé mourir seules, dans le froid. Puis, j'ai pensé à ma Renault, celle avec laquelle je me suis traîné tant d'années. Je suis retourné à ma voiture d'un pas décidé et rapide et j'ai roulé jusqu'à Quimper, en direction du concessionnaire Audi. Sans savoir pourquoi, je me suis dit que m'acheter quelque chose qui me plaît sans regarder le prix était un premier pas vers la liberté, ma liberté.

Dans ma tête, je ne cessais de me dire « Ce n'est pas bien. », « c'est la crise. » ou encore « Certaines personnes ne peuvent même pas nourrir leur famille et toi tu gâches ton argent dans des choses futiles. » Et puis, je me reprenais : « Non, non. Je vais me faire plaisir ! A mort la crise, vive l'égoïsme ! » Je tentais de me convaincre ou de me mentir à moi-même... Mais je ne pouvais m'empêcher de culpabiliser alors je m'efforçais d'enfouir ce sentiment. Arrivé chez le concessionnaire, le vendeur me présentant les différents modèles avait l'air plutôt heureux, même si je me doutais bien qu'afficher ce sourire niais faisait partie intégrante de son job. Il ne peinait sans doute pas à dormir, d'enrichir chaque jour le patrimoine, de ceux qui n'éprouvent aucun regret à dilapider leur temps et leur argent dans de luxueuses voitures. En temps normal, je serais peut-être parti, outré par ce sourire, en passant ms nerfs sur ce jeune homme qui a peut-être, après tout, juste besoin de travailler. Mais, dans ce cas, j'ai pris sur moi et je me suis contenté de le suivre avec un sourire forcé qui ne devait pas faire très authentique, faute de mes talents de comédien.

J'ai opté pour un modèle pas trop cher, du moins par rapport à leur échelle de prix, et je suis parti à bord de ce « bijou », comme certains aiment l'appeler. Moi qui ne suis pas très calé en technologie, j'ai eu un peu de mal au début même en laissant de côté tous les gadgets qu'ils ajoutent aux nouveaux modèles. Le charmant garçon m'a indiqué l'emplacement de toutes les commandes, tout se réglant électriquement. J'ai enfin réussi à partir après avoir calé plusieurs fois. Deux hommes l'ont rejoint pendant qu'il m'expliquait, et je les ai vus me regarder m'éloigner, dans le rétroviseur. J'arrivais bien à m'imaginer ce qu'ils pouvaient penser... Je suis rentré chez moi avec un sentiment de vide. Je n'arrivais pas à comprendre ce que l'on pouvait bien ressentir en achetant quelque chose de cher. Mais je savais une chose : que cela suffisait bien pour aujourd'hui. J'ai réfléchi au jour qu'il était, en préparant ma soupe ; samedi. Le lendemain, c'était la messe. « Y vais-je ? Ou n'y vais-je pas ? », « Telle est la question » comme dirait Shakespeare... Mais je me serais senti bien trop mal si je n'y étais pas allé. Enfin, à quoi bon ? Vais-je réussir à faire mon « rebelle », comme disent les jeunes ? Si je continuais avec cet état d'esprit, ce n'était pas gagné... Mais je suppose qu'à partir du moment où j'ai réglé mon réveil avant d'aller dormir, c'est que j'allais passer les portes de l'église le matin même, et pour combien de temps encore...


Le lendemain j'ai donc pris la route de la nef avec ma nouvelle voiture dernier cri... Arrivé devant l'édifice, j'ai attendu trois, quatre, puis cinq minutes, avant de finalement en descendre. Debout devant ma portière ouverte, je me suis demandé si la « meilleure » façon d'agir ne serait pas d'arriver en retard. J'ai regardé ma montre : neuf heure et quart. La messe commençant quinze minutes plus tard, je suis remonté à bord de l'engin, et j'ai roulé jusqu'à la première boulangerie. Étant donné la proximité, je suis allé à la prochaine où, quand je suis entré, j'ai vu trois personnes, dont une femme d'un certain âge, discutant avec la fille du boulanger. « Elle, elle n'est pas sans gêne. Elle sait, pourtant, que des gens attendent derrière elle ! Ils risquent d'être en retard à la messe par sa faute...» J'ai de nouveau regardé l'heure : neuf heures vingt cinq. Prenant mon courage à deux mains, j'ai dépassé les personnes en attente en bombant le torse, comme je ne l'avais pas fait depuis ma jeunesse. En y repensant, c'était pathétique... Tant pis ! J'ai tapé les deux paumes sur le comptoir, attirant ainsi l'attention des deux femmes. Elles se sont toutes deux arrêtées de parler et m'ont jeté un regard atterré. Comme aucunes d'elles n'avaient l'air décidé, j'ai lancé la conversation :

Bien le bonjour ! Excusez mon impertinence, mais je n'ai pas envie d'être en retard à la messe ! Vous aurez bien le temps de discuter de l'homme qui vous a mise enceinte une autre fois, la vie est longue... Je voudrais donc une tradition, et pas congelée cette fois, ainsi qu'un pain aux raisins.

B-bien... Ce sera tout ? Balbutia-t-elle

En effet. Combien vous dois-je ?

2€ 70 s'il vous plaît...

C'est cher !

Les prix ont augmenté récemment, et avec les taxes, vous comprenez...

… Non.

J'ai attrapé mes achats, tournant rapidement les talons avant que le naturel ne revienne au galop, et que je m'excuse mille fois. Montant à bord de ma monture, j'ai de nouveau regardé l'heure, dix minutes s'étaient écoulées. Après des années à arriver en avance à la messe, je sais, qu'en réalité cela commence cinq ou dix minutes après l'heure, pour les retardataires, retenus à la boulangerie par exemple... J'ai donc pris un petit détour fort bien, passant dans de chouettes petites ruelles et j'ai réussi, en continuant ainsi, à quarante-cinq à l'église. Je me suis garé sur une « non » place, face à la porte, que j'ai poussée. Grande ouverte, je suis passé en prenant mon temps et j'ai refermé derrière moi. Avec la résonance et le grincement de la porte, j'étais sûr que tous les bons chrétiens présents, ne pouvaient qu'être avertis de mon arrivée. J'ai avancé avec classe, claquant mes talonnettes sur le sol froid jusque devant le prêtre, que j'ai regardé avec sérénité. J'ai balayé la salle du regard avec l'air rien et, me précipitant pour regarder ma montre, genre mec bien sous tous rapports, j'ai crié : « Merde ! Je suis en retard ! »

J'ai pu voir la tête du prêtre se décomposer devant l'attitude d'un vieil ami et sa perplexité était flagrante, quand il me scrutait de haut en bas, en priant pour que ce ne soit pas vraiment moi.

Ne vous interrompez pas pour moi ! Je vais m'asseoir, ai-je dit plus calme

Quel culot ! murmure une femme derrière moi

En me retournant, j'ai pu constater que je ne connaissais ni cette voix, ni ce visage. Laissant Satan me posséder, je l'ai regardée droit dans les yeux, tout en espérant paraître aussi hautain que je le désirais, et lui murmurant dans un souffle :

Pff, touriste !

Après ces mots et content de moi – et sans que cela ne se voit – je suis allé prendre place au bout de la rangée, occupée par cette même femme. Durant la messe retardée, j'étais très sage. J'étais le bon chrétien pratiquant, que j'ai toujours été, mais mon esprit se torturait pour savoir quoi faire après.

Une fois la messe achevée, les croyants se levaient, et discutaient avec le petit cousin de la voisine de la tante, comme leurs habitudes, se racontant les potins de la semaine, et ce jour j'en étais le sujet. Je n'étais pas stupide, mais ils croyaient vraiment être discrets à tous me regarder, quand je passais devant eux. Moi, je n'avais pas envie de parler, car ce jour-là, j'étais snob. C'est comme ça, il y a des jours avec, et des jours sans. J'ai traversé l'allée pour directement sortir du bâtiment et là, mon Père. Eh bien oui ! Il se devaient de saluer les gens qui sortent, rien d'anormal. Et je l'ai vu venir, le bougre, oh oui ! Il m'a regardé l'approcher d'un air inquiet, encore moins discret que tous les fidèles autour de lui. Parvenu à sa hauteur, heureusement, j'avais eu tout le temps pour préparer mon speech.

Bonjour mon Fils !

Bonjour mon Père. Comment allez-vous ?

Bien, bien. Et toi ? Ça ne doit vraiment pas aller, hein... me demanda-t-il, soucieux.

Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? Je vais très bien , mieux qu'avant !

Ah vraiment ?

Assurément mon Père ! Je pète la forme, comme disent les jeunes. Oh, d'ailleurs, je tiens à vous informer qu'il ne faut plus vous attendre à me voir à l'église désormais.

Pourquoi dis-tu cela ? Je croyais que ça allait.

Ah mais justement ! C'est parce que je vais bien que je ne souhaite plus venir ! Je vais profiter de la vie, pas comme tous ces petits vieux avant l'heure... Oh pardonnez-moi, ce n'est pas pour vous offenser, mais... Quand un alcoolique est sevré après sa cure, il est inutile qu'il y reste pas vrai ? Il recommencera certainement, un jour ou l'autre, mais en attendant sa rechute, aucune raison de le garder. L'important, c'est que l'ivrogne croit à une nouvelle vie ! Quand on y réfléchit, c'est un peu un effet placebo… Enfin bon, je ne vais pas m'attarder davantage, non pas que vous ayez grand-chose à faire mais, moi désormais, je suis overbooké. Bonjour à vos enfants ! Ah, mais non, suis-je bête...


Comme à la boulangerie, je suis parti rapidement avant qu'il n'ait le temps de répondre, et j'ai repris ma monture. Prenant une grande inspiration, je me souviens m'être demandé : « Et maintenant ? » Je savais que mentir était péché, mais, pour la première fois de ma vie, j'avais enfin menti à un prêtre. Je n'avais en réalité plus rien à faire, ou tellement que je ne savais par où commencer. Peut-on réellement dire que j'ai menti, dans ce cas ? Contrairement à la semaine précédant l'annonce de mon cancer, où toutes mes journées étaient programmées à l'avance, chaque heure de chaque jour, je savais ce que je devais faire. Mais j'emploie le verbe devoir dans un sens qui ne lui correspond pas, car seule la routine m'imposait ces activités. Et je découvre enfin ce qu'on peut ressentir quand on ne doit rien. J'avoue que, même si sur l'instant je n'avais pas saisi d'où venait cette sensation, le fait de n'avoir rien de prévu me perturbait. Que faire de ma peau ? Il fallait que je prenne l'habitude à avoir le choix. J'ai donc enclenché la première et j'ai commencé à rouler.

J'ai pris l'autoroute, et suis parti en road trip, ne possédant rien de plus que ce que j'avais sur moi. J'ai pris la direction de villes dont je ne connaissais que le nom ; aussi déroutant cela puisse paraître, j'ai eu la réelle impression de me lancer dans une folie, c'était le pied. J'ai roulé le sourire aux lèvres jusqu'à la dite ville, où je ne me suis arrêté que pour combler un besoin élémentaire, sur le coup de midi, et suis reparti aussitôt. Je pouvais désormais m'arrêter sur un coup de tête afin de profiter de tout, de la vue d'animaux sauvages ou simplement d'un endroit charmant. J'avais la chaleureuse sensation que la vie me souriait en tout point – ironique, n'est-ce pas – mais je sais que la source d'un tel sentiment n'est que psychologique. Le fait de ne penser qu'au moment présent, le frisson procuré par la perte de lourdes responsabilités, en sentir les conséquences s'évaporer... Mais cela n'est possible, à ce point, qu'en étant soit seul, soit un salaud. Sachant que je ne pourrais me résoudre à être crédible, ne serait-ce que lors d'une discussion, traînant quelque peu en longueur, avec des amis de longues dates. J'ai préféré m'en aller là où nul ne me connaissait. Oui, j'étais connu dans mon quartier pour mon comportement exemplaire et mon amabilité... Ma gentillesse. Je n'étais pas encore prêt à les décevoir. Je voulais me fondre dans l'anonymat des grandes villes, où l'on vous rencontre, connaît puis oublie. J'aimais ce principe de l'oubli. Je n'avais pas l'envie de garder le souvenir de ces gens, pas plus qu'il n'en garde un de moi. Je voulais juste éviter tout regret pour ma fin de vie, me faire une faveur rien qu'à moi pour la première et la dernière fois... Plus je sentais l'adrénaline de la folie de l'instant monter en moi, plus mon pied écrasait la pédale d'accélérateur. Je voyais les kilomètres défiler à une vitesse que je croyais réservée aux films d'action. A la hauteur d'une côte, je me voyais, surplombant la ville de lumières, de celles qui allaient guider ma soirée. J'ai commencé à ralentir à l'entrée de la ville pour mieux repérer les lieux. J'ai cru entendre quelques tam-tam, alors pour vérifier, j'ai baissé la vitre. Je me suis laissé guider par cet air musical, qui m'a entraîné à la sortie de la ville. La pelouse stade, tout éclairée elle aussi, était noir de monde. Je me suis garé pour aller faire un tour, curieux. Ils y avaient tous types de gens ; des jeunes et des moins jeunes, des bruns, des roux, des blonds... De tout. Je me suis frayé un chemin, d'abord pour me désaltérer. Avec une bonne bière fraîche, je me suis incrusté dans une bande, histoire trinquer. J'y suis allé tellement détendu qu'ils ne se sont pas le moins du monde sentis agressés. Nous nous sommes ainsi vite mis à rire de concert. C'était des gens que je qualifierai de « bas d'esprit ». Sans aucune méchanceté, ils étaient fort sympathique, mais je me permets d'être francs envers ces gens que je ne reverrais jamais. On peut trouver cela ironique, mais la franchise est plus aisée envers des inconnus. Nous cherchons à protéger nos proches en leur masquant la vérité, mais franchement... Ce n'est pas sérieux. Je vais vous raconter mon histoire.


Quand ma femme et moi avons emménagé, nous étions très jeunes, très amoureux. C'était dans les années soixante-dix, l'époque des seins nus sous les débardeurs. Ma femme a suivi la mode de ces années hippies, mais moi, comme déjà évoqué, je me suis toujours interdit ce genre de détour. Notre premier cocon en était vraiment un, du fait de sa taille, et la chaleur qu'il nous procurait. Peut-être était-ce lié, peut-être était-ce une impression, mais cela nous obligeait à nous rapprocher... Nous étions très proches à cette époque, un peu trop même quelques fois. Surtout une fois, quelques mois après notre installation, elle n'a plus supporté ma façon casanière de vivre et elle est partie, dans un van farcis d'amis hippies, faire la fête pendant trois jours. Pendant ce temps, j'ai traversé trois phases : d'abord, j'ai fait le fier, sans rien montrer, celui qui s'en fout. Le deuxième jour, j'étais tellement paranoïaque, qu'à la fin ce n'était même plus en rapport avec ma femme. Et le dernier jour, j'étais colère... Je suis allé rendre visite à mes beaux parents, et je leur ai dit qu'Annie était morte d'une overdose. Je voulais juste les accabler, pour partager ma peine paranoïaque devenue fureur. Je ne suis pas vraiment fier de cela, je ne l'étais pas plus à l'époque quand ma femme est rentrée, mais je lui ai tout dit. Après une belle baffe, un bon sermon et une explication auprès de ses vieux, j'étais finalement content de ne rien lui avoir caché, qui sait comment cela aurait pu fini. Mentir, c'est admettre qu'on se reproche quelque chose. On ne peut reprocher à quelqu'un ce qu'il assume. Tout est dit ! Alors pourquoi mentir ? Et pour ça... Je ne connais pas assez les hommes pour le savoir.


Donc mon histoire aboutie à la conclusion, que la franchise envers notre entourage est gratifiante. C'est le même principe, bien que ce ne soit pas exactement la même chose. De toute évidence, ceux qui interprète mal une remarque honnête doivent se mentir à eux-même, ce qui n'est pas le meilleur pour leur moral. Certains semblent penser que l'on vit mieux en ignorant les détails qui nous rendent unique ; c'est idiot ! Mieux vaut les accepter, vivre avec et non s'imaginer vivre sans. Enfin, je ne vais pas faire l'ignorant, moi qui ai été bercé dans les milieux mondains, je sais qu'il existe le politiquement correct entre gens corrects. Mais là, nous ne parlons ni d'amis, ni de famille, ni même de connaissances. C'est une autre catégorie de personne, caractérisée par les langues de putes, les traîtres, les « baveurs » et autres snobinards horripilants. J'étais vite écœuré par cette superficialité qui ne me correspondais pas. C'est en cela que ma femme m'a sauvé, en un sens. Elle a toujours été très naturelle. Elle n'a jamais sur-joué, peut-être même jamais simulé, elle était incroyable pour ça. Elle avait le don de nous mettre à l'aise, tous les garçons rêvaient d'une sieste sur ses genoux chauds. J'aime ma femme comme un dingue depuis cinquante ans, comme quoi... Et elle n'était pas du genre à se mentir, c'était pour cela que l'on pouvait lui faire toutes les remarques qui nous semblaient justifiées, positives ou négatives. En revanche, elle avait le coup de poing facile envers tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une insulte. Enfin, je pourrais faire un deuxième tome rien que sur ma femme... Le point commun entre Annie et ces bons gaillards saouls comme des trous, c'est qu'ils recevaient les remarques de la même manière, comme d'ailleurs les insultes... Plus tard dans la soirée, j'ai eu l'occasion de voir l'un d'entre eux mettre à bas un faux loubard venu chercher les ennuis. Il est reparti la queue entre les jambes sur les rires exagérés de ma bande provisoire. Je les ai vite abandonnés, certain de ne pas pouvoir les retrouver ensuite, pour aller voir un peu le reste de la fête.

