Helena Kork 11
Bob Tass
Mais où sont mes bagages ?
Je les ai mis dans la chambre Madame, si vous voulez bien me suivre.
Je suis donc Antoine qui me guide vers la droite et pousse une porte.
La chambre est elle aussi très jolie et là encore un gros arbre y pousse dans un coin, je suis surprise par l’odeur enivrante qui y règne et me demande quel est donc le déodorant utilisé ?
Antoine dites moi quel est donc cette odeur ?
Il me montre la fenêtre :
C’est l’arbre que vous voyez dehors là devant, Monsieur l’a ramené d’Asie, on l’appelle Ylang Ylang et il ne sent que le matin et le soir. Laissez moi fermer la fenêtre pour les moustiques.
Non, non Antoine laissez la ouverte, ça sent trop bon !
Je visite alors la salle de bain attenante qui est, elle, dépourvue d’arbre en son beau milieu. Assez curieusement la baignoire n’est pas en faïence mais apparemment taillée dans un bloc de rocher presque noir avec des tas d’incrustation brillantes.
Quand je ressort Antoine a disparu et je rejoint le salon, Lucas est invisible mais j’entends sa voix qui s’échappe d’une porte ouverte du coté opposé à ma chambre.
…………..et ce n’est plus la peine de m’appeler, la dépression devrait commencer à remplir son rôle demain midi quel que soit le temps, on devrait plus avoir de problèmes pendant quinze jours. Allez salut, à demain soir, je te dirai quoi.
Je me demande un peu de quoi, de qui il parle quand il sort de la pièce.
Très sympa votre maison Lucas, j’accepte votre hospitalité.
Et bien vous m’en voyez ravi, vous verrez votre bureau est aussi très bien et quand Antoine est en forme la chère est pas mal non plus. Et maintenant que diriez vous d’un verre ?
Avec plaisir.
Martini ? Gin ? Whisky ? Bière ?
Un scotch ira très bien, sec s’il vous plait.
T’as entendu Antoine ?
Oui Monsieur.
Pour moi ce sera une bière. Allons nous asseoir voulez vous ?
Alors que cette maison est assez originale le salon est d’une banalité à couper le souffle, sur que cet homme ne doit pas passer beaucoup de temps vautré dans des coussins. Antoine ramène deux bouteilles, une de Black Label et une autre de Canadian Club, heureuse de passer à travers le sempiternel Chivas je demande à Antoine de me servir un verre du whisky de bûcheron. Antoine ouvre une très jolie bouteille d’une bière inconnue.
C’est une bière locale je suppose ?
Oui, enfin si l’on veut, c’est une bière brassée au Katanga, je la fais venir quand j’en ai l’occasion. C’est de la Tembo, ça veut dire « éléphant » en Swahili.
A votre santé…………
Oui c’est ça, à notre chantier…
Je me sens toute drôle, je sais que je dois parler boulot, lui demander plein de chose et je n’arrive pas à me décider.
Elle est très belle la baignoire qui est dans ma salle de bain.
Je trouve moi aussi, je l’ai faite tailler dans un bloc de diorite qui est un granit très dur constellé de particules de quartz.
C’est aussi la première fois que je vois une maison sans porte d’entrée.
Je déteste les barrières…………..mais il y en a pourtant une, coulissante et invisible car insérée dans l’épaisseur du mur, un peu obligatoire ici car la nuit des tas d’animaux pourrai rentrer dans la maison.
Quelle sorte d’animaux ?
Un peu de tout : des lézards, des varans, des singes, des oiseaux, des hippos aussi.
Pas de serpents ?
Non pas de serpents.
Il n’y en a pas dans la région ?
Si, si, il y en a plein, mais j’ai dans cette maison quatre serpents limes, et si un serpent osait pénétrer ici l’un d’entre eux le tuerait tout de suite, c’est un redoutable prédateur pour les autres serpents, ne craignez rien, on ne les vois jamais et il ne piquent jamais notre espèce.
Plus je regarde cet homme et plus je vois luire au fond de son regard comme une lueur de tristesse, mais je lis en même temps une sorte de volonté farouche, la ténacité chevillée dans le regard, et ce sourire bienveillant, presque ironique.
Le Canadian Club est délicieux, une douce chaleur me monte aux tempes, allez je me lance :
Monsieur Lucas……………..
Je vous écoute.
Comme vous le savez je suis ici pour quinze jours. Je vous ai apporté la deuxième tranche du financement des travaux, c’est un chèque de banque certifié que je peux vous remettre tout de suite si vous le souhaitez. Cependant je viens de voir un barrage poids en pleine construction au beau milieu de la saison des pluies et je me demande si vous êtes bien conscient de ce que vous faîtes, en passant je voudrai aussi savoir si vous avez la moindre idée d’où est passé John Andrews notre collaborateur disparu depuis maintenant deux mois ?
Ses yeux brillent alternativement d’une lueur attentive, puis inquiète et enfin amusée, je dois dire que des yeux qui brillent comme ça me plaisent…
J’accepte le chèque certifié tout de suite, si vous me le permettez je répondrai ensuite à vos questions.
Très bien, je vais le chercher dans mon attaché case.
Je me lève et en quelques pas je suis dans la chambre, prend mon portefeuille qui est dans ma veste et trouve tout de suite le chèque. De retour au salon je tends le précieux rectangle de la City Bank.
