Helena Kork 14

Bob Tass

Et puis Anne, j’espère qu’elle va pas m’accueillir en me traitant de minable parce que le treuil du bull que je lui ai prêté est en carafe ou alors de connard parce que le qualité contrôleur lui a fait tout un plat pour un jerrycan oublié en brousse par ses bûcherons, si c’est le cas mon prestige de patron de chantier risque d’en prendre un coup, surtout que je risque d’éclater de rire, comme d’habitude.

Déjà 30 minutes qu’on est parti et on commence à entrer dans la zone en cours d’exploitation, Anne risque d’apparaître à tout moment, Lucas reste calme……..

On croise deux tracteurs Same tirant des traineaux chargés de bois, un vieux Berliet qui attend son chargement, une procession d’ânes chargés de bois mort escortés par une bande de fillettes rigolardes et mignonnes comme tout.

Une ligne droite et au bout le 26 tonnes Volvo préféré de la belle. Une tignasse blonde, c’est bien elle qui conduit, je sais qu’elle adore ça en vraie gamine qu’elle est encore, on s’arrête et elle saute du bahut comme un écureuil.

La vache qu’est ce qu’elle est jolie, ses yeux bleus vert et sa frimousse de sale gosse dans un short Levis cradingue et une chemise rouge à carreaux noués sur le devant.

Dis donc toi je suis contente de te voir……………….

Le treuil ?

Oui le treuil !

Le mécano passera cet après midi.

C’est pas le mécano, c’est le roulement que je veux !

Justement tu l’auras.

Alors ça va.

Elle se penche et je l’embrasse.

Je te présente Helena Korc, elle vient nous auditer pour Hillman. Anne Clermont, contactor du lot déforestage, plus ou moins un million de stères à sortir de la vallée.

Elles se serrent la louche et l’étonnement se lit sur le visage de Lian. Certainement qu’une aussi jolie fille aussi étrangement fagoté qui descend d’un gros camion chargé de bois ça doit pas lui arriver tout les jours.

Ca va le boulot ?

Pas trop mal, toujours un peu à la bourre mais maintenant c’est gérable, on remonte les traineaux au bull jusque sur la piste et les tracteurs les emmènent au dépôt, les camions et les tracteurs se plantent plus c’est déjà bien.

Et le charbon ?

Ca crache méchant, l’autre jour 800 tonnes de bois, à peu prés 50 tonnes de noir, tout le monde a compris, ça tourne presque tout seul.

Et l’environnement ?

Ton Léonard est un peu lourd des fois……………. Te dire, il arrive à me foutre en colère avec ses conneries de jerrycan ou de fuites d’huiles sur les tracteurs! En fait je crois qu’il s’intéresse maintenant à ce que fait Ludo, ça me fait de l’air.

Je te rappelle que même si je l’aime bien ce n’est pas Mon Léonard mais un fonctionnaire du ministère de l’environnement.

-Dis donc tu devais pas passer chez nous aujourd’hui ?

Je mange chez toi ce midi, enfin si toutefois vous n’y voyez pas d’inconvénients ?

Elle dis ça sur un ton tellement ironique et en appuyant sur le VOUS que je sens qu’elle va pas tarder à déraper.

Je voulais justement te rappeler de ne pas oublier que tu es toujours la bienvenue.

Je m’en doutais un peu figure toi. Bon c’est pas tout ça mais faut que j’aille décharger et voir ce qui se passe sur le plateau. A ce midi alors ?

Ben oui, à ce midi.

Madame Clermont….

Vous pouvez m’appeler Anne vous savez.

Et moi Liana, est-ce que je peux venir avec vous ? J’aimerai bien voir votre usine.

Anne tourne vers moi un regard en forme de point d’interrogation.

Allez y, moi je remonte vers le Nord voir si j’arrive à trouver Ludo.

Ca c’est une bonne idée, je l’ai croisé ce matin. Il sait plus trop comment faire avec une maman phaco coincée sur un ilot avec ses rejetons, je suis sure que toi tu sauras.

On éclate de rire tout les trois, certes un peu jaune pour moi, mais c’est la première fois que Lian rie aussi ouvertement .

Putain, qu’est ce qu’elle est désirable….

Kork

Les yeux de cette femme me fascinent.

De bleus clair en plein soleil ils passent au vert bleu une fois dans l’ombre. Et puis quelle allure, son air de petite frappe avec ses fringues de jeune homme, l’énergie et la volonté que l’on sent frémir à fleur de peau. Impressionnante cette femme.