J'ignorais toujours la cause de cette soirée, d'ailleurs. J'y ai vu des gens bourrés, quelques enfants perdus, et de l'autre côté, un petit chapiteau blanc était ouvert. Ça ressemblait à un cirque manouche, et par curiosité, j'y suis entré. Une odeur m'a sauté au nez dès que je me suis approché. Alors est apparu au milieu du chapiteau, des gens, certains déguisés en animaux, d'autres vêtus de loques... Je ne comprenais pas l'ampleur de la scène. Un gars costumé en chef de cirque, armé d'un grand fouet, guidait les « animaux » dans leurs tours, et les esclaves demeuraient dans leur cage. J'attendais de voir ce qu'ils allaient leur demander. Quand le clown eu fini son manège enchanté, il se retourna vers ses humains avec un grand sourire sadique, accentué par ses petites moustaches noires, et il cria bien fort : « C'est l'heure du sacrifice ! » Accompagné des cris de la foule en délire, il s'approcha sournoisement de la cage,l attrapa une des victimes par les cheveux et la traîna dehors, suivi du public. A ma grande surprise, tout le monde se déplaça, même les bénévoles de la buvette. En les accompagnant, j'ai pu voir à l'arrière du chapiteau une croix plantée dans le sol, une corde posée dessus. Le pauvre gars s'est fait traîner et attaché par la gorge à la croix. En ayant déjà trop vu, je suis parti en vitesse, laissant tous ces fous à leurs occupations.

Voilà, maintenant, vous me percevez comme un salaud, mais je comptais bien appeler la police dès que possible, voilà qu'à peine je partais, que je croisais les sirènes, roulant à tambour ouvert vers le stade. Ma peur me fit quitter la ville, et un peu dégoûté par cet amuse bouche, j'avais quasiment envie d'aller me coucher... Mais, en arrivant Guingamp, et au regard d'un bar qui semblait fort sympathique, je m'y suis posé quelques heures. J'y ai vu passer pas mal de monde, mais il en était un qui y demeurait, c'était Stéph'. Stéphane, c'était le patron du bar. Avec lui, j'ai reconstruit un monde que j'espère retrouver une fois de l'autre côté. Inspiré par la foule qui passait, nous avions l'impression d'être spectateurs d'un film, défilant sous nos yeux. J'ai toujours préféré les livres, en cela, eux restent. Et puis c'est autre chose, c'est plus intime, c'est une relation fusionnelle entre nous et les personnages. Je garde un bon souvenir de ce bar, du patron aussi. Il paraît un peu obtus sur certaines points, au premier abord, mais si on se donne le temps d'approfondir un peu avec lui, on découvre qu'il est plus réfléchi. Il cherche plus profondément, prendre les choses comme systématiquement acquises ne sont pas de son goût. C'est en cela qu'il m'a plu, et m'a rappelé Annie. Elle avait toujours un tas de questions loufoques, mais qui bénéficiaient toutes d'une suite logique. Elle passait des heures à me raconter sa façon de penser, que je me remémore maintenant. Je me félicite de l'avoir autant écoutée, cela me permet de poursuivre sans elle. Comme je ne peux retenir mes pensées d'aller quotidiennement vers mon épouse, sa présence persiste, et elle m'accompagnera jusqu'au dernier moment.

Mon énième scotch avalé, un type s'est pointé, voulant se la jouer cow-boy. Il a posé ses mains sur le comptoir, exigeant un whisky à mon pote d'un soir. Il a ensuite tourné sa tête de petit con pour me regarder droit dans les yeux, avec un air si insolent que j'avais envie de lui faire rendre gorge. Mettant en évidence ses dents de lapins, il fit éclater une bulle de chewing-gum, sans que nos regards ne se lâchent. Avant qu'il ne trouve quoi me dire, il fût pris à partie par Stéphane, lui demandant, à tout hasard, sa pièce d'identité. Comme on aurait pu s'en douter, il ne l'avait pas ou ne voulait pas la montrer. Après cinq minutes de cinéma, les gros bras de Stéph' l'ont poussé jusqu'à la sortie.

Franchement, la dernière génération n'est vraiment pas géniale... ai-je dit, stupéfié par sa bêtise

Ils sont pas tous comme ça, me rassurait Stéphane


A la fermeture, je suis allé dormir dans ma voiture, à peine confortable pour le prix. Au matin, bien entendu, j'avais la gueule de bois et les yeux cernés. J'étais sale, je le sentais. Je ne sais pas si c'est par manque d'habitude, mais pour moi les lendemains de fête ont un sale goût ! On se sent poisseux de partout, et on a le sentiment d'avoir... « le souffle violent d'un printemps pourri », pour reprendre les mots de ce vieil anar', écrivant bien mieux que moi. Étrange peut-être, mais je n'ai pu apprécier ses chansons qu'à la fin de ma vie. Disons que dans ma vie active, je faisais plutôt partie de ceux qui recevaient les pavés. Enfin, j'ai depuis gagné plus en second degré et je me surprends, en écoutant ses textes, à rire seul, ou plutôt avec lui. Pourtant je ne doute pas que si je l'avais croisé, un jour du côté de la Porte d'Orléans, au cas où nous aurions parlé, la discussion aurait été musclée. Disons que le poltron, cireur de pompe pour un grade que j'étais, n'aurait pas trop été en accord avec sa politique révolutionnaire. Qu'importe ! J'ai toujours méprisé les rebelles, ceux qui passaient leur temps à rêver et à réinventer le monde à leur image, les « soixante-huitards ». J'ai toujours également méprisé les utilisateurs d'expressions populaires. C'est se servir de formules toutes faites pour s'exprimer et je trouve cela navrant. Malgré tout, il y en a une que je n'ai comprise que dernièrement, après l'avoir entendue dans la bouche de prolétaires,. « Il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis. » J'ai toujours connu mon père bourru, une vraie tête de mule, et je n'ai pas souvenir de l'avoir déjà entendu changer d'opinion, après un quelconque débat. Il est toujours resté sur ses positions, parfois même durement, mais l'éducation, à cette époque, était généralement plus stricte. Je n'ai aucun de mal à me dire, en ce sens, que mon père était un con. Ainsi, je suis d'autant plus content de ne pas avoir reproduit au moins cette erreur, en m'étant ouvert à d'autres modes de pensées. Qui plus est, je m'y suis retrouvé bien plus à l'aise que dans le politiquement correct, et l'hypocrisie...

Je ne pourrai plus, désormais, aller de paire avec la société et avancer pour elle, marcher dans le sens des groupes sur-dimensionnés, contrôlés par une infime minorité, contrôlant le reste du monde. Je ne peux plus fermer les yeux sur toutes les injustices que les Hommes ont inventées, et auxquelles j'ai participé. Aujourd'hui, je me demande ce qui motivé ma femme à s'accrocher à moi jusqu'à la fin. Si je pouvais remonter le temps, je participerai à ces débats utopiques, entre elle et ses amis, plutôt que de me fermer à toute discussion, ou tentative de compréhension. Peut-être n'avez-vous jamais eu l'occasion de parler à des électeurs du Front National ou des opposants au mariage homosexuel, mais j'étais vraiment comme eux. Oui, car moi aussi je ne cherchais pas à comprendre les autres, ni à m'intéresser à leur ressenti. Je ne voulais même pas écouter les arguments adverses, et maintenant je sais pourquoi. Durant mon éducation, on m'a inculqué ces valeurs d'être supérieur et j'ai éprouvé de grandes difficultés à en démordre. J'étais persuadé de détenir la vérité, mais en réalité je m'appuyais sur des choses infondées. Et c'est pour cela que nous craignions les arguments qui pourraient contrer nos idées. En effet, si l'on approfondi un peu, il est flagrant que nous sommes à côtés de la plaque. À moins d'être dans un déni total, illogique et bancal. Voilà pour ceux qui ne comprenait pas les silences de Marine Lepen, parfois, ne pouvant tout simplement pas défendre ses idées face à des arguments censés, ses idées n'ayant pas de fond. Et cela en résulte un paquet d'ignorants, comblant leurs lacunes avec la première connerie qui passe au bon moment, autant dire qu'ils se fichent de savoir ce qui est juste ou non, l'important étant d'avoir des « convictions » … et des ennemis. Je suis bien placé pour savoir que, quand on est un ardent du Front National, il faut aimer détester. Sans forcément comprendre pourquoi, il faut haïr. Personnellement, comme de l'hypocrisie mondaine, j'ai vite été lassé de prendre garde au moindre mot, ou petit geste. J'avais beau être très jeune, déjà ceux de mon âge imitaient les langues de bois, leur servant de parents. Il se regroupaient par deux ou trois, uniquement pour juger les invités. « T'as vu celle-ci, avec son brushing, on dirait qu'elle a dormi avec ! » « Franchement, il croit qu'on ne voit pas qu'il a grossi ? » Avec le plus grande mépris, ceci étant un peu le but du jeu... Mes exemples de citations sont issus de ce que j'ai pu me souvenir, des imitations enfantines. Veuillez me pardonnez si, un instant, j'ai paru un peu ridicule avec des répliques dérisoires. Reprenons.


Je suis sorti de ma voiture, après avec lutté contre le sommeil durant une bonne demi-heure, en étant tout à fait conscient de ma tête. J'étais garé à cinq cents mètres du bar, en pleine ville. N'osant sortir avec ma tronche à faire peur, j'ai conduit jusqu'à la sortie de la ville. Je me suis trouvé un coin de nature, et au delà ce vert, une petite rivière, bien dissimulée, m'a tout de suite séduit. Je me remis un minimum en ordre pour être présentable, et je suis retourné au bar. Juste pour un café ! J'ai vite repris la route, mais c'était décidé, à l'avenir j'irais à l'hôtel. Je n'avais pas vraiment envie de voir du monde, alors je me suis contenté de rouler au hasard, durant une heure. C'est le temps qu'il m'a fallu pour m'apercevoir que la route me saoulait, et que de m'arrêter, ne signifiait pas obligatoirement de côtoyer des gens. J'ai bifurqué par des routes toujours plus petites, sans même faire attention à autre chose. Je suis allé voir la mer. C'est ridicule quand on se dit que je viens de Locronan... Mais je n'avais pas eu de tête à tête avec cette reine bleue, depuis l'époque où je fuyais le nid familial. Que ferait le monde sans cet étendue ? On le sait bien, mais cela n'empêche pourtant pas les humains de la gaspiller sauvagement. Sur l'écologie, j'ai toujours été assez lucide – c'est déjà ça. La cruauté de notre espèce envers la Terre qui nous supporte m'a toujours interpellée. Je n'en saisi même pas l'intérêt ! Quel homme donnerait, chaque jour, des coups de hache à son chalet, jusqu'à ce que celui-ci tombe en ruine ? Ce ne sont que des petits gestes réguliers qui pourrissent l'air commun. Et même pour ceux que cela emmerde, l'écologie, dites-vous que d'autres devront vous survivre ! Et que pour le simple respect d'autrui, l'immoralité va de jeter ses détritus, jusqu'aux marées noires. Là, au moins, sur le bord d'une falaise, je ne voyais que l'horizon. Seul le vent me caressait les joues, et la chaleur du soleil se diffusait sur mon corps. Si plus de gens prenait le temps, de profiter de ces moments seul avec Elle, le monde s'en porterait sûrement mieux. C'est tellement agréable de se laisser bercer par sa douceur naturelle, qui nous recouvre comme une enveloppe protectrice ; c'est bien une matriarche, notre Mère à tous. J'ai fini par la laisser, pour un moment, afin de rejoindre le village du coin. J'ai pris quelque chose à grignoter à la première boulangerie, et je suis reparti aussitôt. J'étais songeur, je roulais pour me donner du temps, pour penser. En traversant une ville, j'ai aperçu un disquaire. Persuadé de leur disparition, je ne pu résister. Une fois entré, j'ai balayé du regard la discothèque. Je regardais à la fois le décor, et les produits à vendre. Quasiment arrivé au comptoir, j'ai abrégé ma course pour aller directement m'adresser à lui.

Bonjour ! Je tiens à vous dire avant toutes choses que je suis heureux de trouver encore des disquaires ! Et pour vous encourager, je ne peux pas repartir les mains vides. Dites moi un peu ce que vous avez là !

Bien monsieur, répondit-il en riant. J'ai reçu dernièrement du Renaud, son come-back a ravivé l'enthousiasme des fans !

Tiens, tiens, marmonnais-je.

P'is 'y a pas mal de gars, ici, qu'aiment bien les trucs à l'ancienne, comme vous. Alors ils préfère venir chez moi, commander leurs vinyles.

Vous n'avez du Renaud qu'en vinyles  ? Je suis sur la route, donc, pas de platine-disque.

Non, non ! J'ai de tout, beaucoup me demande des CD. La mode des vinyles revient, mais encore faut-il avoir de quoi les écouter.

Alors, si possible j'aimerais tous ses albums, annonçai-je. Qu'avez d'autre ? Ça, c'est quoi ?

Lapointe, Brassens, Leforestier, Ferré...

Mettez-moi tout ça.


Après une bonne demie-heure de marchandage, j'ai rejoint ma voiture bien accompagné. Vous vous doutez bien qu'à ce moment-là, je partais à la découvertes de ces artistes. Mon inculture a d'ailleurs eu l'air d'amuser le vendeur ! Évidemment, toute cette écoute n'allait pas me donner envie de sortir de mon véhicule... Alors j'en ai profité pour partir une bonne fois pour toute de Bretagne, frontière que je n'osais franchir. Je suis parti en direction du Nord, traversant la Normandie, dans un premier temps. J'étais intimidé à l'idée quitter de mon territoire si familier, notre dernière longue séparation remontant à mes 14 ans. À la nuit tombante, ma vue fatiguée me contraint à m'arrêter. J'ai trouver une auberge, sympa, surtout très calme. Je suis reparti dès le matin, après un solide petit déjeuner. J'étais si mal-à-l'aise que j'ai commis l'erreur de me laisser tomber en panne sèche. Je me suis maudit, quelle stupidité. J'étais coincé comme un con, avec ma super bagnole en rade, au bord d'un fossé de la R.N. 13.
















CHAPITRE DEUX






J'ai omis de signaler que j'étais sans téléphone portable, et inutile de préciser que personne ne s'arrêtera pour vous, sur ce genre de route. Enfin, moi c'est comme ça que je procède. Je suis resté deux bonnes heures près de mon allemande, quand j'entendis un boucan d'enfer. Un van pleins de jeunes, fumant les vitres ouvertes, et la musique à fond. Ils m'ont rappelé les amis d'Annie... Et ils se sont arrêtés à ma hauteur, m'ont dépanné pour l'essence, puis m'ont invité à boire un coup une fois tout cela résolu. Ils étaient sympathiques et accueillants, me mettant presque mal à l'aise, au début. Évidemment car, face à leur attitude si bienveillante, je n'éprouvais que des remord quant à ma malveillance passée, vis à vis des gens de leur espèce. J'ai eu du mal à dissocier les amis d'Annie et... les miens. Mais une fois brisée la glace, nous décidâmes de repartir ensemble : je les suivais et la nuit, ils me faisaient une petite place dans leur van. J'avais tellement le sentiment d'être adopté, que la tension est finalement redescendue, et nos relations devinrent naturelles. Je n'avais jamais vécu quelque chose de semblable auparavant, comme dans un clan où on s'y sent chez soi tant qu'on est en leur présence. C'était beau, ça m'émeut encore en l'écrivant. On est vite critique envers les jeunes, mais si on délaisse les petits cons, on en découvre pleins d'autres, très intéressants et pleins de ressources. Ceux-là avaient décidé de prendre une année sabbatique, à cinq, dans le VW d'un d'eux, et partir à la Into the wild. En constatant 'ils n'allaient pas jusqu'à tuer et vider un animal pour se nourrir, ils en avaient néanmoins un rythme de vie fort intéressant. Je les ai suivis durant deux semaines, qui ne furent pas de tout repos ; j'avais l'impression de revivre.

Nous avons pris la route jusqu'au parc naturel régional de Normandie-Maine, et c'est à ce moment-là que l'aventure a réellement commencé. L'ambiance s'y prêtant, nous fîmes du camping sauvage, voire à la belle étoile quand le temps se montrait clément... Les deux, trois premiers soirs, je ne me suis pas vraiment lâché : j'ai à peine bu et je restait en retrait. Au cinquième jour, cela devint un peu plus cocasse. Tout d'abord, c'était le premier jour de ravitaillement, ce qui impliquait d'aller faire des courses en ville. J'y suis allé avec les deux garçons, Jules et Paul, pendant que les filles s'occupaient du bois. Elles avaient un côté très féministes et « anti-clichés », mais cela ne me gênait pas. Nous devions partir en début d'après-midi, mais personne n'avait vraiment envie de se confronter à la société. Alors nous avons traîné, un peu... Ils ont fumé un joint, ou deux... J'ai tiré dessus, un peu. Je conduisais, nous voilà partis. L'épais brouillard me troublait la vue, déjà bien atteinte. Perdu dans mes pensées, qui cherchaient peut-être à me mener vers un monde meilleur, je ne vois pas le premier rond-point et coupe à travers,... Heureusement, il n'y avait pas grand monde. En me garant devant la supérette, je frôle une petite voiture, rien de trop grave en somme. Enfin, si l'on relativise la gravité au regard du prix de la voiturette. Je n'avais pas compris de suite. C'est en revenant, voyant un attroupement autour de mon véhicule, que je me suis posé quelques questions. Elles étaient assez brouillonnes, comme mes mots, tant pis. J'ai tout de même essayé de leur bredouiller quelque vers, ne pouvant plus m'exprimer normalement – tout en étant certain que leurs connaissances intellectuelles ne leur permettraient pas de tout saisir. Des souvenirs qu'il m'en reste, ils avaient l'air fâchés. Il y avait une vieille, grosse dame, un fil de fer ridicule, caché derrière ses cheveux, accompagnée d'une pétasse. Ils m'ont donné mal au crâne en déblatérant des phrases imperceptibles pour moi. J'ai alors bien vite sorti quelques billets, afin de les faire taire, et nous sommes repartis, les laissant calmés.

Une fois rentrés, on ne voit pas les filles. Nous regardions tout autour du campement, les appelant. Inquiets, nous devions voir ce qu'il en était, nous avons donc rapidement enfilé nos bottes et sommes partis à leur recherche. Nous ne savions pas trop à quoi nous attendre, si nous devions nous soucier ou pas. Nous ne blaguions plus que pour des choses puériles, n'osant imaginer le pire. C'est après une longue marche, traversant une vallée sans fin que, dans une réserve improvisée, nous avons retrouvé les gonzesses, au milieu de tipis. Un calumet de la paix, des plumes, un totem ; on s'y croyait. C'était tout petit, deux ou trois tipis abritant chacun deux personnes. Et puis, il y avait ce chien. C'était un vieux clébard usé, un berger des Pyrénées boiteux. Je n'ai pas osé demander s'il avait un œil de verre, de peur de paraître idiot, mais j'en avais l'impression. Ça ne l'empêchait pas d'avoir un regard glaçant, qui me mettait mal-à-l'aise... Les filles, elles, s'étaient réchauffées à en croire leurs tenues légères, tout en étant écroulées de rires. Un rien les relançaient, précisons qu'on les a trouvées seules, avec le calumet.

