Helena Kork 16

Bob Tass

J’avoue que je suis assez dubitative après ce que je viens d’entendre, Lucas prétend que John est parti avec Solange alors que celle-ci a été vue seule à Parakou et en sa présence à Cotonou. Lucas ment, il sait certainement où est John et ne veut pas le dire.

Je ne veux pas échafauder toute sortes d’hypothèse. Le plus sage est de poser quelques questions à César et à Mademoiselle Josiane, je verrai bien ce qu’ils voudront bien me dire.

Dix minutes plus tard je suis à la maison, Lucas est encore au bureau et il me propose de m’asseoir.

J’ai une bonne nouvelle Liana, les deux turbines seront mises à FOB à Anvers demain, dés que j’aurai les documents de réception conformité je vous demanderai de virer les 60% prévus au contrat, les turbines embarqueront sitôt le paiement perçu par le fournisseur. Arrivée prévue sur site 60 jours après le paiement.

C’est pas évident votre plan Treb, vous allez me demander d’autoriser un décaissé de deux millions de $ six mois en avance sur le planning… Et si AIF refuse ?

On regardera s’écouler six mois de production sans les turbiner, soit quatre millions de $ qui passeront sous le nez à tout le monde.....

C’est vrai qu’avec de tels arguments vous jouez sur du velours…

Je le regarde… et il sourit. Un vrai sourire, extrêmement chaleureux, pas un de ces sourires commerciaux que je connais si bien. Il se marre parce qu’il nous a tous pris au piège de l’appât du gain alors qu’il en a lui-même rien à foutre de ce gain là. C’est même pas la peine que j’explique tout ça à AIF, j’ai qu’à seulement leurs dire qu’on a pris 6 mois d’avance et que ça va leur rapporter 4 millions de $.

- Votre connection Internet marche bien ?

- Pas très rapide mais elle marche.

- bon alors je vais passer deux ou trois messages et on se retrouve au salon ?

- Sur le perron ?

- Encore mieux !

En envoyant les mails je me dis que si ça se trouve je vais dormir dans la maison du mec qui a tué John….. Et le pire c’est bien que ça me fait pas froid dans le dos. Limite excitant plutôt.

Mais non John est pas mort. Il se la coule douce dieu seul sait où.

Je sort et Lucas est assis sur le perron. Il aurait pu demander à Antoine de sortir deux fauteuils et une petite table, mais non il préfère poser ses fesses sur le bois brut.

Le nuit se prépare à nous tomber dessus quand je me pose à côté de lui. Il me tend un verre ballon.

Goûtez ça Lian….

Dieu qu’il est bon ! Laissez moi deviner…. Un vin du Languedoc !

Presque. C’est un Roussillon, un Carerades, des vieilles vignes de Grenache sur un sol schisteux. Je l’aime beaucoup.

Moi aussi.

Je suis assise à moins d’un mètre de lui et il sent la sueur et ça me fait tout drôle. Si cet homme était mon amant je le lécherai de plaisir. Il faut que je reprenne mes esprits.

Dites donc Treb, est ce que je peux vous poser une question.

Allez y mais une seule, après je file sous la flotte.

Quand ce barrage sera terminé vous ferez quoi ?

Je construirai une ferme !

Ici ? Au Bénin ?

Au pays Oromo, en Ethiopie.

Ah bon ? Vous avez des attaches là bas ?

Deux trois copains. J’aime beaucoup ce pays. Il me ressemble.

Pourquoi donc ?

Un pays qui ne cesse de se battre depuis toujours pour sa survie.

Et vous voulez faire quoi dans votre ferme ?

Du raisin de table, des bananes plantain et puis un peu de tout…

Une femme ?

Pourquoi pas si j’en trouve une ?

Vous voulez dire peut être « Si je prends le temps d’en chercher une » ?

Si vous voulez… Bon vous en êtes à sept questions, je vais me laver, à tout de suite !