Je me sens joyeuse comme une petite fille en grimpant dans son gros camion rouge, la première fois que je monte dans un gros camion.

Rien à voir avec ma petite Toyota Corolla !

Génial, la cabine est beaucoup plus haute que celle d’une voiture et j’en prends plein les yeux, le lac et la savane dénudée sur la gauche, la savane naturelle sur la droite.

Il y a longtemps que vous êtes ici ?

Bientôt sept mois de bagne.

C’est vraiment votre métier le bûcheronnage ?

Oui, avant j’exploitais du bois de chauffage dans le Nord de la France.

Et comment vous vous êtes retrouvés ici ?

Le hasard comme presque toujours, j’ai connu Lucas à Cotonou quand il montait le projet. Ca me plaisait, je lui ai proposé de bosser avec lui et il m’a dit de lui faire une offre.

Le camion tangue à tout va sur les irrégularités de la piste et Anne m’explique que c’est à cause de la suspension pneumatique mais que ce n’est pas dangereux.

Nous arrivons très vite à une bifurcation et nous prenons la piste sur la droite, elle commence à monter et on arrive sur un plateau ;

La voila mon usine !

Etrange usine, une véritable montagne de bois, des tas d’énormes taupinières toutes fumantes comme des locomotives, des femmes qui s’affairent, qui remettent de la terre sur les taupinières par ci par là, des hommes qui empilent le bois pour en construire de nouvelles, d’autres encore qui en éventrent pour en tirer le charbon et le mettre en sac. C’est très artisanal et en même temps bien organisé, chaque personne, et il y a autant de femmes que d’hommes, semble savoir ce qu’elle a à faire et ça me fait penser à une ruche. Il y a un immense hangar où s’empilent des milliers de sacs de charbon et où chargent des camions.

Un jeune homme s’approche :

Ca va Odilon ? Je te présente Mme Kork, elle vient inspecter le chantier pour la banque qui a prêté l’argent à Lucas.

Bonjour Madame, oui ça va. Je voulais vous demander si vous êtes d’accord, je voudrais déblayer et niveler de l’espace pour y installer une vingtaine de fours supplémentaire sans ça on saura bientôt plus où stocker le bois vert.

Oui tu as raison, faut essayer de transformer les arrivages au fur et à mesure si on veut pas mourir enterré sous tous ce bois. Tu trouveras assez de personnel pour ça ?

Je trouverai des nouveaux et puis j’éclaterai les vieilles équipes déjà formés pour en former de nouvelles.

Fais pour le mieux, c’est toi le patron ici.

Il y a aussi jeanne d’Arc qui voudrait que vous passiez la voir.

On y va, vous venez Liana ?

On se dirige vers le hangar où sont en train de charger 4 camions, les « Bonjour Madame » pleuvent à qui mieux mieux.

Jeanne d’Arc est une épicière reconvertie dans le charbon, c’est elle qui gère tout ce qui touche à l’aspect commercial et aux finances.

La jeune femme qui s’avance vers nous est remarquablement disgracieuse, vêtue d’une salopette bleue et d’un tee shirt Addidas elle nous gratifie d’un magnifique sourire qui illumine son visage et la transforme d’un seul coup.

Odilon m’a dit que tu voulais me voir Jeanne ?

Oui Anne, j’ai maintenant quatre clients Nigérians, ils payent tous cash, je me retrouve avec des sommes folles et je veux pas rester avec tout cet argent, ça me fait peur.

A moi aussi. Tu veux quoi ? Un garde du corps ? Une arme ?

Elle rit.

Non, je voudrai que vous passiez prendre l’argent à 11 h et puis à 16 h.

Ca va être difficile. Attends je vais demander à Lucas si il peut pas envoyer son comptable en attendant d’installer notre système à nous. D’accord ?

Oui c’est bien ça va me soulager.

Sinon ça va ?

Oui ça va, je vends plus ou moins 2500 sacs par jour. Et puis j’en ai parlé à mon oncle de Maradi, il m’a dit qu’il allait chercher des clients. On va devenir une vraie multinationale.

Elle rit à nouveau.

Et tu pourras te trouver un nouveau mari alors ?

Nous rions toutes les trois et c’est magique : une cadre financière arrivée de new York, une bûcheronne française et une épicière Béninoise qui se marrent comme des bossues.