Le clan est ensuite revenu, peinturluré pour se fondre dans le décor. Je crois qu'ils cherchaient d'abord à nous faire peur en s'imposant, et cela fonctionnait plutôt bien sur moi. Ils n'avaient pas grand chose à faire, mais j'aurais juré qu'ils s'étaient entraînés pour afficher un tel regard ! Rapidement les masques sont tombés, alors nous sommes restés avec eux jusqu'à la nuit. Nous avons tant zigzaguer sur le chemin du retour, que nous avons dû faire deux fois plus de route. Vous imaginez bien notre état, après plusieurs heures passées chez les Indiens... J'ai bien dit « notre état », car, débutant peut-être, je n'y suis pas allé de main morte ! Par contre, je ne vous cache pas l'état comateux qui s'en suivi, incomparable avec celui du tantôt. Pour terminer la soirée, nous avions la vodka achetée dans la journée. Ce sont les garçons qui l'ont choisie, bien sûr, en me précisant ne jamais en boire une autre que celle-ci, à l'herbe de bison. Après cela, mes souvenirs se brouillent et je pense avoir bien vite rejoint les bras de Morphée, me réveillant exactement au même endroit, le lendemain. Réveil d'ailleurs peu banal, secoué par un policier. J'ai vaguement ouvert les yeux, juste assez pour apercevoir quelques flics réveiller mes copains. Ils nous ont embarqués dans cet état au commissariat d'Alençon, après nous avoir demandé nos papiers.

On s'est retrouvé tous les six, alignés sur un banc, le froid nous tenaillant. Dans un couloir, face à un mur gris, on attendait notre tour. Quand enfin il arriva. Un petit mec en costume nous reçu dans son bureau, flanqué de deux représentants de l'ordre, qui se tenaient derrière nous. Il nous parle de camping sauvage, de détention de drogues, tout de suite, juste un peu de cannabis. Mais ils n'incluent pas l'alcool dans les drogues, alors que, franchement, il n'y a pas grande différence. Ce dernier a détruit bien des vies, de façon parfois très gore Quoi qu'il en soit, s'ils ne la légalisent pas dans les années à venir, ils ne le feront jamais. Et qu'importe si j'ai tort, je ne serais plus là pour le voir !

J'ai endossé la responsabilité, histoire que les mômes partent tranquilles. Les flics n'y croyaient qu'à moitié, mais ils ont fini par faire avec. Je n'avais encore jamais dormi en prison. Ils ont été clément à la lecture de mon casier, vierge, et surtout en raison du maigre butin issu de leur fouille. Je n'ai écopé que d'une détention provisoire. Ils m'ont gardé cinq jours – il était prévu une semaine, mais mon comportement exemplaire a allégé ma peine. C'était supportable, une expérience de plus. Je n'ai subi aucun violence, et n'ai eu aucun souci avec mes co-détenus, cela était même relativement cool. Je me faisais une fausse idée de la prison, une espèce de concours pour sa survie. À ma sortie, une agréable surprise m'attendait. Jules était là, accompagné Sophie, une des filles de la bande. Ils étaient venus me chercher avec ma voiture, toute propre. Ça m'a ému de les voir, avec leurs sourires angéliques, même si à mon âge, il en faut peu pour vous tirer une petite larme. Nous sommes rentrés tous les trois au campement, où le reste de la bande nous attendait, déjà en fête. Mon retour semblait leur procurer un réel plaisir. Je fus surpris d'un tel engouement, et je m'étais autant attaché à eux. À ce moment, j'ai eu l'impression d'avoir une grande famille.

Je ne l'ai pas encore évoqué, mais ce qui était le grand drame de notre couple avec Annie, c'était l'absence d'enfant. Nous nous étions fait une raison. Ne faisait rien pour l'empêcher, elle n'est tombé enceinte qu'à trente ans passé. À notre époque, on concevait les enfants plus jeune, et quoi qu'il advienne, il valait mieux tard que jamais ! Or, nous pensions que cela nous était impossible, nous y avons donc renoncé. Elle se pliait à la volonté de Dame Nature et ne cherchant pas en avoir un à tout prix. Bien des couples l'acceptent au début de leur relation, puis, de guerre lasse, finissent soit par se séparer, soit par opté pour des solutions moins conventionnelles.

Annie n'a jamais craqué, mais je percevais parfois chez elle cette grande frustration, qu'elle refusait d'avouer. Le soir, avant de me rejoindre, je la voyais regarder son ventre dans la glace de la salle de bain. Je n'ai jamais osé aborder le sujet avec elle, je ne voulais appuyer sur la plaie qui la rongeait. La page était tournée mais quand onze ans plus tard, elle tomba enceinte, nous ne pouvions le garder. Ma mère aussi était très déçue quand elle comprit qu'elle n'aurait jamais de petits-enfants de moi. Heureusement, Charles, mon frère aîné, leur en a fait trois magnifiques, dont ils ont profité longtemps. Ma grande sœur a fait un choix identique, mais par pure conviction. « Oui, enfin, cela revient au même ! » commentait ma mère d'un ton sec. Bien des gens tiennent aux liens du sang, ce qui n'est en fait qu'un détail. Qu'il soit de votre conception ou non, c'est la complicité régnant entre vous qui fera la qualité de votre relation. Rien ne prouve que j'aurais eu un lien identique avec mon propre enfant qu'avec ces cinq-là. J'ai même une preuve irréfutable que le lien biologique n'implique pas une relation saine.


Mon père et sa grande admiration pour son gendre, Guillaume, grand blond avec un sourire niais, qui prenait un malin plaisir à lui lécher les bottes. J'avais la vingtaine, je vivais encore chez mes parents tout en étudiant à l'école militaire. Ma sœur s'était maquée avec ce gars. Elle avait vingt-cinq ans et lui vingt-sept comme mon frère, absent pendant une longue période. Il fût renié par notre père, suite à son mariage avec une prolétaire. Cela suffisait à mon paternel pour qu'il adopte ce « fils aîné » de substitution. Toutefois, mon frère, de retour au foyer avec ses trois enfants et sa femme, peu après le départ de Guillaume, a vite fait oublier à mon père ce gendre. Déjà âgé, il lui arrivait presque confondre les deux garçons, comme une seule et même personne. Le retour de Charles, le fils prodige, se passa d'emblée comme s'il n'était jamais parti. Pour ma part, je n'ai jamais eu droit aux projecteurs familiaux, ma sœur non plus d'ailleurs, ayant qui plus est le tort d'être une fille.

Ce serait mentir de dire ne pas avoir souffert, il m'a fallu trouver la force de renoncer à ce père, avec qui aucune proximité ne serait jamais possible. J'ai toujours eu sentiment de le regarder de loin, d'assister aux scènes de vie familiale de l'extérieur. La perfection ne s'applique qu'à un fils, pour deux cela paraît impossible. Lorsque Guillaume est entré dans notre vie, j'espérais remplacer Charles et j'ai imaginé tout un stratagème. Mais quand le bûcheron a débarqué dans mon univers, je suis tombé de haut. Passé quarante-cinq ans je me suis fait à cette idée, mais sur le moment, découvrir que mon propre père me rejetait au point d'accorder sa préférence un inconnu, a provoqué un électrochoc. C'est le coup de pied au cul qu'il me manquait, pour quitter le cocon familial. Et très peu de temps après l'arrivée de mon « beauf' », j'emménageai avec mon amour. La fuite a peut-être été la cause mon enfermement dans le travail.

Mais n'espérez pas m'entendre regretter une seule seconde passée aux côtés d'Annie. Elle a eu ce don de rendre chaque minute merveilleuse, elle a été la magicienne de ma vie. Si autant de couples craquent de nos jours, c'est à force de se compliquer la vie. Avec ma femme, nous nous aimions et connaissions tous les deux nos sentiments l'un pour l'autre. Partant de ce simple constat, la parole était libre entre nous. Je l'ai trompée, une fois. Vous aurez déjà compris l'immensité de l'amour que j'avais pour elle, mais cela ne m'a pas empêché de m'offrir à une autre. Je lui ai tout avoué, ne cachant aucun détail, et elle m'a cru. La sincérité est toujours perçue par celui ou celle qui vous aime. J'ai toujours eu confiance en ma femme, presque trop. Je savais que seule l'honnêteté avait de l'importance à ses yeux, et il m'était donc aisé de me confier à elle. Elle aussi est allée voir ailleurs, ce qui ne lui a jamais causé de problème moral. Pour elle, l'amour et le sexe était deux choses bien distinctes. Coucher n'engage à rien, aimer englobe tout. Elle m'aimait aussi, alors elle ne voyait pas de problème à batifoler, puisque c'est à moi seul qu'elle réservait sa vie. Comme je l'ai entendu dans une chanson de Renaud, il suffit de le faire sans haine, sans amour, ou tout autre sentiment d'ailleurs. Les gens ne comprenant pas cela ne sont pas prêts à vivre une grande histoire d'amour, comme celle vécu avec Annie.


J'ai passé une très agréable soirée, entouré de mes jeunes acolytes, à m'en faire oublier ma semaine d'emprisonnement. Ils sont doués pour apporter du réconfort et changer les idées. Avec eux, je me sens libre, et c'est une sensation bizarre. Pas vraiment identique à celle ressenti quand j'ai décidé de partir, je sentais comme un vent dans le dos me poussant en avant. J'avais envie de fermer les yeux et me laisser flotter. Je ne voulais pas influencer les événements, comme si tout allait s'enchaîner naturellement. Je n'avais qu'à attendre, et profiter de chaque instant. Nous avons repris la route dès l'aube. Avant que certains esprits chafouins se pose la question, je précise que nous n'avions pas abusé la veille, pour éviter d'être trop « fracass' »...

Nous continuâmes notre exploration forestière en changeant de parc. Nous avons contourné celui de la Normandie-Maine pour rejoindre son voisin : le parc régional du Perche. Nous avons traversé de très jolis villages, encore plus charmant par leur petite taille. Nous avons fait les touristes, histoire d'en rire, et rapidement sommes repartis en expédition. La nuit tombée, on laissait les voitures, afin d'explorer les environs à la lampe torche. Nous nous faisions quelques frayeurs, juste pour l'adrénaline. Tous les soirs, nous explorions donc les alentours de notre nouveau camp – nous en changions tous les jours. Nous ne voulions pas prendre le risque d'attirer l'attention, alors nous évitions de stationner trop longtemps au même endroit. Ainsi se déroula notre petite aventure.

Je suis resté avec eux quatorze jours après ma détention. Nous buvions, fumions, et riions beaucoup. J'ai pris conscience de la magie qu'on ressent à vivre la nuit. Le jour nous nous débarrassions des tâches élémentaires, mais indispensable. Dès dix-huit heures, nous nous posions et c'était relâche. Un soir, au bord d'un lac, on s'est installé. On a allumé un feu afin d'y faire griller des marshmallows. Et pour parfaire le cliché de la soirée « feu-de-camp », Paul avait rapporté sa guitare et grattouillait un peu. Il faisait nuit noire lorsqu'une bande de jeunes est venue jouer les gros bras. Je n'ai jamais apprécié la baston, je ne suis pas fait pour ça. Mais ayant tout de même un passé de militaire, je sais me défendre. Quand ils ont commencé à s'en prendre à Paul, prétextant qu'il « jouait de la merde », Jules est intervenu de suite. Je surveillais du coin de l'œil les autres marioles, au cas où ils s'approcheraient trop des filles. Quand l'un d'eux, croyant sûrement la partie gagnée, tenta manœuvre une intimidation. Il s'est placé devant nous, tentant prendre une allure de cow-boy, en jouant du canif.

Pose ça, gamin. Tu vas te blesser, lui ai-je dit tranquillement.

Hun ! tu te prends pour qui, papy ?! répondit-il, sans répartie. Prie pour que j'te laisse la vue !


Je n'ai pu m'empêcher d'exploser de rire suite à sa réplique. Mais, après avoir vu le visage des filles, effrayé, je me suis ressaisi... Le mioche s'est approché de moi, s'imaginant pouvoir me placer aisément le couteau sous la gorge, mais par chance, c'est moi qui lui est mis. Je l'ai attrapé par le gosier et plaqué au sol, puis il ne me restait plus qu'à récupérer sa lame, le voilà échec et mat. Il m'a également semblé sentir une odeur, il faut bien dire que sa tronche ne cachait rien de sa peur. Je me suis dit aussi que, si cela avait été un flingue, j'aurais amèrement regretté d'avoir rendu le mien. Bref, ce n'était que des merdeux. Deux balayages, un étranglement ou une coupure et les voilà s'enfuyant la queue entre les jambes.

Ils ne sont pas très robustes, les gamins issus de cette génération. Même moi, qui suis loin d'être bagarreur – physiquement comme moralement – et compte tenu de mon expérience, je ne ferais qu'une bouchée de ces branleurs. Enfin, je conclurai en disant que cela fût bref. Ne croyez pas que ce fût une partie de plaisir, et tout le monde, moi y compris, a eu peur. J'ai crains surtout pour les enfants, et puis Jules a été légèrement blessé. Il a pris un coup de couteau dans la cuisse, une coupure profonde mais pas dangereuse si bien soignée. Cet incident nous a ramené au campement, où nous avons retrouver nos carrosseries recouvertes de vilains tags. Nous savions bien vers quels auteurs allaient nos soupçons, mais n'avons décider de ne pas nous énerver. Nous sommes passés outre, pour nous concentrer sur Jules. Une si médiocre vengeance ne méritait même pas notre attention.

Ces gars-là sont bien trop jeunes et stupides pour comprendre que c'est un plat qui se mange froid. Le temps laisse place à la réflexion, et évite une vengeance ridiculement mal calculée qui se retourne sur l'expéditeur. Le temps laisse également au destinataire de bâtir son empire et de se croire intouchable. C'est à ce moment qu'il faut le faire tomber ; c'est évident dès qu'on y réfléchit un peu. Mais ma mère m'a dit un jour : « les évidences ne sont pas les mêmes pour tout le monde ». Je ne comprends qu'aujourd'hui, et me rends compte que la logique ne s'acquiert pas, ou difficilement. Il est très surprenant de discuter avec une personne dépourvue de réflexion. En toute franchise, ça ne m'est pas arrivé souvent ; et tant mieux pour moi ! J'ose espérer que leur nombre n'est pas si élevé, mais paraît-il qu'ils se reproduisent.

Après tout ça, nous éprouvions une certaine lassitude, doublée d'amertume. Il s'était déclenché en nous une envie d'action, et toute la bande étant partante, nous nous sommes rendus en ville, histoire de passer nos dernières nuits ensemble. Notre campement toujours installé dans les bois, j'emmenais tout ce petit monde s'éclater. Le premier soir, nous avons atterri au milieu d'une « teuf », drogue à volonté, donc parfaitement illégale. Arrivés par hasard, nous y sommes restés. Je n'ai pas consommé plus que de raison, voulant bien me lâcher mais pas de façon stupide. Enfin un rigolo nous a apporté de l'action. Soûl comme un polonais, il est venu chercher querelles à des types proche de nous. Le hasard se mettait à notre service. Un des gars se décida à repousser ce gêneur, mais par malchance, celui-ci vint nous percuter, justifiant ainsi notre engagement dans la bagarre. Nous avions prétexte à nous battre, nous avons donc attaqués à l'autre bande, le minot compris. Je ne me suis jamais défoulé comme ce soir-là, j'ai tout donné.

Le calme revenu, j'étais lessivé. Comme nous n'avions rien contre ces gars, nous les avons invités à boire un coup, histoire d'apaiser les tensions et d'en rire. À ce moment, l'écart générationnel a joué, parce qu'aucun d'entre eux n'avait aucune envie de sympathiser après coup. Alors, chagrinés, on est reparti, on a traîné en ville pour oublier. On avait quelques bouteilles pour nous y aider. On marchait en ligne dans la ville endormie. Ayant atteint un bar ouvert, nous y sommes entrés. Sans être bondé, il y avait pas mal de monde à l'intérieur . Nous nous frayâmes, sans trop de difficulté, un chemin jusqu'au bar, constatant qu'un petit remontant nous était nécessaire. Nous étions déjà bien faits, et la nuit était loin d'être terminée. Le patron a fini par nous demander de dégager, vu notre état, et notre résistance nous valut quelques bourre-pifs, pour la même issue. On s'en est tout de même amuser. Les soucis ne nous posaient plus de problèmes.

Nous avons poursuivi notre promenade sur le pavé humide de petites rues. Il n'y avait foule, à l'exception de quelques clochards, prostituées, et quelques autres. Il devait bien y avoir quelques dealers aussi, sans certitude. Dans le cliché du mec qui quitte tout pour s'éclater, on y inclut généralement le fait qu'il aille aux putes. En toute honnêteté, ça n'a jamais effleuré l'esprit. Ce n'est pas de la fausse pudeur, mais l'idée d'avoir une relation tarifée ne m'a jamais excité. Je n'en avais tout simplement pas envie, comblé par l'amour d'Annie qui perdure après elle. Cette idée ne me vint pas tout au long de mon long voyage, ce n'est qu'à son issu que j'ai envisagé cette possibilité, à laquelle je ne me serais en aucun cas contraint. Je n'en avais clairement pas besoin pour me sentir vivre.