Il se lève et disparaît en même temps que la nuit tombe, la douceur de l'air est un vrai bonheur, j'en ai de la chance d'être ici.

Un peu plus tard on passe à table, poulet grillé, frites, Lucas me parle longuement de l'Afrique et de ses nombreux amis Africains, des petites histoires qui en disent long sur ses qualités humaines et ses capacités d'adaptation.

Je lui parle un peu de mon dernier chantier de Sakhaline, et lui me parle du grand nord sibérien qu'il a l'air de très bien connaître, de ces nombreux peuples qui ne croient ni à dieu ni à diable, mais seulement au respect de la nature nourricière.

Je lui demande quelle raisons l'avait emmené par là bas, et il me répond à moitié qu'il faisait de l'assistance technique pour les autorités...

Et comme d'habitude il ne me pose aucune question.

Puisque c'est comme ça je vais me coucher !

Jour 3

Je me réveille et me lève à la même heure que le soleil. Il est 6 heure.

J'ouvre la fenêtre, il pleut et le parfum merveilleux de l'ylang ylang envahit la chambre, je me mouille le visage et en pyjama rejoint le salon voir si Antoine a fait du café.

Il y a du bruit qui provient de la cuisine et je me pose dans un fauteuil, sans doute que le doux breuvage est en train de passer.

Je lève un sourcil étonné quand Lucas fait son apparition avec une tasse de café à la main.

Il s'arrête et me regarde.

Vous savez que vous êtes bougrement jolie en pyjama ?

Ah bon ?

Ben oui, vous faites pas du tout expert en énergie dans cette tenue.

Et je fais quoi à votre avis ?

Femme bien dans sa peau et pas mécontente de se lever tôt.

C'est un peu vrai en ce qui concerne le lever. Et vous ? Vous n'êtes pas encore descendu au chantier ?

C'est pas la peine. Il est tombé 50 mm dans la nuit, le boulot reprendra vers midi sur le barrage, vers 8 heure pour la centrale, c'est pas plus mal que les gars soufflent un peu.

Dites moi, est ce que César pourrait m'emmener à Parakou ce matin ? J'aimerai bien voir à quoi ressemble votre capitale régionale.

Sans problèmes, il sera ici dans 30 minutes si il me voit pas descendre.

Je file prendre une douche et je traine un peu sous la flotte puis je m'habille, jean, chemisette kaki et petite veste en toile noire.

En sortant de la chambre je me cogne presque contre Lucas qui sort lui aussi de la sienne.

- Tenez Lian, la copie mail du contrôle avant embarquement. Les turbines sont conformes et à quai, à Anvers ils attendent le paiement pour charger les colis sur le Lukaya qui part dans cinq jours. Je vous ai mis en copie sur votre mail avec les certificats d'essais en usine visés par Véritas et les assurances transports.

Vous serez prêt avec la centrale pour le montage des équipements ?

Oui, on pourra même faire les essais en charge tout de suite après l'installation.

Bravo, je vérifie pour la disponibilité des fonds et si c'est OK je ferai le virement tout de suite.

C'est super, merci.

Dix minutes plus tard je lui confirme que les 60% ont été viré sur le compte du turbinier et que les 20% de la livraison sont aussi crédité.

Bon et bien voilà un souci de moins. Au fait, César est arrivé il vous attend dans la cour si vous voulez y aller.

Bon et bien j'y vais, je vais passer à la centrale voir Pierre avant de partir, vous voulez pas venir avec moi ?

Non pas tout de suite, je veux pas lui ôter le plaisir de parler en tête à tête avec une aussi jolie fille que vous !

Vous savez que vous êtes vraiment chouette avec vos hommes ?

Chouette ? Même pas, je suis certain que sans eux je ne serai rien.

Quelle sagesse...

Il me regarde et souris sans rien ajouter.

Bon alors à ce soir Treb !

Ok Lian à ce soir.