Oh non, celui que j’ai présentement me suffit largement. Il est sage et c’est un très bon cultivateur, chaque année c’est lui qui a les plus beaux ignames du village. Quand je suis contente d’avoir gagné beaucoup d’argent il me dit « C’est bien, toi tu vas manger ton argent et moi mon manioc  ! ».

C’est vrai Jeanne que ton mari est sage, alors garde le bien, nous en attendant on te laisse, à ce soir.

Oui, oubliez pas de passer prendre l’argent !

C’est ça, compte sur moi.

Et puis on fait le tour de « l’usine », Anne m’explique ses techniques de fabrication, elle parle à tout le monde, la fumée nous pique les yeux jusqu’à ce qu’Anne décide qu’il est temps d’y aller. Son camion est déchargé, elle le confie à un chauffeur et m’entraine derrière le hangar pour monter dans une vieille Lada 4X4 toute déglingué.

- Bon, allons y voir ce que l’Antoine nous a préparé !

Vous pourrez vous arrêter au bureau du chantier ? Je voudrai voir si Léonie a avancé dans le travail que je lui ai donné.

Oui bien sur, je me demande si on va pas y trouver Treb, ça m’étonnerai qu’il ai trouvé Ludo, il est quasi impossible à trouver ce gaillard.

Ah bon ?

Ben oui, il est presque tout le temps sur le lac à traquer les animaux prisonniers sur les ilots, le plus souvent des mères avec leurs petits, renards, civettes, phacochère, antilopes, que des bestioles vachement facile à attraper…

J’imagine. Il a un bateau ?

Oui une sorte de petit Zodiac, et lui en plus d’être beau comme un dieu il est adorable, toujours prêt à rendre service, quel dommage qu’il soit si jeune, à peine 30 ans…

Quel dommage pour nous, pas pour lui bien sur !

Nous rions et ça fait du bien de rompre la glace comme ça.

On roule doucement jusqu’à la piste principale puis on tourne à droite vers le chantier, la Lada fait un bruit épouvantable.

Treb m’a dit que vous habitiez au nord du lac ?

Oui, au début j’avais une vieille caravane, depuis je me suis agrandie, j’en suis à quatre containers de vingt pieds, un espace repos, une salle d’eau, une cuisine et la chambre, c’est sympa et vivable. Un peu loin de tout mais ça va je me suis organisée.

Vous devez voir souvent Treb et Ludo non ?

Ludo oui, mais Treb ça dépend, roule pas toujours tout seul ce genre d’affaires, et puis une fois la journée terminée j’ai pas trop envie de me taper 40 minutes de piste. Je me lève à 5h le matin et j’arrête jamais avant 19 h, ça finis par user ce rythme là.

Je m’en doute… Et Ludo il habite où ?

Un campement encore plus sommaire que le mien, à dix minutes de piste de chez moi.

J’ai envie de lui demander si elle a un amoureux mais je me retiens.

Et vous ?

Je bosse à New York sur la 5me rue, entre Carnegie Hall et Central Park quand je ne suis pas sur site comme aujourd’hui. Sinon j’habite dans le New Jersey, à dix minutes de mon travail par le Lincoln tunnel.

Vous voyagez beaucoup ?

Oui, la plupart du temps en Asie, je suis ici parce qu’on m’a demandé de m’occuper de ce projet en attendant de trouver un remplaçant à John Andrews, normalement pour deux semaines.

Vous êtes mariée ?

Ni homme ni enfant, je veux dire pas à plein temps, des petits copains par ci par là, encore aucun qui a su me faire chavirer, mais bon il est vrai que je vis dans un monde tellement étrange et que ce n’est pas évident de sortir de mon formatage professionnel. Et quand j’arrive à en sortir c’est le plus souvent pour voir très vite s’échapper l’oiseau que j’aimerai voir m’apprivoiser… Et vous ?

Pas marié mais des amants à l’occasion ; Un peu Treb au début, à Cotonou avant le démarrage du chantier, et puis Thierry, le temps qu’on se rendent compte que c’est pas gagné de mélanger le cul et le boulot. Maintenant un week end par mois je descends à Cotonou, je danse au New york, je picole, je baise et puis je remonte ici. Une frustration totale, à chaque fois que je remonte je me jure que je redescendrai plus et puis un mois plus tard j’y retourne…

Et bien moi, même si le contexte est différent c’est à peu prés pareil.

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