Nous riions, ce qui ne passait pas inaperçu dans ce lugubre estaminet. Plus nous sentions le poids de leur regards nous suivre, plus nous nous en amusions. Il nous fallait peu étant donné le niveau de notre taux d'alcool. L'annihilation totale de peur que nous procure cet état n'est pas bénéfique, il vaut mieux en distiller un peu chaque jour... et garder les grosses cuites pour de grandes occasions. Par crainte, on peut tout de même s'épargner bien des âneries, et les ennuis qui en découlent. Mais parfois, oublier qu'on est pas plus « épais qu'un sandwich SNCF », ça rassure. Ne pas baisser les yeux devant les gros bras qui nous menacent, c'est le meilleur moyen d'aller au casse-pipe ! Mais nous ne voulions pas de blessures graves, n'étant pas maso', suicidaire encore moins ! Notre nuit commençait à souffrir d'un manque d'ambiance, et de musique. Heureusement, les jeunes étaient pleins de ressources ! Sophie nous a sorti une petite enceinte, déjà grosse pour une « Bluetooth », m'ont-ils dit. Elle l'a connectée à son portable – ne me demandez pas comment – me permettant de découvrir que ses goûts musicaux balançaient entre reggae et hard. Deux styles pour lesquelles j'étais totalement et logiquement... ignare. Mais j'étais ouvert à toutes nouvelles cultures alors j'ai dansé, comme sur le bon vieux jazz qu'écoutait mon père. Fils de bonne famille, on m'a appris à danser de façon classique, comme on peut le voir dans le Bal des débutantes, pour me fondre dans le décor dans les soirées mondaines. Cela ne m'a pas empêché de me remuer comme un cul-de-jatte sur mes guibolles, indifférent au ridicule que je pouvais suciter. J'improvisais une chorégraphie sur un air inconnu, accompagné par la bande. Le plus important était de se laisser aller, ignorant toute sorte de jugement. Nous n'en prenions plus conscience, comme avec ceux qui nous entouraient. Nous étions juste pris par la musique...

C'était amusant, je ne pensais pas que la musique me ferait vibrer de nouveau à mon âge, persuadé que c'était réservé aux plus jeunes esprits. Et cela doit être vrai, car à cet instant, je me voyais comme tout, sauf vieux ou mourant. Je me demandais même si j'en avais le droit. Nous avons tendance à choisir nos activités en fonction de notre tranche d'âge, comme : « Le tricot, c'est un truc de vieux. » ou bien « Les boîtes de nuits, faire la fête, c'est pour les jeunes ! » Et pour tous ceux qui s'interrogent ce qu'il y reste aux quinqua' ... le travail. Désolé à ceux qui semble l'apprendre, mais rares sont ceux qui ont le temps pour autre chose. Quelles que soient vos envies, une fois entré dans la « vie active », vous les abandonnerez. Un détail que beaucoup endurent, et qui serait en partie résolu par le revenu universel. Tout ça pour conclure qu'il ne faut pas se cloisonner. Certes, la vie nous offre une période où l'on peut, physiquement, tout se permettre. Mais tout est dans la tête, et vous pourrez fort bien vivre une jeunesse éternelle en gardant votre état d'esprit de vingt ans. Et comme tout est une question d'interprétation, je précise pour les parents, que ce n'est pas une raison pour être irresponsable et causer du tort aux marmots. Penchez-vous sur le film Suzanne, pour comprendre.

Venons-en aux enfants... Il n'est pas politiquement correct de le dire, mais certains devraient s'abstenir d'en faire. Interrogeons-nous sur le fait qu'on est bientôt neuf milliards sur notre pauvre planète. Une population de neuf milliards, c'est effrayant ! Cela devrait paraître évident, mais nous sommes tous un seul et même peuple vivant, sur notre bonne et vieille planète. Et pour si peu d'autres espèces en pour ! Quitte à maltraiter certains animaux en les entassant les uns sur les autres, afin de nourrir nos enfants, pourquoi continuer en parallèle chasse et pêche. Les mers sont désertées, la quantité de bétails produite est excessive, et malgré cela, certains n'ont que leur poing à grignoter. Ces gens sont nos frères ! Si nous n'arrivons même pas à respecter ceux de notre propre espèce, comment y arriver avec le reste des habitants ? C'est pour toutes ces raisons que je suis heureux de ne pas avoir donné la vie.


Avec Annie, nous étions en phase : et laissions la nature décider. Nous faisions l'amour comme bon nous semblait, sans aucun calcul ni contraception. Si elle tombait enceinte, c'était un cadeau de la vie. Elle n'est tombée enceinte qu'à trente-deux ans, nous ne nous y attendions plus. Informés dès les premières semaines, nous avons pris notre temps pour décider. Nous ne faisions qu'un, c'était vraiment exceptionnel. Nous réfléchissions naturellement à deux, quel que soit le sujet. Brainstorming permanent.

L'avortement nous apparût comme la meilleure solution, sans prévenir nos familles. Nous nous décidâmes à priori un coup de tête, mais un mois nous fût nécessaire avant d'en être certains. En dix ans, nous avions évolué. Surtout Annie, qui avait connu de près la vie hippie, ainsi que d'autres courants de pensées... À cette occasion, elle m'a expliqué, arborant un visage que plus jamais je ne lui ai vue, sa terreur quant au monde à venir. C'était l'époque de la guerre froide, et bien que cela ne nous atteignait pas trop, elle en avait beaucoup entendu parler durant ses trois jours de fugue. Elle m'expliquait en larmes qu'elle ne voulait pas d'enfant sachant qu'elle pourrait être, un jour, tentée de quitter ce monde devenu trop moche. Elle était terrifiée par l'avenir bien plus que par la mort, disant : « il n'y a plus de malheurs, dans la mort », pour la paraphraser. Elle préférait le noir au chaos, je pouvais le comprendre. D'autant qu'être dans le noir à ses côtés, devrait me rassurer.

Même habitué à ce qu'elle soit surprenante, ce jour-là, elle m'a scotché. Je découvrais alors cette légère touche de fragilité et de peur, sous cette confiance en elle, et il m'apparût que je devais encore davantage prendre soin d'elle. Ce soir-là, elle m'a touché en plein cœur pour la seconde fois. C'est l'argument final qui fit pencher la balance, occultant totalement tous les autres. L'avortement s'en est suivi rapidement, et ce fût la plus grosse épreuve que notre couple ait eu à surmontée. Nous étions conscients de notre choix définitif, nous n'aurions jamais d'enfants. Cela cimenta également notre union, et si nous n'avions pas été aussi amoureux, nous aurions basculé dans la haine réciproque.

Nous aurions pu être tenté de rejeter cette défaite sur l'autre, mais ça n'a fait que nous rapprocher. Notre intimité était devenue omniprésente, notre fusion était totale, une histoire d'amour comme on n'en voit rarement. C'était beau, j'en pleure en vous l'écrivant ; ce sont des larmes de joie. Je suis bien conscient de la chance que j'ai eue, et depuis son départ, je survivais plus qu'autre chose. Sans paraître déprimé, ni dénué de sens, c'était bien mon cas. Elle n'est plus là, mais les souvenirs perdureront, et vous les conter me la ramène à la vie. Je me replonge dans ces années de vie commune, et vous les faire partager me rempli de bonheur. J'aime Annie, elle méritait tout l'amour du monde... Les mots d'amour de Renaud expriment mieux ce que j'éprouve pour elle, je n'ai jamais été habitué à exprimer mes sentiments. J'aurais voulu que le monde entier la connaisse, elle est sans doute partie trop tôt... Finalement, mon seul regret est de ne pas lui avoir montré à quel point elle comptait. Ma plus grande crainte serait d'imaginer qu'elle ait été malheureuse. Je me torture bien trop depuis que je suis veuf, et c'est sans issue. Je le sais bien mais je dois aimer cela, si c'est pour elle.

Tous ces souvenirs que je me remémorait en me dandinant avec mes camarades, m'ont ému aux larmes. Le remarquant, ils s'interrogèrent sur la cause de mon émotion, alors que Freddie devenait hystérique sur Bohemian Rhapsody. Ayant atteint ma limite, je les laissai s'amuser en prenant une pause. J'ai dû m'endormir profondément, car je ne me souviens que du réveil, provoqué par le soleil en plein dans les yeux.


Mon premier regard fût pour les enfants, encore endormis. Je suis allé nous chercher de quoi nous faire un bon petit déjeuner, ingurgité avec plaisir, afin d'oublier le mal aux cheveux. J'étais heureux, et le souvenir de ce moment si simple me réchauffe encore le cœur. Nous ne pensions pas à l'instant suivant. J'aimais les regarder, tous les cinq, avec leurs sourires angéliques... Cette image restera gravée dans ma mémoire ; j'ai hâte de pouvoir les évoquer avec Annie une fois là-haut. J'ai compris à ce moment ce que peut ressentir un parent : on sent son cœur s'emplir d'émotions si fortes qu'elles donnent envie de s'envoler. Je me sentais si léger en leur compagnie, à choisir j'aurais voulu mourir avant de les quitter. J'aurais voulu partir à ce moment précis, admirant le superbe tableau de mes enfants. Je ne pensais à cet instant qu'à les ravir, afin que jamais leurs sourires ne s'effacent.

Entouré de cette innocence, j'en oubliais presque l'horreur du monde et le vice des Hommes. Je peinais à croire qu'une telle espèce avait engendré des êtres si bienveillants entre eux. Je les observais en retrait, c'était une vraie bande de jeunes, soudés et complices, un vrai clan. Je ne sais pas s'il se connaissaient depuis longtemps, mais j'en déduisis que oui en observant leurs petites attentions. Tous les détails qui montrent à quel point on se connaît. Ils m'ont rappelé mon couple. Leurs délicatesses, les uns envers les autres, ressemblaient à celles qui peuvent exister dans un vieux couple où l'amour brûle encore. A cet instant, ils ne prêtaient même plus attention à moi, et je me faisais discret pour mieux les regarder. Sentant mon amour grandissant pour ces cinq-là, je me suis souvenu de mon idée de départ ; celle de ne me faire que des amis d'un soir qui m'oublieraient aussitôt. Pourtant je ne pouvais m'y résoudre. Avec leur rencontre, j'ai laissé derrière moi cette envie, pour m'ouvrir totalement à eux et me laisser aller. Trop faible pour leur résister, je ne le regretterai jamais !

Compte tenu de notre dernière nuit, nous sommes restés entre nous les soirées suivantes. Au cours une discussion, Charlotte, dont je connaissais le penchant pour les femmes, me proposa de L'accompagner dans un bar lesbien. Les cinq connaissaient mon envie d'expériences nouvelles, et c'est ce qui lui a donné l'idée. Nous comptions bien nous y rendre tous les six, alors le soir d'après elle nous y a conduits. Nous avions quitté le parc naturel la vieille, pour nous installer dans une forêt, plus au Nord. Charlotte était très proche de moi ce soir là, nous nous tenions un peu à l'écart du groupe. Elle m'a beaucoup parlé, j'adorai l'écouter. Bien qu'elle me racontait son histoire personnelle, un peu glauque.

D'abord dégoûtée des hommes par un grand-oncle abusif, elle avait ensuite peine à assumer son attirance lesbienne. Elle m'expliqua que le susdit grand-oncle était pasteur, apprécié de tous, reconnu pour sa gentillesse et sa serviabilité. Il avait donc dû être très compliqué pour elle d'avouer tout cela, à huit ans, et elle m'a surpris par son courage. En larmes, elle a fini par tout révéler à sa mère quelques mois après le commencement des abus. A ma seconde grande surprise, sa mère l'a giflée, outrée par son histoire. Le foutu déni chrétien, qui place un homme au dessus de tous soupçons, puisqu'il te parle de Dieu d'une voix douce. Déjà accablée par les reproches de sa mère et la culpabilité qui la minait, elle du supporté de nouveau les assauts son parent pervers...

Jusqu'au jour de trop, pour la petite personne qu'elle était, puisqu'elle a fugué. Elle a passé quelques semaines dans la nature, se nourrissant grâce à l'argent volé à ses parents. Une fois retrouvée et ramenée par la police, par la « grâce de Dieu » son grand-oncle avait fait un AVC. Alité en maison médicalisée, il est mort quelques mois plus tard. Par la suite, il lui fallut refouler son homosexualité afin de contenter son entourage catholique. On ne peut décidément pas lui en vouloir d'être antéchrist. Et cela ne s'est pas limité à la famille, car placée par la suite dans une école privée catholique. Et lorsque ça se sut au lycée, elle devint le bouc-émissaire des filles de son âge. Cela a ensuite dépassé les barrières de l'établissement, pour parvenir aux oreilles de ses parents, qui l'ont aussitôt emmenée chez le psy. Par bonheur, ce dernier n'étant pas du même monde, il lui permit de vider son sac, pour la première fois de sa vie. Elle lui déballa toute son histoire, sans attendre la énième séance. Elle s'est jetée sur l'occasion, comme elle l'a dit elle-même.


Après m'avoir raconté tout cela, elle a pris ma main pour s'alléger l'esprit. Après un ou deux shot, elle m'a entraîné sur la piste, et on a dansé, les yeux dans les yeux. C'était une belle gonzesse, qui avait d'ailleurs un certain de succès. Rien que ce soir-là, elle s'est vue offrir cinq ou six verres, par des filles intéressées. Je lui en ai aussi offert plusieurs, mais dans un but tout à fait différent. Après avoir découvert cette fragilité, ses blessures, j'ai vu un être à protéger. Elle était une enfant, qui avait besoin qu'on prenne soin d'elle. Elle m'a rappelé Annie, que je croyais au début hors d'atteinte, et qui finalement s'est révélée si sensible. Cette découverte a renforcé mon amour pour elle. Quant à Charlotte, j'étais content qu'elle se soit trouvée une famille sur laquelle elle puisse compter. Elle me fit beaucoup penser à ma femme, avec sa franchise et sa capacité à sourire en toutes circonstances. Même après avoir ressorti toute son histoire, certes aidée par l'alcool, elle m'a dévoilé son plus beau sourire, pour retourner danser. Elle était en phase avec elle-même, consciente de tout ce qu'elle avait traversé et parfaitement capable de laisser le passé derrière. Tout comme ma femme, elle ne voyait que le présent. Annie m'a dit un jour : « On connaît le passé, mais rien ne pourra le changer. Le futur représente l'inconnu. Notre marge de manœuvre se trouve dans le présent ; c'est sur lui qu'il faut se concentrer. » Charlotte avait tout compris malgré sa petite vingtaine, et elle savait également que pour l'heure, elle voulait juste s'éclater.

Si l'on se demande comment profiter de la vie, sans risquer le moindre regret, suivre son instinct, ses envies au moment où elles se déclarent, doit être une bonne option. Je pourrais éprouver des regrets pour toutes ces années « gâchées », à rester dans mon coin, avec comme seul plaisir d'être aux côtés d'Annie. Mais à quoi bon se pourrir ma fin de vie avec des regrets ? Autant regarder le temps qu'il me reste et l'utiliser au mieux. Il est évident que ceux qui ressassent sans cesse en se répétant « si j'avais su... » ne font que ruiner leur présent, et gâcher plus encore ! Vu sous cet angle, c'est vraiment stupide. J'ai été con, mais n'ai jamais vécu dans un autre temps que le mien. Je me restreignait sur beaucoup de choses, mais croyais simplement que c'était mieux, en ignorant le lendemain. Même s'il est compliqué, dans notre société actuelle, de ne rien anticiper. Tout est fait dans ce sens, à commencer par la retraite ! Moi, je n'ai pas à me plaindre au vu de ce que je touche. Mais quand on voit certains cotiser toute leur vie pour mourir juste avant d'en profiter, on relativise. Enfin, le système est ainsi fait, et certains doivent payer pour les autres ; c'est le mode de fonctionnement de toute communauté.

La soirée s'est achevée ainsi, nous sommes rentrés tous les six au campement, où nous nous sommes servis un dernier verre. Nous nous sommes amusés à faire des imitations avant d'aller dormir, et l'alcool a bien inspiré Sophie, à moins que ce ne soit nos hommes politiques qui se prêtent trop bien à la caricature. Nous sommes allés nous coucher, quasiment au petit jour. Bizarrement, j'ai dormi comme une masse durant toutes les nuits, passées en leur compagnie.


Au matin, j'ai traîné un moment, éveillé, avant de me lever. Ma décision était prise ; ce serait ma dernière soirée avec eux. Il était temps pour moi de les quitter, et de continuer mon tour de France. Je me dirigerais vers ce qu'on appelle aujourd'hui les « Hauts de France ». Le seul ch'ti que je connaissais étant M. Boon, ma connaissance de la région était donc proche du néant. Mon unique souhait était de mourir le moins ignorant possible, et n'ayant jamais trouver le courage de me bouger, rien que dans mon pays, j'avais encore du chemin... La seule ville que je voulais m'épargner était Paris, n'ayant aucune envie de béton, de surpopulation et de buildings. J'aspirais à la tranquillité, la verdure, et tout ce qui pourrait me rappeler ce petit village de Creuse où habitait mon grand-père. J'étais émerveillé par tous ces villageois se côtoyant comme s'ils habitaient ensemble. Tous semblaient si bienveillant envers leur voisin, le troc était monnaie courante et personne ne manquait de rien. Leurs relations étaient si naturelles, cela nous étonne, aujourd'hui. Maintenant, même dans d'aussi petits villages, il n'est pas certain qu'on y retrouve cette convivialité. Tout cela paraît aberrant, dans notre individualisme actuel. Mais pour l'heure, mon principal souci était d'annoncer aux enfants qu'on allait se séparer. Mais sans un mot, ils semblaient déjà avoir compris. Nous savions que c'était inéluctable, ils n'ont donc pas insisté. Sans doute ont-ils compris qu'à plus attendre, les adieux n'en serait que plus pénible. J'ai dû retenir mes larmes toute cette journée, afin de ne pas les attrister. Mais le soir, ni les enfants ni moi-même n'avons pu nous empêcher.

Ces garnements m'avaient préparé une surprise totalement inattendue. En début de soirée, j'étais seul avec Manon et Paul dans le van. Ils m'ont demandé de les suivre, et nous sommes partis à pied dans les bois. Le chemin était sinueux et pentu, pour débouché sur un endroit plus plat et dégagé. Il y avait là une table improvisée sur laquelle attendaient des petits fours avec les moyens du bord. Les ingrédients en étaient minimalistes, on y décelait la formation culinaire de Sophie derrière chacun d'eux, rien qu'à la présentation. En guise d'éclairage, deux guirlandes de lampions étaient croisées au dessus de nos têtes, avec un petit feu de camp. Les deux guitares de Paul attendaient dans un coin et ainsi qu'une batterie en boîtes de conserves. Il y avait aussi une chaîne portative, populaire à mon époque. C'était bien l'objet le plus inattendu, je n'ai d'ailleurs pas pu m'empêcher d'en faire la remarque.

