Helena Kork 5

Bob Tass

Manhattan


Le lendemain fut un jour sans joie, le matin des tas de coups de fil avec Houston et Milan, le nez en pointillé dans un projet hydro en Indonésie, l’après midi un rendez vous avec un inconnu de la Banque Mondiale pour parler d’un autre projet thermique en Chine, un insupportable celui là pour qui la Chine commençait à la porte du Sheraton Shanghai et s’arrêtait à la grande muraille survolée en hélico. Je me retins de lui dire que pour moi l’essentiel de la vérité chinoise je le trouvais dans les fumeries flottantes d’opium de Macao. Mes pensées revenaient sans cesse à la soirée de la veille, Kill était à sa grande réunion mensuelle, tiens il faudra que je lui demande qui était cet inconnu sur un des posters du Haiphong station.
Ce fut le lendemain que toute cette histoire commença.
A peine arrivé au bureau le téléphone sonna, le numéro deux affiché sur l’écran : Kill.
- Liana ?
- Oui, bonjour Kill.
- Bonjour ça va toi ?
- Oui ça va
- Dis donc est ce que tu pourrais passer me voir dans le bureau de Barley pour une petite réunion ?
- Oui bien sur, quand ?
- Tout de suite, possible ?
- J’arrive.
- Merci, le taulier sera là.
- Alors ce sera cinq minutes, je dois me recoiffer !
- Génial.
Il éclata de rire et j’en fut heureuse. Tiens donc Barley et le Hilmann le DG ! Drôle d’homme ce Barley, le patron de l’Afrique toutes catégories confondues, un gueulard comme c’est pas permis avec un nouvel et dernier grand amour chaque semaine, une flopé de mômes un peu partout dans le monde et une gentillesse à toute épreuve.
Deux minutes plus tard je fis irruption dans son bureau et serrais la main de tout le monde.
Une fois assise ce fut Kill qui prit la parole.
Liana est ce que tu as déjà entendu parler de Dékoussou ?
Euh…………. oui je crois mais je sais plus vraiment de quoi il s’agit.
Allez Barley continu, c’est ton truc à toi.
Bon alors voilà Liana, Dékoussou est un projet Hydro dans le Nord du Bénin, un petit truc de quinze mégawatts monté par un privé et financé par Africa Invest Fund. C’est un BOT qui aurait jamais du se monter, pas assez de garantie, mais les perspectives de rentabilité étaient tellement alléchantes que ça a fini par se faire. Le fond nous a demandé de suivre ce projet il y a trois mois et j’ai mis dessus John Andrews, tu le connais peut être ?
Oui un peu, on a du prendre deux ou trois cafés ensemble à la cafétéria.
- John est un gars solide et compétant, il y a six mois de ça il est parti là bas pour prendre la température et faire le point avant le démarrage des travaux, tout se passait très bien, achat du matériel, commandes, planning, une affaire bien emmanchée, avec un rapport solide de John chaque semaine. Et depuis trois mois plus de rapport, comme les coms sont assez difficile entre ici et là bas on s’en est pas préoccupé, et puis il y a quelques jours c’est le directeur de projet qui nous a passé un mail pour nous demander comment faire pour obtenir le décaissement prévu de 700 000 dollar pour finaliser les achats du matériel de génie civil puisque le représentant de Hillman était plus là depuis un mois. Et ça fait quinze jours que je remue ciel et terre pour retrouver ce foutu John, jusqu’à présent je l’ai pas retrouvé, franchement je comprends pas ce qui se passe. Je laisse la parole à Mr Hillman.
- Madame Kork le problème est le suivant : ici dans le service Afrique nous sommes à bloc, nous avons essayé d’envoyer les gens que nous avons en Côte d’Ivoire au Nigeria et au Mali, y a vraiment pas moyen. Or il nous faut quelqu’un rapidement là bas pour expédier les affaires courantes le temps pour nous de trouver quelqu’un pour le remplacer. Kill nous a dit que vos projets se passaient très bien et qu’il pourrait vous prêter sans difficultés une quinzaine de jours à Mr Barley, comme vous n’êtes pas tant que ça dans la boite à bien gérer vos projets acceptez vous de vous occuper de cette affaire pendant deux semaines ?
