Helena Kork 13
Bob Tass
N’empêche qu’elle est belle, courageuse, un peu trop prompte peut être à tout saisir au premier degré.
Vraiment sympathique.
Il fait jour et il est temps d’y aller. Je passe un jean, une chemise kaki et mes chaussures de cuir puis je démarre le V 8 de la Range et prends la piste qui descend rejoindre la crête du barrage, il a beaucoup plu la nuit dernière, la piste est glissante et je conduis prudemment en observant avec attention si je remarque des traces d’animaux sauvages sur la terre détrempée.
Après avoir noté deux passages d’antilopes et un de phacochère je dépasse la courbe après le bois d’acacia et je découvre la totalité de l’ouvrage en construction, je remarque de suite que la densité de camions à rouler est nettement plus importante.
Ca glisse, petit travers, je lève le pied et me retrouve sur la piste de crête du barrage.
Je regarde le niveau de la retenue qui n’a évidemment pas bougé, je me faufile au milieu du trafic des camions et des machines en répondant aux saluts des chauffeurs et des conducteurs d’engins, sur le lac la brume du matin se lève quand je me gare devant le bureau de Thierry. Le gardien me dit qu’il est à l’atelier derrière quand il arrive, look habituel : short taillé dans un jean, chemise en denim, solides chaussures montantes :
Salut Treb ! Dis donc il a drôlement flotté cette nuit.
Salut Thierry ! Oui 40 millimètres. Alors ça roule ?
Ca va, vingt GBH, plutôt en bon état, presque tous en benne carrière, j’en ai mis six à rouler les enrochements et le restant à faire de la latérite. La pelle qui foisonne et la chargeuse qui sont à la carrière sont à 110 %, ça leur fait tout drôle aux conducteurs. Je leur ai dit que s’ils tenaient la cadence je les augmenterai de 30 %
C’est bien, matte quand même qu’ils disent pas aux chauffeurs de lever le pied…….
Evidemment. Dis donc t’as vu le niveau, c’est comme tu as dit, ça monte plus.
Une bouffée d’oxygène ça s’appelle, en tout cas faut pas mollir. Sans ça………..
On va la gagner cette bataille Treb, même si je dois plus dormir du tout on la gagnera !
Je sais que Thierry bosse déjà 16 heures par jour. Je me tais.
Le gasole et les pièces détachées arriveront vers midi. Dis donc t’as pas vu Anne ?
Avant-hier, je t’ai déjà dit qu’elle passerait ce midi pour voir si tu avais du fric. La vache quelle frite elle a cette môme.
- Une vraie femme de chantier, c’est vrai.
Il est déjà 7 heures quand arrive le pick-up de César avec Jean le comptable et Léonie la toute aussi bien roulée secrétaire remplaçante de la belle Solange, je donne le chèque au comptable en lui demandant de retirer 180 millions de francs CFA et de passer chez Marc lui régler ses camions et aussi de régler par chèque les factures en souffrance. César lui, doit monter à la maison vers 8 heures pour prendre Madame Korc.
Bon Thierry tu le payes ce café ?
On y va pour mon quatrième
Le bureau à Thierry c’est quelque chose ! Une table et une chaise en bois, des papiers, des notes, des plans étalés partout. Un frigo, deux cartons de Cutty Shark et une cafetière.
Léonie c’est une autre histoire une jolie table, un fauteuil confortable, un PC, une armoire remplie de classeurs, des tableaux de bord affichés partout : personnel, machines, gasole, ratios mensuels en tout genre : gasole/m3, heures/m3, coûts/m3 etc et trois cartes postales scotchées à hauteur des yeux. Je lui ai proposé à plusieurs reprises d’afficher un ratio Cutty Shark/m3, j’attends la suite !
Le Nescafé de Côte d’Ivoire est toujours aussi bon, par la vitre je regarde le lac, son nuage de brume matinal, l’escarpement de Dékoussou. Quand la retenue sera remplie ce seront plus de cent km2 qui seront submergés, un nouveau lac sur la carte du monde.
La baraque vibre de la noria de camions qui passent sous la fenêtre sans interruption, j’aime ce mariage de la nature, de la technologie et de l’humain. Je suis tellement bien au milieu de ces hommes et ces femmes réunis pour quelques mois autour d’un projet qui leur permet de faire vivre leurs familles ou d’acheter leur whisky par cartons entiers.
A travers la végétation j’aperçois le pick up de César qui descend de la maison…..
Du coup je me demande ce que fait John Andrews : au Bénin ? Nigéria ? Ailleurs ? Je suis heureux pour eux, et puis avec lui Solange pourra sans doute se construire un avenir.
César s’arrête devant le bureau et je sors à la rencontre d’Helena Korc.
Toujours très jolie, un pantalon de toile vert anglais, un haut beige avec brodé sur ses seins « If you want ! » Et bien oui, je voudrai ;
Nous nous serrons la main et je lui sors sans même y penser un sourire.
