Helena Kork 8

Bob Tass

Paris


Ca fait un an que je ne suis pas repassé à Paris et l’idée de revoir la petite Clara m’enchante.
A mon arrivée le concierge de l’hôtel me remet un papier griffonné
«  Je passe te prendre à 12 heure 30. »
Clara 

Je lui demande de faire monter mes bagages et cherche le chemin du bar pour y prendre un café, je me pose sur un siège et passe ma commande à un barman souriant, mon esprit s’envole vers Emiliano, je m’imagine qu’il doit être en avion très loin vers le sud et au beau milieu de l’Atlantique. Mon café est très bon, j’en commande un deuxième et après l’avoir bu je monte dans ma chambre, il est 10 h. Il est trop tôt pour appeler le siège alors je prends un bouquin et deux minutes plus tard je dors.

Je dors encore quand on tape à la porte, un coup d’œil à ma montre me renseigne il est 12 h 45, ce doit être Clara et je me lève précipitamment pour aller ouvrir sans même jeter un coup d’œil sur le sommeil qui habite encore mes traits.

J’ouvre et c’est bien elle.
Toujours aussi blonde et bleue. Toujours aussi mignonne ma petite Croate.
On tombe dans les bras l’une l’autre.

Ca va ?
Oh oui, heureuse de revoir ma grande ! Et toi ?
Moi aussi.

Elle rentre de sa démarche sautillante qui n’appartient qu’à elle. Pantalon de toile verte, chemisier gris clair sous un trois quart en cuir fauve, aux pieds des chaussures innommables, des sortes de rangers noires…. Elle a toujours le chic du détail qui vient tout gâcher.
Je ne fais aucun commentaires, je sais d’avance qu’elle va ma ressortir que le secret du fantassin pour gagner les batailles est d’être bien chaussée, et que pour assouplir le cuir le meilleur moyen est de pisser dans ses chaussures pendant une semaine. A l’odeur je dirai qu’elle ne le fait pas !

Alors ?
Je devais venir à Paris pour le boulot et j’ai avancé mon voyage d’une journée pour te croiser. Et toi tu pars où et quand ?
Je pars au Bénin demain matin à 10 h.
Chouette, moi à 11 h pour Toulouse.
Toulouse ?
Je dois passer chez ATR négocier la location d’un 72 cargo avec son équipage que je voudrai positionner sur Kampala et résoudre ainsi la plupart des problèmes de transport qui se posent sur nos camps de réfugiés.
C’est un avion ?
Oui un bi-turbopropulseur tout terrain pas trop exigeant en maintenance. Normalement c’est pas moi qui m’occupe de ce type de problème, mais si je laisse faire le service achat il vont me louer une vieille casserole qui sera immobilisé deux jours sur trois… Mais dis donc t’as changé de continent toi, c’était pas plutôt l’Asie ton terrain de chasse ?
Oui mais figure toi que sur cette affaire du Bénin notre représentant a disparu et comme je suis à jour sur mes projets Asie le taulier m’a demandé d’y aller deux semaines pour expédier les affaires courantes.
Pas pour jouer les détectives j’espère,
Non de ce côté-là tout est clair. Et puis de toute façon je connais à peine le disparu !

Alors bienvenue en Afrique, chez moi ou presque. Et les amours ? Encore avec ton courtier ?
Plus ou moins, surtout moins d’ailleurs depuis ma dernière aventure…
Ouaouh ! raconte !

Un drôle de type croisé dans un bar de Brooklyn. Trop petit pour moi mais une vraie gueule d’amour, un homme qui n’a pas besoin de parler tellement son regard est incroyablement expressif. Et puis un homme qui sait ce qu’il veut ça court pas les rues…
Et il veut quoi cet hidalgo ?
Mis à part avoir voulu me baiser et y être arrivé je sais pas encore ce qu’il veut, mais ce que je sais c’est qu’il me fait de l’effet…
Ah bon parce qu’en plus ?
Oui, et de la façon la plus osée qui soit. Dans ce bistrot rempli de clients, coincée entre le coin du bar et une plante verte ! Je me serai jamais cru capable d’une chose pareille !

Je rêve… Toi tu as fait ça ?
Ben oui, et tout naturellement en plus. En fait c’était la seule chose à faire compte tenu de l’état dans lequel nous étions.
Excuse moi mais je suis admirative.
Y a pas de quoi tu sais quand le désir est là ça roule tout seul. Et toi ? Ton aventurier ?

Il reste juste une photo au mur de mon bureau. J’ai fini par faire une croix dessus. Je l’ai revu l’an dernier, il était dans une dèche effroyable, il travaillait sur des chantiers et dormais dans sa voiture, plus d’argent, plus d’amour, plus rien. Et incapable de demander quoi que ce soit à quiconque. Il m’a envoyée balader quand je lui ai proposé de l’aider.
Alors qu’il n’est ni fier ni orgueilleux, peut être qu’il a seulement peur de moi ? A moins que ce soit rien qu’un sale con finalement ? Maintenant j’ai un petit ami, un pilote qui vole chez nous, il est russe et épuisant à vivre en bon slave qu’il est. A croire qu’il y a que les hommes impossibles qui m’intéressent ?
Oh tu sais je pourrais en dire autant !

Dis donc tu n’as pas faim toi ?
Excellente idée, on descend ?
Oui, un petit pipi, je me recoiffe et on y va.

Un peu plus tard nous descendons bras dessus bras dessous la rue du Commandant Mouchotte. Et c’est moi qui demande ?
Où est ce qu’on va ?
Un petit bar à vin si tu veux. Boulevard Edgard Quinet, l’Opportun il s’appelle et se revendique centre de Beaujolothérapie, spécialité Côte Roannaise, ça devrait te plaire non ?
Certainement ma douce amie…

De plus c’est le bistrot préféré de mon triste sire.
Alors je comprends, un peu comme un pèlerinage non ?

Nous éclatons de rire ensemble.

Un vrai repas de voyou : salade Lyonnaise au mesclun et pieds de porc marchand de vin avec un Côte Rôtie qui nous laisse au moins autant euphorique qu’estourbie.

Après midi de rêve à se promener sur les quais et à guetter l’air de rien les œillades des hommes.
Nous décidons de faire lit communs et notre conversation se termine tard dans la nuit.
Le lendemain on se quitte sur le trottoir, son avion est à Orly, le mien à Roissy.
Son regard se fait tout doux.
Prends soin de toi Liana, l’Afrique ce n’est pas l’Asie, même si le Bénin est un pays merveilleux avec des habitants qui le sont aussi, tout peut arriver sur ce continent, le meilleur et le plus doux comme le plus odieux et le plus cruel.
Toi aussi Clara, prends soin de toi. Je t’aime et je veux te revoir.

On monte dans nos taxis respectifs un petit signe de la main et c’est parti.
Roissy terminal deux s’il vous plait.

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