C'était à mon père, répondit Charlotte, comme le van d'ailleurs. Il a insisté pour qu'on le laisse dedans en partant.

La soirée musicale a débuté avec un groupe que j'étais censé connaître, d'après les mômes. L'album n'était pas tout jeune, mais je n'en avais jamais entendu la moindre chanson. Apparemment un groupe de jeunes loufoques, en regard de leurs morceaux et de leur nom : Billy The Kick. Sans être un cow-boy, j'ai de suite compris la référence détournée. « Les gamins en folie » ? C'était bien le cas... Nous avons beaucoup ri et dansé, en écoutant leur réel intérêt pour la drogue. Nous étions dans le même état... d'esprit. À la fin du CD, les différents apéritifs nous faisaient tourner en rond. Nous dansions n'importe comment, et plus nous riions, pire était la chorégraphie. Quand Billy cessa, je m'écroulai sur le sol, histoire de reprendre mon souffle. À cet instant précis, le regard perdu dans les étoiles, j'ai pensé préférer mourir là plutôt que de devoir subir une journée de chimio. C'est à ce moment que j'ai compris qu'il me fallait rentrer chez moi, m'endormir dans notre lit conjugal. Je devais avoir une tête effrayante, car après dix minutes immobile, les enfants sont venus vérifier que tout allait bien. Je me suis aussitôt relevé, avant qu'ils n'aient le temps de se faire des idées. Je ne leur ai jamais parlé de ma maladie, mais j'avais l'étrange sensation qu'ils le savaient. Aurais-je trop parlé, un soir où je ne contrôlais plus mes paroles? Je me suis ressaisi. Je tenais à profiter de ma dernière nuit avant de les laisser, surtout en voyant les efforts déployés pour me surprendre.

Paul a attrapé sa guitare et nous a joué une chanson de Lynda Lemay, suivie d'une de ses propres compositions. J'ai découvert son côté sensible, dans une chanson de rupture. La rupture est chose commune, surtout de nos jours, mais que je n'ai jamais connue, même dans mes plus jeunes années. Annie aura été la première et la dernière. Trouvez-vous ça triste ? Certains l'ont dit, sans savoir à quel point elle était surprenante. Même sexuellement, elle savait varier les plaisirs... Manon et Charlotte l'ont rejoint pour taper un bœuf, un peu cacophonique, mais le spectacle était sympa. Ils ont fini par me chanter « ce n'est qu'un au revoir », où nous faisions les chœurs avec plaisir, Sophie, Jules et moi. J'ai évidemment fini en larmes, bon prétexte à un câlin général. Je n'étais pas le seul ému, mais ils étaient plus forts que moi pour retenir leurs pleurs. Nous avons décidé de dormir tous ensemble. Mais personne n'avait réellement envie de mettre un terme à la soirée, en s'endormant. Nous sommes donc restés jusqu'à l'épuisement à écouter des Cds. Nous avons terminé en nous rassemblant sous une grande couverture, et nous endormant à la belle étoile...


La nuit fût de nouveau courte ; je n'ai fait surface qu'à midi, avec mal au crâne, légèrement froid, et un sale goût en bouche... Les enfants se sont éveillés peu après, et nous sommes tous redescendus au van, où Paul nous a servi du café. J'ai attrapé mon guide Michelin dans la boîte à gants, pour étudier mon prochain itinéraire. J'ai relevé la tête vers les jeunes. Je n'avais pas envie de les quitter ainsi, au bord d'une route, et bye-bye.

Vous savez... Je n'ai jamais mangé dans un restaurant asiatique, ai-je lancé comme une proposition.

Tu rates quelque chose. Surtout celui de la ville, c'est un vrai resto ! Rien à voir avec la majorité, qui ressemblent à des fast-food asiat', me suggéra Charlotte.

Banco !

Après un rapide débarbouillage, nous nous sommes pointés dans le fameux restaurant. Les autres clients nous suivaient d'un regard inquisiteur, mais quelle importance. Nous nous sommes installés, j'ai essayé de tout goûter. J'ai suivi les conseils de mes jeunes amis, nous avons partagés les diverses préparations de la carte. Je dois avouer que je n'ai pas été déçu ! Je préférais leur dire adieu comme cela, plutôt que dans les vapes. Nous avons réglé et sommes sortis. Nous étions venu avec les deux véhicules, j'avais prévu de prendre la route une fois le ventre plein. Nous nous sommes observés quelques instants sans que l'un de nous ne bouge. Le premier à le faire fût Paul, venant me prendre dans ses bras. Les autres ont suivi et ils m'ont offert tant de chaleur que je la ressens encore. Ils n'ont pas cherché à savoir comment me revoir, comme s'ils devinaient que c'était inévitablement un adieu. C'était plus facile ainsi, pour nous tous.

La seule chose que je leur ai cachée était mon cancer, mais ils se doutaient certainement de quelque chose. Ils ont préféré ne rien demander, c'était en effet préférable. Ils m'ont surpris par leur sagesse et leur perspicacité, tout au long de notre aventure. Je crois qu'aucun de nous ne trouvait les bons mots – y en avait-il seulement un ? Quoi dire, lors d'adieux ? Je sentais que si je leur parlais de quoi que ce soit, ma gorge aurait été si nouée que je n'aurais pu leur dissimuler mon émotion. Et les yeux parlaient d'eux-même, inutile de gâcher un tel moment avec des mots. Ils m'ont regardé partir, jusqu'à ce que mon bolide disparaisse. C'est à ce moment que les sentiments m'ont pris les tripes, et je me suis mis à chialer comme un môme. J'ai pleuré comme jamais, c'était une libération après cette matinée de retenue face aux enfants. Je n'en sortais jamais assez. Je sentais qu'il y en avait encore à venir, je me suis alors cherché un coin de falaise perdu. J'ai coupé le moteur et me suis précipité au bord, pour crier. J'ai hurlé, tentant de sortir toute cette énergie qui me donnait envie d'exploser. Je n'avais plus de larmes, n'ayant jamais été habitué à pleurer... J'étais persuadé être seul, imaginez ma surprise lorsque je me suis aperçu que ce n'était pas le cas.
















CHAPITRE TROIS






Une fois vidé de mes émotions, je me retrouvais à genoux, au bord du vide. Le temps de reprendre mon souffle, j'entendis sur mon côté les graviers crisser sous des bruits de pas. Surpris, j'ai de suite tourné la tête, et le fût plus en apercevant cette petite blonde, visiblement choquée ou apeurée. Sa robe volait au vent, mais son corps restait immobile. L'avais-je donc effrayée ? Elle semblait si fragile, sa peau semblait si douce. Quand j'ai aperçu ses poignets bandés, j'ai compris ce qui l'amenait ici. Je l'avais sans doute interrompue, ce qui n'était pas plus mal. J'imaginais mal un si joli minois écrasé sur les galets. Je me suis relevé, me suis approché doucement, et je lui ai tendu la main en souriant. Elle n'était pas si farouche, alors quand je lui ai proposé mes services pour la raccompagner, elle m'a suivi sans mot dire. Elle était certes très belle, mais son visage n'exprimait que de la tristesse. Cela m'intriguait beaucoup, et j'eus enfin l'occasion d'entendre sa voix, quand elle dût m'indiquer où la déposer. Elle me guida jusqu'à un petit pavillon de banlieue, mais à la vue de son expression effarouché, j'ai jugé son retour prématuré et fis demi-tour sans m'arrêter. Je ne la connaissais ni d'Ève, ni d'Adam, ni de qui que ce soit d'autre. Mais son visage tellement éloquent, qu'elle n'avait nul besoin de parler. Avec l'expérience, j'ai appris à interpréter les expressions, et il était clair que cette jeune fille n'avait aucune envie de rentrer chez elle. Je l'ai cru croyais mineure au début, mais j'ai par la suite aperçu son alliance, lorsque ses doigts gênés s'entremêlaient sur ses genoux. J'ai roulé jusqu'au centre-ville, et je me suis garé devant un troquet. Je l'ai invitée à boire un rafraîchissement, histoire qu'elle se détende. Assis chacun avec nos diabolos, face à face, je ne la quittais pas des yeux. En revanche, elle n'avait toujours pas trouvé le courage de croiser mon regard. Son évidente inquiétude m'intriguant, je me décidai à engager la conversation :

Bien souvent il est plus simple de s'ouvrir à un inconnu. Si vous voulez vider votre sac, c'est le moment. Et rassurez-vous, il en faudra beaucoup pour me surprendre.


Je me doutais qu'elle ne s'ouvrirait pas si facilement, mais j'ai capté son attention. Elle a relevé les yeux et enfin m'a regardé, son regard changeant un peu. Mêlé à la mélancolie est apparu un semblant d'intérêt. Estimant que j'avais fait mon petit effet aussitôt j'ai enchaîné :

C'est idiot, hein ?

… Que voulez- vous dire ? me répondit-elle avec hésitation.

En admettant que ce soit vrai, est-il pertinent de croire qu'une phrase rationnelle puisse avoir le pouvoir raisonner une petite fille apeurée ? La peur est l'émotion la plus irrationnelle qui soit, coupant court à toutes réflexions. Mais j'avoue que la votre m'intrigue, mademoiselle.


Son regard s'est à nouveau perdu sur le lino du bistrot. Une fois lancé, j'ai tendance à trop parler, et c'est bien pour cela que je ne l'ouvre que modérément. J'ai donc préféré me taire le temps qu'on termine nos boissons. Reprenant la direction de la banlieue, j'ai voulu mettre une cassette de Cabrel, oubliant que ma vieille voiture ne pouvait les lire. J'ai attrapé au hasard un CD de Bobby. Je ne l'avais pas encore écouté, mais je fus agréablement surpris qu'il la fasse rire. Je me suis garé devant chez elle et nous sommes rester figés. Me tournant vers elle pour l'observer, elle m'a rendu mon regard. Noyé dans ses yeux bleus, j'y voyais presque Annie. J'ai bien vite détourné le regard lorsqu'un frisson de peur m'a traversé. Elle m'a beaucoup surpris en posant sa main si douce sur mon épaule. Je l'ai regardée de nouveau, semblant toujours inquiète, mais cette fois-ci pour moi. Je ne comprenais pas pourquoi. Lui prenant la main restée sur son genou, en touchant son alliance, je lui proposai :

Ça vous dirai, une balade ?


J'ai redémarré, et ne pouvant deviner où il lui plairait d'aller, j'ai roulé là où mon envie me guidait. Sans cette rencontre, je serais allé directement à Fécamp, après mon passage sur la falaise. Je voulais contempler l'architecture de son abbaye. J'ai toujours été sensible aux styles architecturaux à travers les âges, et pendant que j'étais absorbé par les tombeaux et l'autel, elle me suivait en silence. Cet art imposant me la fit même un instant oubliée. Un moment après, je me suis retourné vers elle, curieux de voir son expression. Elle semblait perdue dans ses pensées, elle n'avait même pas fait attention au fait que je la regardais. Je me suis mis à ses côté, sans la regarder. Est-ce que c'est parce qu'elle ne parlait pas, mais je ne m'explique pas bien pourquoi je lui ai tant parlé. D'ordinaire, j'écoute et si je vois que les gens n'ont rien à dire, je demeure muet. Avec elle, c'était un peu comme si je m'y sentais obligé, c'était incontrôlable. La faire parler était devenu un objectif, alors j'ai commencé à lui conter tous les mal-êtres ressentis durant ma vie. Je lui ai surtout expliqué comment ma lâcheté m'avait sauvé la vie, et qu'en cela elle était, sans aucun doute, plus courageuse que moi. Même si s'ouvrir les veines est assez stupide, il en faut néanmoins un peu de courage ! Même totalement désespéré, la lâcheté prendra le dessus et j'en parle en connaissance de cause. J'y ai pensé plusieurs fois sans jamais oser essayer. Je n'en aurait jamais trouver la force, et c'est finalement mieux ainsi. Au milieu de ces vieilles pierres, je lui racontai les pires choses de ma vie, à commencer par mon père et la crise identitaire qu'il a déclenchée chez moi. Je lui en ai tellement sorti, que ça n'était même plus vraiment pour elle que je parlais. Comme elle était trop introvertie pour m'interrompre, plusieurs minutes me furent nécessaire avant de m'arrêter. Je n'ai pas su l'insiter à enchaîner. Je voyais bien qu'elle avait envie de parler, n'y ayant sans doute jamais été invitée. J'ai achevé mon monologue sur ma fuite perpétuelle, pensant que c'était la meilleure définition de ma vie. « J'ai même fui l'amour, que j'aurais pu vivre dix fois plus intensément... » Là, elle a sourcillé, cette jeune fille dont dont j'ignorais toujours le nom.

Excusez-moi, mais... en vous écoutant, j'avais l'impression que la seule chose positive de votre vie est votre femme... Je ne sais pas si on peut vivre une relation plus intense que la vôtre, telle que vous la contez.

Pardonnez mon indiscrétion, mais j'ai remarqué votre alliance... Cela fait combien de temps que vous êtes mariée ? lui demandais-je timidement

… Six mois, répondit-elle doucement

Mmh, je vois... L'aimez-vous ? ai-je lâché sans réfléchir. Oh, excusez-moi !! Je n'dis pas ça pour... Je cherche juste à comprendre d'où vient votre tracas.


Son regard toujours triste se perdait dans les cailloux. Elle éprouvait beaucoup de mal à lever les yeux, même en discutant. Ne voulant pas faire de psychologie, c'est néanmoins le comportement typique d'une personne manquant de confiance en elle... cela dit, je l'avais déjà remarqué. En enfonçant mes mains dans les poches de ma veste, je senti quelque chose de froid, comme du métal. J'en extirpait une petite boîte de cigarillos, appartenant à Jules, qui s'en servait pour ranger ses roulées. En l'ouvrant, j'ai découvert sept petits joints : leur cadeau d'adieu. Je n'ai pu réprimer un rire, ce qui interpella ma jeune amie. N'osant rien demander, ses yeux parlaient pour elle. J'ai profité du moment où elle les a posés sur moi, pour la dévisager avec attention. Je ai lui demandé de me suivre et on s'est éloigné dans la verdure. J'ai alors remercié les enfants d'avoir penser à tout en me laissant un briquet. En galant homme que je suis, je l'ai invité à s'asseoir et pris place à ses côtés. Je me suis contenté de l'allumer et de lui passer, sans mot dire. Elle l'a pris et a tiré presque naturellement. J'ai alors voulu la décrisper pour de bon, en balançant quelques légèretés, qui l'ont faite rire. Pris d'une soudaine soif, elle m'invita à aller prendre un café chez elle. Nous reprîmes la route vers la banlieue du Havre. En me garant, j'aperçus un homme, tiré à quatre épingles, faisant les cents pas devant chez elle. Il était au téléphone et m'a dévisagé lorsque je me suis arrêté. D'un coup, elle sembla désemparée.

Excusez-moi... J'ai été ravie. Je m'appelle Lucie.

Hector.


Elle est alors rapidement sortit de ma voiture. L'homme coupa son mobile pour se jeter sur elle. Il ne la lâcha pas, jusqu'à ce qu'ils disparaissent derrière la porte. Il semblait soulagé de la retrouver, mais le regard de Lucie paraissait plutôt me jeter des SOS. Je ne pouvais évidemment pas en rester là, alors je suis allé me trouver un hôtel proche.

Le lendemain de bonne heure, je suis sorti en ville. Inconscient de ce que faisait mon corps, mon esprit était focalisé sur Lucie. Je suis passer par la boulangerie, histoire de m'offrir une petite douceur. Je traînais autour de chez elle, espérant la croiser. Prenant conscience que je ne savais rien d'elle, je n'avais pas la moindre idée de ses occupations journalières ! Ma seule certitude était l'endroit où elle n'avait pas envie de rentrer. J'aurais finalement pu poursuivre ma route, et l'oublier. Malheureusement, ce n'est pas d'Alzheimer dont je suis atteint. Lucie occupait tellement mon esprit que j'en arrivais à ne plus penser à Annie, sinon pour lui demander conseil... J'ai fini par me poser sur un banc, comme un vieux con. Regardant mes chaussures in-usées, le chant des oiseaux adoucissaient mes pensées. Quand je me décidai à me lever, une démarche nonchalante attira mon attention, de l'autre côté de la route. Sans prendre le temps de réfléchir, j'ai couru pour la rattraper. Je fus satisfait de ne pas m'être trompé, une fois arrivé à sa hauteur : il s'agissait bien de Lucie. Nous avons ri sans motif. Je me retrouvais à mes vingt ans, flirtant avec Annie. Je l'ai emmenée en voiture, et nous ai conduit à l'endroit de notre rencontre, histoire d'être tranquille. Elle semblait heureuse de me revoir, tout comme moi. Nous avons tant parlé que nous n'avons pas vu passer l'heure, atteignant midi. Elle devint alors presser, affichant une peur panique. Comme le lapin d'Alice, elle regardait l'heure sans cesse, répétant qu'elle devait rentrer. Était-ce vrai ? Je l'ai suivie, inquiet, jusqu'à la voiture. Mais avant qu'elle s'y engouffre, je lui ai attrapé le poignet :

Parle moi de ton mari.

… Pourquoi cela ? me demanda-t-elle, choquée.

Parce que je vois bien qu'il y a un problème, lui ai-je répondu. Ça m'ennuie de te remmener auprès d'un homme... sans savoir ce qui ne va pas. Je suis tout à fait conscient que cela ne me regarde absolument pas, mais...

Vous avez raison, dit-elle, fixant le sol. Cela ne vous regarde pas.