Voilà, c’est à vous…………….
Très bien, merci, vous permettez que je passe un coup de fil important ?
Oui bien sur……………
Lucas tape un numéro sur son portable, je cherche à lire sur son visage une expression de satisfaction, rien ne transparaît alors que je m’attendais à tout autre chose.
Marc ?
Oui, ça va, dis donc j’ai le chèque, est ce que tu peux m’envoyer les bahuts et les chauffeurs ce soir puis passer prendre le fric demain en fin de matinée ?
Le comptable sera à la banque à neuf heures et de retour ici vers onze heures.
Un peu limite oui………….. mais le seuil de la dépression sera dépassé demain matin et elle commencera à se remplir, vingt jours de répit, plus tes camions on devrait être sorti d’affaires et souffler un peu.
D’accord on fait comme ça, à demain.
Lucas coupe son téléphone, termine son verre et se ressert.
C’est mon fournisseur en véhicule, il attendait que je lui règle sa première livraison avant de me livrer de nouveaux camions, nous en aurons vingt de plus à rouler sur la digue demain matin. Vos questions…………….
Un bruit de moteur au dehors nous fait tourner la tête, et Lucas se lève.
Un instant Madame Korc, les chefs de chantier pour la réunion du soir il y en a pour dix minutes.
Deux hommes rentrent dans la pièce, un grand et très bel homme avec une méchante balafre au dessus d'un l'œil droit très bleu, et un petit trapu à l'air pas commode, Lucas fait les présentations.
Thierry le patron du terrassement et Pierre le patron du génie civil, Madame Korc de chez Hillman.
Nous nous serrons la main et Antoine prend les commandes et ce sera Black Label pour tout les deux.
Tout le monde s’assoie, Thierry et Pierre me demandent chacun à leurs tour si j'ai fait bon voyage, si la région me plait, le temps qu'il fait à New York et puis Lucas prend la parole.
Bon les mecs on est pas là pour jacter mais pour faire le point, on aura le temps pour ça dans la semaine autour d'un barbecue. Thierry tu auras ce soir vingt camions et vingt chauffeurs de plus, met les sur la piste tout de suite, Marc m’a dit qu’ils étaient OK, demain après midi cent mille litres de gas oil plus la commande de pièces détachées pour les GBH qui montent de Cotonou. Pierre toi c’est deux cent tonnes de ciment et tes cent tonnes de barres de vingt pour demain midi, tu auras aussi vingt mètres cubes de bois dans la journée plus toutes tes commandes en attente. Vous avez compris que nous venons de toucher le deuxième acompte que viens de me donner Madame Korc, nous allons pouvoir commencer à travailler avec un peu moins de contraintes au niveau fric. Je vous règlerai aussi ce que je vous doit.
Thierry ?
Alors ce soir que des bonnes nouvelles ! Je suis passé voir les sorties de drain, elles sont toutes complètement sèches, le barrage est donc étanche, aucune borne d’alignement n’a bougé et il est stable sur son ancrage, par contre l’eau est à moins de 80 centimètres de la crête………….. et même avec vingt camions de plus je me fais du souci pour la semaine qui vient. J’en arrive même plus à dormir d’ailleurs.
Pierre ?
Moi ça va si tu livres tout ce que tu viens de dire demain je vais pouvoir redémarrer à fond et sortir les fondations de la centrale de terre, pour la tour de prise rien à dire j’ai encore de l’avance et les vannes sont toujours étanches.
Alors ça va, on se verra demain matin sur le terrain, je dois encore répondre à quelques questions de Madame Korc. Allez salut et à demain, merci d’être passé les gars, et toi Thierry arrête de te faire de la bile je te dis qu’on est sorti d’affaire.
Ils se lèvent tout les trois, Thierry et Pierre me serrent la main chaleureusement et Lucas les raccompagne jusque dehors, j'en profite pour rejoindre la salle de bain et son odeur enivrante, quelques secondes plus tard je suis accroupie sous une douche qui coule à torrent et je me dis que j'ai beaucoup de chance d'être dans ce trou perdu entouré d'hommes qui me regardent presque comme une des leur, ou qui en tout cas ne jouent pas ce jeu odieux que l'on appelle séduction.
Je change de tenue et passe un Kimono en soie sauvage avant de regagner le salon qui est vide, j'entends un bruit d'eau et j'en déduit que Lucas est lui aussi un adepte de la douche du soir, je termine lentement mon Canadian Club en observant attentivement cet intérieur si nouveau pour la bonne New Yorkaise que je suis et en me demandant un peu comment Lucas va bien pouvoir s'expliquer sur les questions que je lui ai posés.
Je constate quand il sort de sa chambre qu’il a changé de couleur et je me demande alors combien de millimètres de latérite il avait sur la peau. Il a des espadrilles aux pieds et porte un short et un vieux tee shirt kaki.
Il s’assoit face à moi, éjecte une cigarette de son paquet, l’allume et plante ses yeux dans les miens :
Par quoi voulez vous commencez Madame Korc ?
Son regard est en cet instant d’une austérité stupéfiante, le sérieux de cet homme me fait penser à celui de ces moines soldats partis à la conquête de l’univers pour la plus grande gloire de dieu et je me demande si la seule conquête qui le préoccupe n’est pas la construction de ce barrage.