Héritage

Laurent Ottogalli

J’ voulais rendre à Césaire, ce qui est un hommage,

J’ voulais prendre ses airs,

Mais vous n’auriez pas aimé, dommage...

J’voulais donner à ces vers, des airs de Césaire,

Des airs sévères, avec ses verres, ses verres épais, mais guère en paix.

J’ voulais un p’tit commentaire de sa part

Avant qu’on l’enterre, mais trop tard…

Alors j’ai mis ces recueils dans son cercueil,

Qu’ils soient dévorés dans le noir par les vers.

J’voulais dénoncer les raisons de sa colère, raisins noirs,

Prononcer l’oraison de sa couleur, grise et noire…

 

Mais j’ai commencé ma journée par un p’tit noir,

C’est énervant, le signe des temps…

Et j’la termine par un p’tit blanc, c’est un revenant et ça m’détend…

C’est pas pour m’faire pardonner,

Mais j’ai un faible pour l’Chardonnay…

Avec tout c’blanc, et j’fais pas semblant,

Ma tête s’met à bourdonner,

J’écris en tremblant, c’est troublant, comme un trou noir,

J’ai peur du noir, des fois j’me sens noir,

Je me fais un sang noir, un sang d’encre, incendiaire,

J’ai froid, l’effroi me glace les sangs, je perds mon sang-froid :

« Cahier, vite ! », je m’écris, je m’aigris, je m’irrite, je médite…

(Mais, dites, j’mériterais qu’on m’édite…)

 

Je médite, car, j’n’ai plus guère l’âge, hélas, lâche, de déterrer la hache,

De me battre, de combattre, donner des coups de canne, à qui ?

Car tu sais, au départ, qu’ils soient noirs ou blancs les cheveux

Des vieux deviennent gris…

Plus guère l’âge de vaincre, plutôt l’âge de convaincre,

Je vois l’ère communautaire comme d’une autre ère,

Je n’oppose pas le noir au blanc, ni le blanc au noir,

Si ce n’est pour en faire un constat d’échecs…

Et mat, ce n’est guère brillant…

Une autre ère, au contraire, j’en fais une couleur

Qui n’est pas la couleur de l’argent, le blanc,

Qui n’est pas la couleur du soir, le noir,

J’en fais une couleur qui serait plutôt un vert

Et qui rimerait avec espoir…

 

Là, je laisse un blanc,  mais c’est voulu…

 

Mon 2e articulet noir traite de la traite des Noirs

Je traîne ton esclavage comme un boulet, je me déchaîne,

Je détache bien ces maux, les plains, du verbe plaindre,

Les déliés, du verbe geindre,

Je crée des liens contre les liens,

La négritude contre la servitude,

Mon écriture contre la pire torture,

Ma blanchitude contre la turpitude,

Ma liberté de noircir des pages blanches pleines d’espoir,

La liberté de blanchir des peines, des plaies pleines d’histoire,

Mais à quoi aura servi à l’Homme, l’homme asservi ?

À quoi auront servi son cerveau, sa survie ?

 

Car j’ai vu l’Afrique, j’y ai vécu et avec c’que j’ai vu,

Je peux pas dire que toute l’Afrique me foute la trique,

Il faudrait qu’on m’achète, en cachette, des coups de fric,

Des coups de trique, de machette,

Des cons te fliquent et t’niquent ta mère, tes frères, ta sœur,

Le conflit ethnique est amer, États frères, et ta sœur…

Les horreurs du Kenya m’assaillent,

Au Zimbabwe, rôdez-y, vous verrez…

Au Darfour, au Soudan, dans la foule, y’a pas d’Blancs,

Dans les fosses communes, pas de faux-semblant,

Au Rwanda, le génocide me gêne aussi.

J’ai vu au Mozambique des maux ambigus,

J’ai vu des Noirs, si vils en blanc,

Laisser d’autres Noirs civils, en plan.

Certains m’ont tendu la main,

Ils n’avaient plus de pieds…

Ils voulaient juste dans cette main revoir l’espoir briller,

Mais au fond de leurs yeux, j’ai vu des armes,

J’ai vu des larmes,

Par-dessus tout, j’ai vu le sang couler,

Et puis surtout tous ces enfants pleurer.

 

Aujourd’hui, quel héritage as-tu laissé,

Toi, esclave de ta douleur,

Toi, prisonnier de ta couleur ?

Quel message as-tu passé, à présent, pour l’avenir ?

Hélas, je me demande, je me demande et là, je me demande :

 

Que peuvent penser les enfants sages,

Aussi sages que des images,

Des images pas si sages,

Qu’ils subissent en ce paysage ?

 

Que peuvent penser les enfants sages,

Blessés aux chaînes de montage ?

De la quête d’argent les ravages ?

Aux frontières, tous les passages ?

 

Que peuvent penser les enfants sages

Devant les chaînes de l’esclavage,

Quand éreinté sous la cravache,

Leur père meurt en poussant deux vaches ?

 

Que peuvent penser les enfants sages

Devant les scènes de pillage,

Devant l’obscène du carnage,

Quand leur mère meurt dans un orage ?

 

Que peuvent penser les enfants sages ?

Leur reste l’amour en partage,

Un bien douloureux héritage,

Quand on est seul, une lourde tâche…

 

Comment oublier ces images ?

Certains vont bien tourner la page,

D’autres vont mal tourner, dommage,

Perpétuer ce grand ménage…

 

 

Moi, j’voulais juste rendre à Césaire, ce qui est un hommage…

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