En acquiesçant, je l'ai raccompagnée. Avant qu'elle ne descende, j'ai posé ma main sur ses genoux en lui disant : « En cas de problème, n'hésitez pas à venir me trouver. J'y tiens ». Gênée, elle a tourné les talons. Je ne l'ai pas quitté des yeux tandis qu'elle s'empressait de traverser le jardinet et d'ouvrir la porte. En refermant derrière elle, elle m'a jeté un regard désolé. Une fois disparue, je me suis sincèrement demandé ce qui m'incitait à rester là. Était-ce par attirance de la femme, ou mon instinct qui me poussait à rester, craignant ce qu'il pourrait lui arriver ? Quoi qu'il en soit, je ne devais pas resté devant chez elle. Je suis rentré à l'hôtel où, évidemment, personne ne m'attendait. Cela me faisait bizarre de me retrouver si seul. J'ai repensé aux enfants, les revoyant me sourire tous les cinq. Puis à Annie, qui m'a accompagné dans mes rêves... Je me suis endormi sur mon lit tout habillé, et le réveil fût difficile. Ayant l'habitude d'être réveillé avant l'heure, comme il me semble tout le monde qui prend de l'âge, je n'ai fait surface que passées les dix heures. Loupant le petit déjeuner de l'hôtel, je suis allé le prendre dans un troquet proche. Je pouvais voir depuis la terrasse la route qui menait chez Lucie. Je suis pris d'une envie de me rendre à la falaise. Planté au bord, je regardais le large avec envie. Envie de me plonger dans l'onde... mais les sacs en plastiques m'en ont dégoûté. Maintenant que j'avais écouté cette chanson de Renaud, je ne pouvais plus regarder la mer, sans penser à la pollution qui la dévaste. Absolument écœurant... Ayant toujours vécu au bord de l'eau, je n'avais jamais pris conscience du point auquel nous étions rendu. Et cela n'est pas d'hier, la preuve : la chanson précitée, plus toute jeune, et néanmoins les océans véhiculent ces cochonneries depuis bien plus longtemps encore. J'étais tellement énervé que je commençais à parler tout seul. Je fus interrompu par des bruits de pas, n'étant pas surpris de trouver Lucie en me retournant. Inquiète, elle ne semblait pas comprendre ce que je faisais à parler seul. Je lui ai sourie et lui ai tendu mon bras. Nous promenant au bord de la falaise, nous laissions le soleil réchauffer nos corps. Je ressentais comme un interdit dans nos rendez-vous dissimulés, pourtant en tout bien tout honneur. Je devenais comme son amant platonique. Le côté prohibé de nos entrevues clandestines me faisait quelque peu frémir, tout en m'interpellant : pourquoi cela nous serait-il défendu ? Ne pouvait-elle pas voir qui elle voulait ? Rien de malsain dans notre rencontre, à moins qu'il lui soit répréhensible de chercher le contact avec d'autres. Comme la veille, nous nous sommes rapidement retrouvés au zénith. Je l'ai donc raccompagné, attendant de ne plus la voir pour partir. Mais cette fois-ci, quelqu'un nous observait de l'intérieur. Aucun doute qu'il devait s'agir de son mari, et je comprenais de moins en moins le lien qui pouvait exister entre eux. Je me suis résigné à partir. Cet après-midi me sembla éternel, alors je regagnais ma chambre dès qu'il toucha à sa fin.

Au début de soirée, m'apprêtant à aller manger, on toqua à ma porte. Quelle ne fût pas ma surprise de voir Lucie, en panique. Je l'ai donc prier de s'asseoir pour s'expliquer, aussi calmement que possible.

Je... je crois que je l'ai tué... m'avoua-t-elle en larme.

C'est impossible enfin ! lui ai-je répondu instinctivement, Écoutez Lucie... allons voir. Retournons chez vous, peut-être n'est-il pas trop tard. D'accord ?


Elle hocha silencieusement la tête, et nous sommes partis aussitôt. Une fois arrivés, elle m'a conduit à la cuisine où un homme était étalé sur le sol. À ses côté, était tombée une grosse poêle en cuivre, et j'en ai déduit qu'il s'agissait de l'arme du crime... Je me suis penché pour prendre le pouls, et à mon grand soulagement, il y en avait un. J'aurais été surpris du contraire, imaginant la scène : une forte réprimande, dont je suis peut-être la cause, elle sort alors de ses gonds, attrape la poêle et l'assomme. Compte tenu de sa taille et le finesse ses bras, je me doutais qu'elle n'avait pas la force de le tuer aussi facilement. Il nous fallait toutefois préparer son réveil. Après avoir rassuré ma jeune amie, nous avons ligoté son bourreau, attendant qu'il reprenne conscience. À son retour, il afficha clairement son désaccord de me trouver aux côtés de sa femme. J'ai improvisé une réponse, réalisant que j'ignorais finalement tout de la situation :

Je me doute que de me trouver chez vous avec votre femme, alors que vous étiez inconscient, vous soit particulièrement désagréable. Mais permettez-moi, Monsieur, de vous signaler que, sans moi, vous l'auriez déjà perdue. En effet, elle a beau avoir échoué à ses premières tentatives, elle aurait sans doute réussi cette fois. Je ne comprends vraiment pas, qui plus est, ce qui peut tant vous déranger, dans le fait qu'elle ait une vie sociale. Mais je serais ravi que vous me l'expliquiez, ai-je fini, satisfait.

Hm, je suppose qu'elle ne vous a rien dit, me répondit-il avec un léger sourire. Puisque vous tenez à vous mêler de ce qui vous ne regarde pas, cette jeune fille n'est pas exactement celle que vous imaginez, Monsieur...

Hector. Poursuivez.

Alors qu'elle n'avait pas dix-huit ans, elle est tombé amoureuse d'un sale type, bien plus vieux qu'elle – un certain René. En plus du détournement de mineure, il se servait d'elle pour arrondir ses fins de mois. Voyez-vous, ma belle-mère est veuve depuis plusieurs années, mais l'assurance vie de son défunt mari lui assure une belle retraite. René s'est d'abord servi de la naïve adolescente pour voler sa pauvre mère, et comme il en voulait plus, il a finit par vendre Lucie. Rien de très compliqué pour lui. C'était un sacré magouilleur, un voyou de la pire espèce, sans aucun scrupule. Lucie a fini par le craindre, et sa mère s'est rendu compte des trous sur son compte en banque . Elle avait tendance à considéré sa fille comme une nonne, à la surprotéger, c'est sans doute ce qui a poussé Lucie à vouloir s'émanciper, par ses propres moyens. Moi, je n'étais qu'un ami de la famille, détesté par Lucie mais adoré par Cécile, sa mère. Le René en question avait un certain goût pour la drogue, surtout celle du violeur ; Lucie pourrait vous en parler mieux que moi. Cécile et moi l'avons aidé, et elle nous en est très reconnaissante ! Si nous n'avions pas été là pour l'épauler, elle serait sûrement déjà morte. Si je n'avais pas été là, vous ne l'auriez jamais rencontré ! Maintenant, laissez-nous ! Nous avons besoin de repos, après tout ça...

Je veux bien croire votre histoire, mais la fin me laisse perplexe... Si Lucie vous en était si reconnaissante, pourquoi vouloir toujours en finir, et redouter le moment de vous retrouver ? Ma question sera simple : êtes-vous si irréprochable ?

Comment osez-vous ?! Vous venez m'accuser, chez moi, de malmener ma femme ? Me répondit-il.

La meilleure défense étant l'attaque, vous n'arrangez pas mes soupçons.

Je me fiche de vos soupçons ! Dégagez de chez moi !

Hum... pensais-je. Notez que je ne serais pas là si votre bien-aimée n'avait pas cru vous avoir tué. Une explication peut-être ?

Je vous l'ai dit, Lucie ne m'a jamais beaucoup apprécié... répéta-t-il.

Alors pourquoi s'être mariée à vous ? N'a-t-elle pas eu à dire « oui » ? L'a-t-on dit à sa place ?

Hector ! M'interrompit Lucie. Ça ira, merci.


Considérant son intervention comme justifiée, je m'exécutai. Elle me raccompagna à la porte, et m'offrit ses bras en remerciement. Je lui donnai le numéro de ma chambre, en insistant pour qu'elle n'hésite pas à m'appeler. Couché à peine arrivé, je n'ai pas tardé à sombrer dans un sommeil profond. Je fus réveillé au petit matin par la sonnerie du téléphone, que j'ai décroché aussitôt :

Allô ?

Hector ? Me dit une voix douce

Lucie... Ne pouvant m'empêcher de sourire.

J'aimerais vous voir. Pourrions-nous nous retrouver à la falaise ?

Dans combien de temps ?

Une heure.

J'y serais.

Elle raccrocha de suite, et je la retrouvais une heure après à l'endroit convenu. Son visage affichait un air grave. Pendant que j'avançais vers elle, elle semblait redouter le moment où nous serions tout près l'un de l'autre. Ce moment arrivé, elle jugea bon de me devoir la fin de l'histoire, celle que n'avait pas voulu me raconter Julien, son mari. Après avoir cherché un endroit où nous asseoir, elle a commencé à me parler de la jalousie de Julien. J'appris alors qu'ils avaient grandis ensemble. Les parents de Julien, leurs voisins, n'étant presque jamais là, Cécile avait pris l'habitude de veiller sur lui comme son propre fils. Puis elle a accouché de Lucie. Son mari, politicien, n'avait guère de temps à accorder à sa famille, alors la présence de Julien la réconfortait. Lucie a vite compris ce que projetait sa mère quant à son futur mariage, tout en connaissait les sentiments que Julien avait pour elle. Voir son destin pris en main, sans avoir droit au chapitre, provoqua chez elle une peur panique, précipitant à sa relation avec René. Elle m'admit que c'était une erreur qu'elle regrettait amèrement, persuadant sa mère qu'elle n'était pas apte à gérer sa vie. Elle m'a d'ailleurs précisé que sa première tentative de suicide était le jour même de son mariage, mais le reportant. J'ai trouvé cette situation ironique, habitué à ce que les enfants, croyant leurs parents séniles, commencent à décider en leur lieu et place. Elle s'était retrouvé dans une situation similaire, avec un mari et une mère ignorant ses propos. Ils la pensaient fragile, dépressive et peut-être même un peu stupide, comment se battre quand tout ce que vous dites n'est pas pris en considération ? Elle se retrouvait piégée, j'en étais désolé, mais que pouvais-je y faire ? Elle refusa mon aide en m'annonçant que c'était notre dernière rencontre. Sa dernière phrase m'a sidéré... « Comment ?! Tu veux que je ne fasse rien, après toutes ces déclarations ? Laisse moi te raccompagner, et allons parler à ton mari. » Elle refusa tout en bloc. Je ne comprenais pas... Baissait-elle les bras ? Allait-elle accepter toute une vie sous tutelle ? Je lui demandai pourquoi elle m'avait dit tout ça ? Elle ignora mes questions... Et au dernier instant, elle m'avoua un penchant dont elle ne parlera jamais à sa mère... Être sorti avec un homme âgé de vingt ans de plus, était pour elle la finalité d'un réel désir. Elle me fit promettre de ne pas la suivre, que je lui confirmai. Alors elle m'embrassa avant de tourner les talons. Ses lèvres étaient aussi douces qu'elles en avaient l'air. Elle semblait apaisée en me quittant, lestée de ses secrets pour mieux surmonter ses épreuves. Ne cherchant trop s'il valait mieux respecté son choix ou la secourir, je choisissais la deuxième option, conscient que je n'avais pas le droit à l'erreur. La solution n'était pas évidente à trouver. Je m'accordai une journée pour réfléchir... Une journée à errer au bord du vide, sur ce lieu de désespoir où nous nous étions rencontrés.


Je me suis retrouvé sur la falaise. Dans les vapes, je ne me suis pas vu partir. Pendant que mes pensées s'entrechoquaient et que mon cœur appelait Annie à l'aide, le sommeil m'a gagné doucement. Je me suis réveillé à plus de seize heures, pris d'un mal de crâne et les jambes engourdies. Néanmoins mon esprit était détendu, mes idées plus claires. Je ne pouvais certes pas faire grand chose, mais au moins l'aider à prouver qu'elle était apte à décider seule du cours de sa vie,. Avant de rentrer, je fis un détour par l'hôpital du Havre pour me rendre au service psychiatrie. Une fois face à un psychiatre, je prenais le temps de longuement lui expliquer la situation, et des forts risques suicidaires qu'elle engendrait. Soit je sus être convaincant, soit il fût intriguer, quoi qu'il en soit, il accepta de me suivre. Je lui confirmai également que ses honoraires seraient respectées. Après avoir calé le rendez-vous, au domicile de Lucie, je me suis vite rentré à l'hôtel. Lucie ne voulait certes plus me voir, mais rien ne s'opposait à ce qu'elle voit un professionnel. Sachant qu'elle passait le plus clair de son temps chez elle, il me fallait trouver le moment où son mari serait également présent. J'ai dû convaincre le docteur pour qu'il prenne sur sa pause déjeuner et vienne à midi. Le lendemain, je guettais la maison de Lucie. Je l'observais à travers la fenêtre de la cuisine, prise dans ses occupations. Une voiture s'est alors garée devant le pavillon. J'ai aperçu Julien en sortir, et faire le tour du véhicule pour, à ma grande surprise, ouvrir la portière à une deuxième personne. C'était une dame âgé, et j'en ai conclu qu'il devait s'agir de Cécile, la mère de Lucie. Je trouvais intéressant l'idée que la famille soit au complet. Ne l'ayant jamais rencontré, je réalisais que c'était finalement pour convaincre sa mère, que j'avais entrepris cette démarche. Le psychiatre est arrivé peu de temps après. Dès qu'il est sorti, j'ai détaillé son allure, satisfait qu'elle fasse très pro. Il a sonné, ils ont ouverts. J'aurais aimé pouvoir écouter, mais je n'avais que les images. Il a pris Lucie en aparté, afin de l'analyser. Il a été également très bref avec la famille. Lucie avait l'air heureuse, mais fallait-il encore que sa mère et son mari y adhèrent. Le professionnel de santé a finit par les laisser entre eux ; moi, je l'ai rattrapé à sa voiture.

Alors ? demandais-je. Quel est votre verdict ?

Je reverrais cette jeune fille, sa mère aura visiblement du mal à lâcher son emprise.

Oui, je suis tout à fait d'accord avec vous...( Parfois, ce sont les gens de notre entourage proche qui se trompent le plus à notre égard.)


Il n'a pas relevé, se contentant d'un regard hautain en guise de réponse. Cela m'atteignit peu, le plus important étant son analyse. J'ai regardé Lucie, et je suis parti, estimant que leur discussion allait être longue. Je suis retourné à ma chambre l'esprit plus léger. J'avais l'impression d'avoir fait ma part, tel le colibri qui porte sa goutte d'eau. Je n'espérais plus qu'avoir quelque peu participer, à l'amélioration de la vie de ma jeune amie. Et je me suis soudain rappelé pourquoi je ne voulais me lier à personne durant mon voyage. Je ne suis capable de me recentrer sur moi-même qu'en étant seul, et personne d'autre ne doit interférer. J'achèverai donc seul mon passage en Seine-Maritime. En revanche, pour la suite de mon parcours, je craignais de ne pouvoir m'empêcher quelques rencontres, étant plutôt un animal social. Je pris mon après-midi pour faire un dernier tour au Havre et ses alentours. J'avais réservé ma chambre pour une nuit encore dans la ville portuaire. Je voulais partir tôt le lendemain, mes valises étant vite faites, j'étais dans ma voiture à neuf heures, prêt à partir. Je cherchais quel CD écouter quand quelqu'un vint s'écraser sur ma vitre.

Lucie ?!

J'avais peur que vous soyez parti ! souffla-t-elle. Je voulais vous remercier pour ce que vous avez fait. Vous savez, après cela ma mère a dit à Julien qu'il m'étouffait en ne me laissant même pas avoir des amis. C'est dommage que vous partiez déjà, maintenant qu'on aurait eu le droit de se voir.

Ça n'aurait pas été raisonnable, vous ne croyez pas ? Pour moi, en tout cas, il est préférable que je parte. Je suis heureux de vous savoir si joviale, je m'en vais le cœur léger. Merci à vous, Lucie.


Lucie était très émotive, et pendant que je parlais, ses yeux se mouillèrent. Quand j'eus terminé, elle me prit dans ses bras et me serra fort. En plus d'être jolie et d'avoir la peau douce, elle sentait aussi merveilleusement bon. Bien que de caractère opposé, Lucie me rappelait beaucoup fragilité et la sensibilité d'Annie ; j'avais le sentiment que c'était elle qui m'offrait ce dernier câlin. On s'est salué et j'ai repris la route aussitôt. J'ai longé la mer vers Dieppe, prenant mon temps, et m'arrêtant parfois pour profiter. Arrivé sur le coup de midi, je décidai de me choisir un restaurant. Habitué aux fruits de mer, je passai à côté des repères de pêcheurs et autres restaurants marins. Le premier frappé d'exotisme, compte tenu de l'endroit, était un kebab. Je n'avais jamais mis les pieds dans l'un de ces établissements. Me souvenant des mis en garde de Jules et Sophie sur le fait que, contrairement aux autres fast-food, la qualité variait d'un « grec » à l'autre. De peur d'être dégoûter, j'ai préféré opter un restaurant traditionnel. Là aussi, la qualité va d'un extrême à l'autre... Je ne pense pas avoir choisi le meilleur de Dieppe, mais oublions la nourriture, il me fallait trouver un hôtel. J'ai réservé dans le premier trouvé, en centre-ville. Je voulais aussi profiter de la proximité de Rouen pour aller sur les traces de Madame Bovary. J'en ai donc pris la direction, mais en la détournant pour me rendre directement à Tostes. Une fois sur place, la visite fût rapide au regard de la taille du village. Au retour, j'ai crocheté par Rouen, histoire de me rendre compte. Effrayé par la taille de cette métropole et sa population abondante, j'ai vite quitter les lieux. De retour à Dieppe, estimant avoir suffisamment roulé pour la journée, j'ai garé mon véhicule sur le parking de l'hôtel et suis allé errer dans le centre-ville.

Le lendemain, après un rapide tour à Yonville, j'ai poursuivi mon errance dans Dieppe. Ainsi se termina visite le département de Seine-Maritime, à travers la côte et Flaubert. N'ayant pas très envie de m'attarder, j'ai juste pris le temps de faire le tour des églises locales, étant généralement les plus beaux édifices des villages. Après quelques nuits à Dieppe, j'ai repris la route pour aller vers le Nord. Je voulais aller à Calais, au bout de la France. J'ai donc roulé jusqu'au soir.

