Cinq minutes plus tard on est sur la crête du barrage, le niveau de l'eau est au moins quatre mètres plus bas que le sommet, compte tenu que chaque décimètre d'élévation représente 100 millions de mètres cubes de moyenne pour le premier mètres puis 300 puis 400 pour les mètres supérieurs je n'ai plus aucun doute sur la sécurité de l'ouvrage et sur son achèvement.

J'aperçois un peu plus loin un topographe qui installe sa station totale et je demande à César de me rapprocher de lui.

Bonjour Monsieur, je suis Helena Kork du bureau de contrôle, est ce que je peux vous poser quelques questions ?

Je vous en prie Madame, mais tout d'abord bienvenue à Dékoussou. mon nom est Teddy.

Merci Teddy, dites moi nous sommes encore loin de la côte finale ?

Encore 6,80 mètres pour atteindre la couche de base de la chaussée Madame Helena.

Et le niveau maximum de la retenue est deux mètres plus bas ? C'est bien cela ?

Le niveau maximum de sécurité oui, mais le niveau normal d'utilisation est à moins 2,5 mètres sous la crête.

Donc le niveau de l'eau devrait encore monter de presque neuf mètres ?

8,7 mètres exactement, à mon avis dans deux mois nous serons au niveau final, juste pour la fin de la saison des pluies.

Je vous remercie Teddy, bonne continuation.

Merci Madame, à vous de même.

César fait demi-tour et je lui demande de me descendre à la centrale. On prend la piste qui descend dans la vallée et à quelques centaines de mètres nous tournons sur la droite en longeant le cours primitif de l'Ouémé. J'observe des équipes en train de mettre en place des gabions quand nous traversons le fleuve sur un radier submersible à sec grâce à des buses coulées dans l'épaisseur du radier avant de nous garer devant la centrale en construction.

Un parallélépipède d'une cinquantaine de mètres sur vingt.

Je m'approche quand Pierre apparaît, il a l'air ravi;

Ah ben ça alors ! Bonjour Helena, vous venez contrôler mes travaux ?

Si vous me le permettez bien évidemment.

Allons allons vous savez bien que le client est roi et vous êtes sa représentante.

On se serre la main.

Vous arrivez juste au début du coffrage de la dalle de couverture, d'ici huit jours la centrale sera terminée. Je veux dire le gros œuvre bien sur.

Et après?

Les finitions, les supports de turbines, d'alternateurs, de transfos et le canal de restitution avant de passer à la finition des logements du personnel de l'exploitant, une dizaine de villas, une bricole...

Et la tour de prise ?

Le gros œuvre sera terminée dans trois jours.

Les turbines seront ici dans deux mois et il me semble que Lucas voudras les installer immédiatement.

Moi aussi j'ai hâte de voir tourner tout ça vous savez.

Vous me faites visiter ?

Oui bien sur ! Suivez moi.

Je le suis et il me fait visiter son chantier, je trouve son boulot très bien réalisé, Pierre me laisse pour répondre à une question de son chef ferrailleur et j'en profite pour passer au laboratoire où je cause un peu avec l'ingénieur qualité et le laborantin sur les procédures. Visiblement Pierre et Lucas les ont bien sensibilisé sur l'importance de leurs boulots.

Je retrouve Pierre devant la centrale.

Vous pensez que vous aurez fini quand ?

A mon avis dans quatre mois c'est plié pour ma partie.

Et après ?

Si Treb me propose quelque chose je continuerai avec lui sinon je prendrai quelques mois de repos avant de chercher autre chose.

Vous travaillez depuis longtemps avec lui ?

On s'est connu en 1984 au Burundi. On était copains de bistrots, lui il était dans le transport et moi je bossais sur l'assainissement de Bujumbura. On est toujours restés plus ou moins en contact et il y a trois ans de ça il m'a embauché sur un chantier d'irrigation en Ethiopie et presque tout de suite après il m'a demandé si ça m'intéressais de venir ici et j'ai dis ok.

Vous vous entendez bien avec lui ?

C'est une tête de cochon, tout comme moi, on s'équilibre bien comme ça.

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