Bonjour Madame Korc.
Bonjour Trebor, vous permettez que je vous appelle comme ça ?
Oui bien sur.
Comme ça vous pourrez m’appeler Helena, ou Liana si vous préférez.
Alors ce sera Lian, puisqu’après tout nous vivons sous le même toit ! Vous avez aussi la permission de m’appeler Treb.
Elle sourit.
Entrez je vous prie, Thierry va vous offrir un café, vous avez bien dormie ?
Oui très bien, il a beaucoup plu cette nuit ?
Oui, 40 millimètres, mais vous verrez à midi tout sera sec ;
C’est bien, en attendant je dois bosser, où est ce que je peux me poser.
Entrons, Thierry va vous trouver ça.
Les cafés sont servis, on le boit et en cinq minutes le bureau de Thierry est débarrassé, la reine est installée.
Léonie pourra lui fournir toute l’assistance requise et j’en profite pour me sauver.
Je passe voir Pierre, rien à dire, un champion ce type là, 65 ans, un ancien du 6eme Régiments de Tirailleurs Sénégalais qui sait raconter ses vieilles histoires comme personne.
Il me demande si ça se passe bien avec l’inspectrice de chez Hillman, il me dit aussi qu’elle est drôlement jolie et que Thierry va vouloir se la faire. Je lui réponds que c’est bien là mon dernier souci. Il me traite de menteur et on se marre. Une fois payé il descendra à Parakou envoyer un mandat par Western Union, et me demande s’il doit me ramener une fille.
Non merci, pas ce coup là !
Je remonte au barrage et passe à la carrière, je cause un peu avec les conducteurs et redescend au bureau de chantier.
Helena me balance un sourire quand je rentre dans la baraque.
Dites donc Treb je le trouve un peu léger votre plan d’assurance qualité.
Et pourtant elle y est la qualité. Toutes les épreuves que nous soumettons au labo sont au moins à 150 %.
Oui j’ai vu ça, il n’empêche que les procédures sont quand mêmes succinctes.
Ecoutez Lian, sur ce chantier il y a deux types d’activités, trois zones de travaux dans un périmètre de trois km2, trois spécialistes expatriés, et trois ingénieurs contrôleurs qualités. Nous sommes en contact permanent et tout aussi présents les uns que les autres, rien à voir avec Cahora Bassa si vous le permettez. Et puis si ce ne sont que les procédures………..
Treb c’est rien du tout de les recadrer, je vais le faire avec Léonie et on vous le soumettra, ok ?
Ca va comme ça ! Et puis c’est au contrat……. Que j’ai signé.
Elle me regarde d’un drôle d’air où je lis un truc que je déteste : la bienveillance.
Treb………. J’aime pas du tout votre façon de me regarder.
Moi c’est votre regard qui m’exaspère. Au fait si vous voulez on pourrait passer en rive droite pour remonter un peu vers le Nord où j’ai deux sous traitants qui bossent ?
Ah bon ?
Oui, Anne qui déforeste les 10 000 hectares qui seront submergés par l’emprise de la retenue et Ludo qui récupère les animaux qui se font piéger sur les ilots crées par la montée des eaux.
C’est vrai, je me rappelle avoir lu ça dans les obligations environnementales.
Des gens pas vraiment comme les autres, vous verrez.
Anne ? Une femme ?
Oui, une française, une vraie bûcheronne des Ardennes.
Et où vit-elle ?
Dans une caravane, au nord de la retenue.
Ca doit pas être facile ?
Croyez pas ça, elle s’est très bien organisée, et puis elle passe au moins deux fois par semaine au chantier, on l’aime tous notre petite blonde.
Et bien allons y si vous voulez, je viens de donner deux jours de travail à Léonie.
C’est parti !
On se pose dans le Range qui empeste les Camel et je baisse les vitres avant de m’insérer dans le trafic des camions pour prendre la piste qui fait le tour de la retenue en rive droite ;
J’explique à Lian que Anne se bat contre la montre pour ne pas se faire dépasser par la montée des eaux, elle coupe et débarde aussitôt, je crois même que quelquefois ses bûcherons avaient de l’eau jusqu‘aux genoux.
Elle en fait quoi du bois ?
Elle le transforme en charbon de bois dans une véritable petite usine artisanale qu’elle a monté……….
Le revêtement est encore glissant et j’y vais doucement sur cette piste qui serpente en suivant les courbes de niveau. Le silence s’est installé, j’ai l’impression que Lian en prend plein les yeux entre la savane toute verte et le lac tout bleu sous le soleil. De temps en temps je lui jette un coup d’œil et la trouve bigrement mignonne.
Lucas fait pas le con ! Vas pas te foutre dans la merde pour une fille de la ville qui débarque dans ton univers.