CHAPITRE QUATRE






Suivant mes habitudes, je pris le temps de faire plusieurs arrêt, pour profiter du paysage ou tout simplement prendre l'air. C'est donc à la nuit que je suis arrivé aux abords de Calais. Je ne souhaitais pas y rentrer directement, ne voulant brûler les étapes. Après avoir trouvé un petit hôtel périphérique, je m'y suis coucher aussitôt arrivé. Au petit déjeuner, seul leur café ne me paraissant appétissant, j'en dégustais un en m'imprégnant des dernière nouvelles, profitant des journaux à mis à disposition. J'ai, à ce moment, réalisé que cela faisait plus d'un mois que j'avais pris la route. J'ai songé, en souriant, qu'il valait mieux rentrer au bercail avant de passer l'arme à gauche. Puis, mon sérieux me rattrapa, me posant sincèrement la question... « Ne serait-il pas préférable, finalement, de ne pas rentrer ? » J'ai rapidement éludé le sujet, estimant avoir le temps nécessaire pour prendre une telle décision. J'ai donc reporté mon attention dans mon journal, histoire de me changer les idées, et un article m'a interpellé. Cela évoquait des manifestations nocturnes organisées dans des stades. « À la suite de l'arrestation, le 18 septembre 2016, d'un cirque clandestin, les forces de l'ordre ont été amenées à intervenir dans trois autres manifestation du genre, comportant rites sacrificiels et incitation à la haine. A l'heure où nous mettons sous presse, nous ignorons toujours le nombre exact des organisateurs, mais il s'avérerait vraisemblable que les foules venant assister aux spectacles étaient bel et bien manipulées. Édouard Lin, meneur de la manifestation du 18 septembre, a déclaré lors de son procès : "Notre foi est légitime, comme ceux en qui nous croyons. À l'inverse des autres, nous ne croyons qu'en ce qui existe vraiment. Notre idéologie se base sur la fertilité, car rien n'a de sens qu'à travers l'enfantement. C'est autant pour le bien de l'humanité que pour celui des personnes sacrifiées, que nous exécutons homosexuels et personnes stériles." Il a cru bon d'ajouter, dans un cynisme absolu : "D'ailleurs, beaucoup d'entre eux nous remercient avant l'application de la sentence." »

Je suis resté figé, lorsque sa photo est tombée sous mes yeux. Je n'ai jamais pu effacer de ma mémoire le visage de cet homme, dans le stade ce soir-là... Son expression dégoulinante de mépris, ses yeux brillants de plaisir à la vue du bûcher ; il était l'horreur dans toute sa splendeur. J'en appris davantage sur le contenu de cette soirée, et cela était loin de me rassurer. Je tournais de l'œil rien qu'à lire ses propos, qui semblait tout naturel dans son esprit malade. Un urgent besoin d'air s'est imposé à moi, ne pouvant m'imposer cela plus longtemps. J'ai réglé ma nuit et m'en suis allé avec mon journal sous le bras. J'étais décidé à suivre cette affaire de près, jusqu'à ma mort si nécessaire. La tête ailleurs, j'avançais d'un pas rapide pour rejoindre ma voiture. Avant d'y arriver, un homme me percute. Je m'excuse, il râle ; il semblait très agacé. Derrière lui suit un garçonnet, un petit gringalet aux cheveux noirs et bouclés. Je m'arrête à son niveau, et il engage aussitôt la discussion :

Bonjour, dit-il, tel un commercial au fort accent ch'timi. Cette superbe voiture vous intéresse ? Allez, c'est une affaire, je vous la laisse pour une cinquantaine d'euros seulement !

C'est de ma voiture dont tu parles ? Je ne vois pas ce qui m'oblige à te la payer, vu qu'elle m'appartient déjà. Et elle vaut bien plus chère.

Ce qui vous oblige ? Ben, vous n'avez pas vraiment le choix, si vous voulez repartir avec … Et il sortit de sa poche mes clefs de voiture.

Le prix peut encore augmenter, vous savez, me rétorque-t-il avec assurance.

Ha, mais dis-moi quel âge as-tu ?

J'ai dix ans, Monsieur, répondit-il, mais je suis pas là pour faire ami avec vous.

Ha ha ha, décidément... riait-je. Voudrais-tu qu'on aille faire un tour ?


La compagnie de cet enfant était plus qu'agréable. J'ai immédiatement remarqué qu'il avait de la suite dans les idées. Il savait exactement où il voulait en venir et n'était pas commode en affaire... Mais il demeurait enfant, ne pouvant refuser un tour en bolide, ainsi qu'une glace. Et pour tout cela, sa compagnie était très réconfortante. J'ai transposé sur lui l'enfant qu'Annie et moi n'avons jamais eu. Il avait son intelligence, son ouverture d'esprit et sa curiosité. Il avait mon caractère renfrogné. J'espérais secrètement qu'elle nous observe d'où elle était, qu'elle compare nos yeux en leur trouvant un air. Elle m'aurait dit « physiquement, il tient davantage de ton père ». J'ai emmené le gamin à Calais, qui était ma destination. Chemin faisant, nous n'avons pas vraiment fait connaissance, nous parlions simplement de tout et de rien, tels de vieux amis. Nous discutions sans même connaître nos noms respectifs. J'ai fini par lui offrir sa glace, en profitant pour lui poser quelques questions rudimentaires, à commencer par son prénom : Côme. Il répondait vaguement à mes questions, jusqu'à me dire qu'il habitait de ci de là. M'inquiétant de l'existence de ses parents, il m'a rétorqué qu'il ne demeurait pas seul.N'arrivant pas, malgré tout, à trouver totalement la sérénité,la raison poussant un enfant de cet âge à arnaquer les touristes m'étais toujours inconnue.. J'espérais en apprendre plus en le raccompagnant à domicile, mais il était farouche. Aussi malin que méfiant, il me voyait venir avec mes questions.

L'heure du déjeuner a fini par arriver et nous étions toujours ensemble, je l'ai donc invité dans un fast-food américain, une première pour moi. S'il savait parfaitement quoi prendre, j'ai eu pour ma part la très nette impression de me retrouver sur une autre planète. Étant le seul à devoir analyser chaque menu car n'en connaissant aucun, j'ai fini par choisir au hasard. Une fois attablés, nous pouvions causer.

Alors tu as l'habitude de venir ici ? lui demandais-je.

C'est la première fois que je viens dans celui-ci, me répondit-il. Je suis plus habitué à celui de la banlieue Sud.

Ah, il y en a plusieurs avec les mêmes menus, alors ? C'est comme une chaîne de restaurant en fait, à l'instar des supermarchés.


J'ai immédiatement compris, au regard que me lançait Côme, que je venais de me couvrir de ridicule. N'étant pas d'un naturel méprisant, cela ne durât pas bien longtemps, celui nécessaire, j'imagine, pour digérer cette surprenante nouvelle.Il m'en expliquât alors brièvement le fonctionnement et, au fur et à mesure que nous parlions, j'eus le sentiment que le courant passait plutôt bien. Après ce déjeuner, nous avons éprouvé l'envie de marcher. Laissant loin derrière nous les odeurs de fritures, je repensais à Charlotte, ne pouvant se passer d'un stick après chaque repas. « Ça aide à la digestion ! », m'affirmait-elle. J'ai à ce moment réalisé, que de ceux qu'ils m'avaient laissés, il ne m'en restait aucun. Faudrait-il que je me débrouille avec un dealer ? L'idée de réaliser cette transaction m'attirait plus pour l'expérience qu'elle représentait, que le simple fait d'acheter de l'herbe. Après tout, ce serait une première ! C'est bien pour accumuler les nouvelles sensations que je suis parti, contraint d'accepter toutes celles qui se présentent à moi.

Côme me regardât alors en haussant les sourcils, une de ses boucles lui tombant sur le front. Cela devait faire plusieurs minutes que j'étais perdu dans mes pensées. Passant à proximité d'un skatepark, je vis ses yeux s'écarquiller. N'ayant que la route à traverser, je l'y ai donc accompagné. Son visage affichât une expression enfantine pour la première fois depuis notre rencontre. Il était simplement réjoui d'observer les « riders », comme il les nomment. Nous y sommes restés une bonne heure, même moi je n'ai pas vu le temps passer. Je découvris un panel de possibilité avec une planche à roulettes. Nous avons ensuite rejoint ma voiture pour circuler dans Calais. Il me listait les lieux à découvrir, pour quelqu'un appréciant l'art l'architectural. Je fus surpris d'autant m'amuser en compagnie d'un enfant, qui bénéficiait d'une bonne dose d'humour, compte tenu de son âge.

La nuit commençant à tomber sur le Nord de la France, je suggérai à mon passager de le ramener chez lui. Il en convînt et m'indiquât le chemin. Une fois traversé la ville, nous retournions en banlieue, à l'entrée de laquelle il me demanda de me garer.Me montrant du doigt une suite de pavillons, il me dit alors qu'il habitait l'un d'eux. Il ne descendit pas tout de suite de la voiture, paraissant hésiter.

Hector... marmonna-t-il. Quand est-ce que tu quittes Calais ?

Je ne sais pas, petit, lui ai-je répondu. Je n'ai aucune obligation, je quitterais la région quand j'estimerais en avoir fait le tour...

Alors, tu crois qu'il serait possible qu'on se revoit, demain ?

Bien sûr, le rassurais-je. Nous pouvons passer tous nos après-midi ensemble, comme ça tu pourras me montrer tout ce qu'il y a d'intéressant à découvrir.


Un petit sourire éclairât sur sa frimousse ; j'eus, à cet instant, le sentiment d'être pour lui une thérapie. Peut-être n'avait-il pas autant que cela, l'occasion de s'amuser autant dans son quotidien. J'en conclus qu'il m'était impossible de quitter la région, avant d'avoir compris ce qui dérangeait ce garçon. Satisfait de ma réponse, il claqua la portière et me fit des signes jusqu'à ce que je disparaisse de son regard. D'une façon ou d'une autre, Côme avait dû s'attacher à moi ; je le compris tout de suite. De monde côté, l'appréciation positive était déjà déclarée, mais lui ne m'en avait pas jusqu'alors témoigné la moindre réciprocité. J'en étais donc également satisfait. Je devais encore trouver un hôtel, dîner... Mais j'avais la tête ailleurs. Je roulais mécaniquement tout en songeant à lui, sachant déjà que j'en garderais longtemps le souvenir. Je me remémorais également son air triste à la fin de notre journée, sans rien y comprendre... Sans oublier cette histoire de clefs de voitures ; toutes ces anomalies finissaient par m'interpeller. C'était décidé, je ne partirais qu'une fois que toutes mes questions auraient trouvé réponses. J'ai renoué avec la réalité le temps de me trouver un hôtel. Le premier rencontré avait l'air luxueux, mais son prix comme son confort m'étaient indifférents. Seule sa proximité avec des restaurants m'importaient. J'ai pris ma chambre, suis allé dîner, et suis rentré sans m'attarder, à seule fin de m'affaler. Couché sur le ventre, je racontais à Annie tout ce que j'avais ressenti. Reprenant avec elle mon aventure depuis le début, je me remémorai Locronan et ses habitants... Plus d'un mois s'était écoulé depuis mon départ, sur un coup de tête, n'emportant rien d'autre que mes papiers et ma carte bancaire. Je sentais, ayant le nez proche de mon aisselle, une odeur logiquement nauséabonde, n'ayant pas la moindre affaire de rechange. Repensant à mes deux semaines passées dans les bois, il s'avérât préférable, autant qu'urgent, que je me trouve du change. Je me suis endormi en riant de mon état avec ma femme. En songeant à l'allure que j'affichais au volant de ma caisse flambante neuve, le contraste était saisissant.


J'ai émergé dans la même position. Ne sachant trop si c'était de dormir loin de ma Bretagne natale qui me procurait cette fatigue, mais chaque réveil était rude. C'était une longue lutte contre le sommeil, et même le café ne me sortait pas complètement de ma torpeur. Après ma douche, il ne me restait que deux petites heures dans la matinée. Sortant de l'hôtel dans le but de me trouver des vêtements propres, j'aperçus en face une maison de la presse. Allant y acheter le journal, je ne vis rien de nouveau sur l'affaire Édouard Lin. Ne comptant pas faire une collection de canards, j'ai confié le mien au premier venu. Je suis ensuite allé flâner dans les rues avoisinantes. J'avais à l'évidence échoué dans un quartier assez aisé, tapissé d'hôtels et de restaurants aussi onéreux les uns que les autres.N'ayant pas vu le temps passer, mon estomac me rappela logiquement à l'ordre, puisqu'il était déjà treize heures. Me prenant un en-cas dans une imposante boulangerie, et je me suis ensuite hâté d'aller retrouver Côme. N'ayantconvenu par avance d'un lieu de rendez-vous, je laissais mon instinct me guider. Parvenu en banlieue, je regardais un peu partout, à allure réduite, et j'ai terminé en stationnement sur le parking de l'hôtel où nous nous étions rencontrés. Annie avait le don de repérer quelqu'un dans la foule, d'un coup d'œil. Ça n'a jamais été mon cas... Mais Côme, de par sa petite taille et ses cheveux noirs corbeau, ne passait pas inaperçu. Encore moins courant était le spectacle de ce gamin seul, assurant son activité de troc. Je l'avais repéré depuis cinq minutes, mais je pris le temps de l'observer dans son son business. Dire que ses clients étaient satisfaits serait une gageure, mais cela n'avait pas grande importance dans ce contexte. Je finis par le rejoindre, ma présence semblait lui plaire. Côme affichait une pudeur comme on en observe rarement chez les enfants. Déjà la veille, j'avais remarqué sa difficulté à montrer ses émotions.

Cela me ramenait à ma famille, où ça n'était pas non plus très apprécié. D'ailleurs, dans les « bonnes » familles, les parents préfèrent des enfants généralement des enfants sachant se tenir en société, et rester de marbre en toute circonstance.Un sang chaud reste l'apanage des gens du peuple, n'est-ce pas ?C'est que m'avait sorti mon père après que je me sois battu à l'école, au même âge que celui de Côme. Rien de bien méchant, un simple accrochage entre mômes, mais pour mon père, cela rabaissait la famille à un niveau déshonorant. En effet, dans les milieux aisés, tout acte présent ou passé effectué par un des membres de la famille impacte irrémédiablement notre vie. Quels que soient nos actes, ils sont juste additionnés à tous les actes commis par nos aïeux. À chaque soirée, j'avais droit à la revue détaillée de tout ce qu'avaient accompli mon père ou mon grand-père. À croire que ma mère n'a jamais rien fait... Mais quelle ironique de constater que, chez ces gens capables de s'entre-tuer pour un butin, on accorde une telle importance aux liens du sang !

Finalement, toute l'existence des bourgeois repose sur leur réputation et sur le « qu'en dira-t-on » ... La préoccupation qu'ils consacrent aux activités de leurs enfants n'est motivée que par le risque qu'elles pourraient entacher leur nom. Il faut dresser la relève, qu'elle soit apparemment digne du souvenir que nous laissons. Peut-être est-ce tout simplement par ennui, le maximum vital étant déjà servi sur un plateau d'argent. Ou ont-ils juste besoin de se construire une vie pleine de problèmes, et quoi de mieux pour ce faire qu'un gratin d'hypocrite comme entourage. Il est reconnu que les ennuis emplissent l'esprit, et empêchent l'ennui. Et pour être embêtés par les propos de vulgaires connaissances, il faut déjà leur apporter un intérêt certain. A contrario, ceux ayant du mal à arrondir les fins de mois ont une vie très remplie. Le temps leur manque pour écouter les superficialités de gens méprisants, se voulant les plus cultivés. Il est cocasse de se remémorer l'expression : « avoir un emploi du temps de ministre », que j'ai toujours compris ironique. Imagine-t-on aisément un pauvre oisif et un riche surbooké ? Prenons par exemple l'emploi du temps d'un paysan – à différencier de l'agriculteur au travail grossier, aidé par la panoplie de produits chimiques. Il est probablement plus difficile et contraignant que celui d'un homme politique. Et je suis convaincu qu'il doit en être de même pour la majorité des bas salaires.


Tout en observant Côme, deux points me venaient à l'esprit. Le premier, c'était le fait qu'il magouille autant à son âge et avec une telle habilité ; le second, plus inconscient, était le stoïcisme qui l'animait. Tout portait à croire qu'il devait plutôt chaparder pour manger, mais il avait les manières, celle de ne montrer aucune émotion par exemple – plutôt triste pour un enfant. Qu'il est trop de pièces, ou qu'il en manque, mon puzzle était incomplet.Quoique que ce garçon ne semblait pas être en souffrance, il n'en représentait pas moins un mystère pour moi. Les enfants, que j'imaginais spontanés, dénués de toute forme de calcul ou de mesquinerie, m'apparaissent soudainement sous un tout autre jour. Avec Côme, je m'aperçois qu'un enfant n'est autre qu'un petit adulte, ainsi suivant les habitudes qu'on lui laissent prendre ou qu'on lui donne, son comportement peut radicalement changer. Ce n'est qu'un avant goût de l'adulte en devenir. Usuellement, les parents abandonnent l'enfance à leur progéniture, durant un laps de temps, qui tend d'ailleurs à s'éterniser pour les dernières générations. Et les responsabilités deviennent, en grandissant, de plus en plus prépondérante. Côme ne semble pas avoir de réelle enfance. Solliciter d'un enfant qu'il freine sa spontanéité, sa joie de vivre, et ses pitreries, ce vers quoi tend notre bonne vieille éducation judéo-chrétienne, tout en cherchant à le responsabiliser.Les enfants issus des classes aisées ont, de tout temps, reçu ce type d'éducation, ne laissant guère de place à la moindre fanfaronnade à l'inverse d'aujourd'hui, où certains parents font preuve de trop de laxisme... Pendant ce temps, la nécessité d'un salaire supplémentaire obligeaient les familles pauvres à écourter l'enfance de leur progéniture, en l'envoyant aux champs, ou à l'usine.Nécessité pour les uns, apparence pour les autres, les différentes classes s'envient depuis le nuit des temps... Enfin, je m'égare.