Seigneur que je déteste cette façon de vous passer de la pommade pour vous emmener à accepter un deal tordu……………. Je les regardais dans les yeux chacun à leur tour en faisant semblant de réfléchir histoire de croiser ceux de Kill, il eut pour moi ce petit air dur en acquiescent imperceptiblement de la tête, cet air que j’aime tant et qui me donne la certitude d’être celle que je suis……………….
C’est ok, je prends la mission, je pars quand ?
Voilà votre billet, vous partez demain matin 8 heure 20 de Kennedy avec le vol Concorde d'Air France, vous reprenez Air France le surlendemain pour Cotonou. C’est Mr Barley qui s’est arrangé pour que vous puissiez passer un peu plus de 24 h à Paris, nous savons tous ici que vous adorez cette ville. Maintenant si vous le permettez je vais me retirer, je vous laisse à Mrs Kill et Barley, je suppose que vous avez encore quelques détails à régler. Bon voyage Mme Kork et merci pour votre décision.
Une fois Hilman sorti je leur sautais sur le poil à tout les deux :
Dites donc vous deux…………. C’est quoi ce plan foireux de m’envoyer là bas ? Si vous croyez que je vais jouer les détective pour retrouver John autant vous dire que vous vous mettez le doigt dans l’œil, j’irai là bas c’est clair, je ferai ce qu’il faut faire dans le cadre du contrat d’audit, rien de plus. J’espère que c’est clair pour vous sans ça c’est pas dans l’œil qu’il vous faudra le mettre le doigt !
Ce fut Barley qui explosa de rire le premier, un vrai rire franc et clair, la tête balancé en arrière, Kill lui me regardait de son air de gamin qui vient de faire une farce à sa meilleure amie, ce fut lui qui ajouta :
Te bile pas, c’est moi qui vais rédiger ton ordre de mission, il sera clairement précisé que je t’interdit de te mêler de la disparition de John qui à mon humble avis doit être en train de filer le parfait amour sous les cocotiers avec une petite black. Barley va te donner le dossier et tu rentres chez toi bosser un peu dessus et te préparer, c’est moi qui te porterai ton passeport demain midi chez toi.
Sur le coup j’aurai presque sauté au cou de Kill de se taper le voyage pour me dire au revoir, mais je voulais l’embêter un peu…………….
Hors de question !
C’est comme tu voudras, j’enverrai alors un coursier.
D’un seul coup il eut l’air très triste, un peu désemparé face à ma réaction, penaude je m’empressais d’ajouter :
Je ne veux plus entendre parler de toi tant que tu m’auras pas dit quel était le personnage inconnu sur le poster du Haiphong !
Attends de quoi tu causes là ?
Au mur du bar il y avait trois posters, Tché, Oncle Ho et un inconnu, c’est qui celui là ?
Un sourire rassuré se dessina sur sa bouche en même temps qu’une ombre passa au fond de ses yeux.
Oh oui je vois…………….. c’est notre maître à tous. Un vrai donneur de leçon celui là.
Un vainqueur, C’est le général Giap.
Merci Kill et puis surtout merci pour demain midi à la maison.
Dix minutes plus tard je sortais de l’immeuble pour rentrer chez moi mon petit dossier sous le bras. Je pris le bus songeuse. Quel homme ce Kill, on bosse quinze ans ensemble, toujours plein de distance respectueuse, on se rapproche comme ça et je me rends compte de sa sensibilité à fleur de peau, de toute ses ombres dans les yeux. Sois prudente ma fille, va pas lui faire du mal, c’est pas un connard de trader de Wall Street qui carbure au Cialis cet homme là, faudrait pas que tu finisse le jeu de massacre avec tes grands airs.

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