Décidant d'en apprendre davantage sur la vie de ce petit ch'ti, je guettais alors la première occasion de satisfaire ma curiosité. Mais il ne faisait aucune allusion à sa famille, son quotidien, ou à sa vie privée en général. Il donnait son avis, suivant le sujet que nous abordions, mais restait plutôt fermé quant à ses parents, lorsqu'un adulte s'en serait ouvert plus aisément. Il me fit visiter le tout Calais, jusqu'en dehors de la ville, en direction de l'Euro-tunnel, et je compris vite qu'il voulait m'emmener voir la « jungle ». Sur une longue route droite, alors que je regardais un scooter s'approcher derrière nous, Côme hurla soudainement : « A GAUCHE ! »

Rouvrant les yeux, un peu secoué, j'aperçus un arbre collé à la portière et entendit l'enfant qui criait. Reprenant rapidement mes esprits pour glisser le gosse dehors, je constatais qu'il ne s'était blessé qu'au poignet, à priori de façon assez bénigne. Je voulus néanmoins qu'il me conduise chez son médecin traitant, ce qui nous ramena en ville. N'ayant que la carrosserie de sérieusement touchée, ma voiture nous y emmenât sans problème. Attendant que le docteur en termine avec ses patients, je pris conscience que le conducteur du deux roues avait vraisemblablement poursuivi sa route. Espérons que ce n'était pas trop grave. Le Dr. Guillot nous recevant enfin, il diagnostiquât rapidement une entorse. Il engageât brièvement la conversation avec le jeune garçon, sans doute pour occuper le silence le temps de mettre l'attelle.

Alors, comment ça va ton père ? Il travaille toujours autant ? demanda-t-il.

Oui, répondit Côme.

Et ta mère, elle est où en ce moment ?

Au Canada.

Ah, c'est bien ça. Et tu ne voudrais pas la rejoindre, un jour ?

Non.

Le médecin ne prêtant pas plus d'intérêt que cela à la discussion, elle cessa quand le poignet de Côme fût bandé. De plus, mon petit camarade, de nature peu expansive, n'éprouvait pas un grand besoin d'épanchement. Il s'exprimait d'un ton uniforme, prouvant par là sa lassitude. Nous sommes passé par le bureau, afin de régler.

Tiens, vous passerez à la pharmacie prendre des antidouleurs, dit le Dr. Guillot.

Oui, répondit Côme.


Nous sommes reparti et, alors que je souhaitais poursuivre en direction du centre-ville, il me fît obliquer sur la gauche. J'obtempérais sans trop rien dire, objectant timidement le besoin de trouver une pharmacie proche. Me répondant sèchement qu'il n'avait pas mal, nous avons donc roulé en silence jusqu'à la jungle de Calais. Son caractère autoritaire réveillait ma profonde soumission...


Sur sa demande, nous nous sommes garés assez loin, afin de terminer à pied. Alors que nous progressions, la zone se profilait devant nous. Il s'arrêtât alors, afin d'en contempler l'ampleur. Je fus alors totalement abasourdi par ce paysage, puis par cette nouvelle preuve de la grandeur d'âme du gamin. Alors que je pensais que nous allions rebrousser chemin, il poussât plus loin, ce qui me contraint à le suivre. Après être entrés, nous nous sommes senti infiniment plus petits. Seuls ou en famille, il y avait du monde partout, et là où personne ne demeurait, c'était leurs affaires qui occupaient la place. Un jeune homme interpellât Côme, de taille moyenne et plutôt maigre. Ils s'exprimaient en anglais, la conversation fût courte. Elle s'acheva sur un geste de son ami lui indiquant une direction. Côme la suivant, nous nous enfonçâmes encore dans la jungle de Calais, atteignant un autre jeune homme, assis en tailleur.

Relevant la tête en nous entendant approcher, il se montrât heureux de voir mon jeune ami. Nous avons pris place à ses côtés un moment, il parlait français, ce qui m'arrangeait fortement. Côme s'inquiétât tout d'abord de sa famille, puis du ressenti du réfugié. Je ne bougeais surtout pas, craignant de perturber leur discussion. Je restais concentré sur leurs propos, conscient de leur importance. Les dernières nouvelles reçues de ses proches dataient de deux semaines. Côme voulant ensuite faire les présentations, je fis alors la connaissance de Kader. Notre petit camarade nous fît partager son expérience, précédent son arrivée en France, récit non censuré d'un jeune migrant fuyant la guerre. Il nous faut bien comprendre que quitter leur pays représente pour eux un véritable déchirement. Dans son cas, il laissât toute sa famille au cœur de l'horreur, ses deux petites sœurs y comprises, partant pour eux en éclaireur reconnaître une contrée inconnue. Après une traversée pleine de risques, l'accueil réservé est certainement très éloigné de ce à quoi ils s'attendaient. Quand on imagine l'Europe comme une terre de paix, on ne peut pas prévoir un tel déversement de haine. Je culpabilisais quant l'indifférence dont j'ai fait preuve, vis-à-vis d'eux. Mon esprit intolérant ne pouvait s'y intéresser sans se rendre compte de sa bêtise... N'importe quel idiot se ferait tout petit à ma place, et ouvrirait grand ses oreilles. Les français, tant habituer à se plaindre, devraient chacun accompagner Côme discuter avec quelques migrants ; ils ne pourraient plus justifier leur intolérance.

Kader n'était pas très à l'aise en évoquant son parcours, sans doute par crainte de notre jugement. Je ne savais trop comment le rassurer, craignant qu'il prenne pour de la pitié mon changement de regard.Je portais donc mon attention sur l'observation attentive de mes pieds, éprouvant la plus grande difficulté à dissimuler mon malaise. Il nous parlait de sa culture, des choses qui lui manquaient, je suppose. Cela le faisait sourire, malgré cet air triste qui ne le quittait jamais.Il n'avait pas plus d'une vingtaine d'années, à l'instar de bon nombre de ses congénères, qu'ils soient coincés ici, à la jungle, ou bien dans leur pays... Combien de vies gâchées, du simple fait de l'endroit où elles ont vu le jour ? Les survivants demeurés au pays se retrouvent piégés à domicile, confrontés à des choix totalement impensables. Quant à ceux qui parviennent à s'enfuir, ce n'est que pour se voir vite, et souvent définitivement, catalogués comme migrant – prétexte à les rejeter. Impossible pour nous de prétendre pouvoir se mettre à leur place, pas plus que de parler en leur nom, mais je ne souhaite à personne de vivre leur calvaire. Les nombreux imbéciles, cherchant à minimiser cette situation et les accueillir au fusil, devraient s'interroger sur ce qu'ils pourraient ressentir si, d'aventure, ils étaient amenés à se retrouver dans une situation identique, subissant la même vindicte populaire. Sans doute apprécieraient-ils une oreille attentive, que nous aurions, bien entendu, à cœur de leur apporter.


Côme lui a donné de l'argent avant de partir, et nous avons quitté Kader, n'étant restés qu'un quart d'heure en sa compagnie. Côme était décidément un enfant plein de ressources, avec même quelque chose de génial. Nous sommes allés nous promener, loin de toute civilisation, ou presque. Les petits chemins empruntés étaient sinueux et rocailleux. Je m'évertuais à suivre mon camarade qui sautait de cailloux en cailloux Il est toujours agréable de prendre son temps avec la nature. Ayant toujours été habitué au bord de mer, j'ai rarement été amené à sillonner des chemins forestiers. Se laisser aller dans une pente, cherchant à éviter tout ce qui se présente tel l'homme qui valait trois milliards, est pourtant tellement amusant. Mon endurance ne me permettant pas de courir dans les côtes, je prenais du retard sur mon jeune ami. Nous demeurâmes comme deux gamins jusqu'au soir , même si nous semblons tous deux, d'ordinaire, avoir passés l'âge. La brise du crépuscule se faisant sentir avec la tombée du jour, nous avons couru à la voiture. Nous riions aux éclats, sans motif précis. Nous jouions à nous faire peur, alors que je circulais quasiment de nuit. Mais vînt le moment où il me fallait le raccompagner chez lui, et il ne fût pas question cette fois-ci de l'abandonner aux abords d'une zone pavillonnaire. Je tenais à le ramener personnellement chez ses parents, tout du moins à sa porte. Insistant fortement, en m'appuyant sur l'insécurité nocturne latente, il finit par y consentir.

Le chemin ne fût bizarrement pas le même que la veille, prouvant par là qu'il m'avait bel et bien mené en bateau ! Quel génial escroc... ou bien étais-je le parfait pigeon. Nous avons sillonnés une route toute en zig-zag, jusqu'à nous retrouver devant une grande grille. Côme est sorti, faisant le tour du véhicule afin d'insérer une carte dans un long boîtier métallique, avant de venir rejoindre sa place. La grille s'ouvrant, nous avons pu continuer sur environ cinq-cents mètres, pour échouer devant une vieille et vaste demeure. Je me suis garé devant la dizaine de marches menant à la porte d'entrée. Il m'a paru évident qu'il n'arnaquait pas pour s'enrichir, constatant qu'il ne manquait visiblement de rien, mais pour donner aux gens dans le besoin. Ce qui paraissait n'être que filouterie était en fait une bonne action ! Côme est sorti afin d'emprunter l'escalier, se retournant à mi-chemin pour me regarder. J'étais aux aguets de tout, mais constatant qu'il m'attendait, je me suis empressé de le rejoindre et ne le quittais pas d'une semelle, intimidé comme un enfant dans un monde de géants. Il m'a fait entrer ; tout était démesuré. Chez mon père, c'était grand parce qu'il y avait un grand nombre de pièces. Chez Côme, les salles elles-mêmes sont frappées de gigantisme, rendant la maison pantagruélique. Des portraits étaient accrochés très hauts sur le mur, sur des toiles toujours plus grandes. Seul errait un domestique, transportant de la vaisselle. Mon ami m'a conduit jusqu'à la cuisine, de taille plus raisonnable, où nous nous retrouvâmes seuls. Il a sorti des bols, du lait et des céréales, en m'expliquant que c'était là son repas habituel lorsqu'il ratait l'heure du dîner. Après nous avoir servi, nous sommes montés à l'étage, dans sa chambre, afin de déguster nos plats. J'étais bien déçu de n'avoir croisé aucun de ses parents, ou tout autre membre de sa famille. Nous sommes restés à causer ou à jouer jusqu'à bien après minuit, n'étant pas à surveiller le cadran. Il m'a aimablement proposé de rester dormir chez lui, dans ce vaste lit double, largement trop grand pour lui.


Il s'est réveillé avant moi, et quand j'ouvris les yeux, deux bols de céréales, posés sur un plateau de bois, attendaient au pied du lit. Je l'ai entendu me rejoindre pour déjeuner. Une fois rassasiés et habillés, nous sommes redescendu à la cuisine, où la pendule accrochée m'apprît qu'il était neuf heures passées. J'obtins de mon petit guide qu'il me fasse visiter les lieux. Nous traversâmes donc le grand salon aux fauteuils de cuirs, la salle de bain aux rebords de marbre et la magnifique bibliothèque, que j'aurais aimé pouvoir explorer minutieusement. Alors que nous allions passer à l'étage, où je n'avais vu que sa chambre, nous fûmes arrêtés par un grand homme aux épaules carrées, aux cheveux poivre et sel. Sa barbe, dissimulant bien son menton, venait en prolongation de ses cheveux, coupés plutôt courts. Sa grosse voix, son air strict et son costume lui donnaient son allure imposante. J'ai compris qu'il était son père lorsqu'il appelât Côme ; ce dernier s'approchât :

Côme, qui est cet homme ? demanda son père.

Un ami touriste.

Je m'appelle Hector, enchanté. Votre fils me fait visiter le coin...

Je vois. Et, qu'as-tu au poignet ? Interrogea-t-il

Je suis tombé en skate, répondit Côme.

Mmh. Penses à téléphoner à ta mère, ça lui fera plaisir. Et n'oublies pas ton cours d'économie cette fois. Si tu es sage, tu auras un cadeau. Amusez-vous bien, dit-il en partant.


Côme se retourna vers moi, un air dépité lui déformant le visage. Je retombais dès lors en enfance, et me revenait en mémoire la grosse voix que prenait mon père pour nous adresser la parole. La froideur ambiante de nos relations familiales qui en devient banale. Ces grandes maisons manquent de chaleur et de charme, mais je suis enclin à penser que chaque être humain doit se sentir naturellement plus à son aise dans une maison à sa mesure, à l'instar des autres espèces. Peut-on imaginer un couple de moineaux se construisant un nid de vautour ? Tous les animaux apprécient la quiétude de leur nid douillet, mais dans une si grande bâtisse, il n'y a que dans sa chambre qu'on se sente probablement le plus à son aise. Je suis convaincu que les gens sont beaucoup moins tendus lorsqu'ils vivent dans une petite maison cosy. Les enfants naissant dans des châteaux, ou assimilés, ne peuvent que se sentir perdus. Même en se sachant chez eux, il n'en demeurera pas moins un sentiment de perdition. Tout enfant ne se sentira jamais autant en sécurité qu'au creux des bras de sa mère, ou de son père.

Et Côme n'avait visiblement pas cette chance. Je souhaitais alors lui offrir mon réconfort. Je comprends mieux l'affection qu'il m'a portée, son cœur ne demandant qu'à aimer et partager, même s'il n'en montre rien ; il demeure pur et encore peu utilisé. Restait néanmoins la question de sa mère, mais suite à la visite chez le docteur, j'avais bien compris qu'elle n'était que rarement présente. Je lui demandai, tout de même, s'il ne voulait pas lui téléphoner, mais il me rétorquât qu'elle ne répondait que très rarement. Quand, par bonheur, il avait la satisfaction de l'entendre décrocher, elle était toujours pressée, ou occupée et raccrochait bien vite. Avec un certain détachement, il m'avouât qu'il l'imaginait bien avoir quelques aventures, ou du moins le pourrait-elle, d'abord par son absence, mais également parce que son père était bien trop occupé pour s'en soucier. J'eus au moins la chance, de mon côté, d'avoir des parents qui s'aimaient et se respectaient. Le pauvre Côme, en revanche, connaissaient peu ses parents ensemble, ne vivant finalement qu'avec son père. Les géniteurs communiquaient principalement à travers leur enfant, et de façon très sommaire. Même lorsqu'ils sont réunis, ils n'évoquent en rien un couple. Nous avons regagné sa chambre, et avons parlé un bon moment. Passé midi, je l'ai invité à déjeuner en ville, puis nous nous sommes promenés. Nous avons passés la journée à causer de nos familles respectives, allant parfois jusqu'à comparer les deux époques. C'était à la fois triste et amusant. Je l'ai ramené chez lui en début de soirée, avant de rejoindre mon hôtel.


Je suis resté quatre jours supplémentaires sur Calais, et nous en avons profité pour aller découvrir d'autres villes du Nord-Pas-de-Calais, comme Dunkerque. Amusés par le nom, nous nous sommes tout d'abord rendus au monument des Bourgeois de Calais. Côme, très au fait de l'art et de l'architecture de sa région, me fit visiter les plus beaux vestiges médiévaux. Dans mon périple, je n'étais pas spécialement attiré par les grandes villes, mais plutôt à la recherche de celles dont on n'entend pas parler. Nous avons donc laissé Lille de côté, malgré sa célèbre vieille ville, au profit, par exemple, de Somain, dont j'ai découvert l'abbaye avec enthousiasme, ou de Lewarde, et son centre minier historique, installé dans l'ancienne fosse Delloye.

Nous avons ensuite passé toute une après-midi à Douai. Tous ces villages traversés auraient mérités que nous nous y attardions, mais une vie serait trop courte pour découvrir convenablement toutes les communes de France. Nous l'avons pris au moins dans cette ville, où je ne fus pas déçu, malgré la pauvreté de ses édifices religieux. J'y ai même réservé une chambre pour ma dernière nuit dans le Nord, dans l'un de ses charmants hôtels. Je profitai également de mon passage pour en apprendre davantage sur la vie des mineurs. Côme m'ayant indiqué les musées les plus intéressants, j'ai particulièrement apprécié celui de Bruay-la-Buissière, où la vie des gueules noires y est fort bien dépeinte. Découvrir une région signifie faire l'effort d'en connaître ses habitants, leurs us et coutumes, à différentes époques, et en toutes circonstances. Cela nous procure un certain recul, tout comme dans le cas de Kader, pour en conclure que, finalement, on ne peut que s'estimer content de notre sort. Nous ignorons qui ou quoi décide d'où et quand nous venons au monde, cela demeure un mystère. Néanmoins, ce jet de dés conditionne le reste de notre vie. Quand on s'ouve au monde, on ne peut considérer que les gens ne sont fait que de ce que la nature leur a donné. Les êtres vivants sont faits d'expériences, et seuls nos choix devraient être pris en compte dans notre identité. Refuser de voir les humains dans leur individualité revient à condamner des enfants, des bébés nés ou à naître.

Alors que je m'éloignais de Calais, les allers-retours chez Côme devenaient fastidieux. Je négociai donc pour lui, auprès de son père, deux jours de vacances, de l'autre côté de la région. Il m'a donc accompagné pour dormir à Douai, et nous avons veillé tard, afin de profiter pleinement de nos derniers moments ensemble. C'était comme de longs adieux. Nous avons marché dans la nuit, dans les fraîches nuits d'octobre du Nord, nous amusant d'un rien. Il m'était agréable de me trouver autant en phase avec quelqu'un, et je pense qu'il en était de même pour lui. J'éprouvais également une grande satisfaction du fait qu'il se soit ouvert à moi. Je me félicitais de ne pas l'avoir brusqué avec une avalanche de questions, et d'attendre qu'il est envie de parler. Il faut croire qu'une heure du matin est bien ma limite, difficile pour moi de veiller plus. J'ai donc suggéré à Côme de rejoindre l'hôtel, et je m'aperçus qu'il n'avait rien contre. N'oublions pas qu'il n'avait que dix ans...


Je fus réveillé par un chatouillement sur mes lèvres, c'étaient les bouclettes du gosse. Et il dormait à poings fermés. Profitant de son sommeil pour rapporter deux copieux petits déjeuners, j'ai ensuite attendu qu'il se réveille. Nous nous sommes littéralement empiffrés ! J'ai pris tout mon temps pour le reconduire à Calais, afin qu'on puisse encore échanger. Nous discutions comme si c'était un matin des jours précédents, et que nous nous dirigions vers un un nouveau lieu à découvrir. Sans la moindre concertation, je me suis retrouvé en banlieue, garé sur le parking de l'hôtel où nous nous étions rencontrés. Désormais seul, il pouvait retourner vaquer à ses occupations. Nous n'avions aucune envie de nous faire de longs adieux, tout avait été dit, tout le temps à passer ensemble avait été pris. J'ai donc quitté Calais, à l'instant précis où les cloches sonnaient les onze heures.

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