Heures
lodine
Il y a des heures qui ressemblent à certaines vagues de l' Océan: lourdes, opaques, sombres, monstrueuses. Ce ne sont pourtant pas les pires, car, au fond de soi, on sait que l'on parviendra à s'en extirper. Parfois avec lenteur, parfois avec moult fracas. On en ressortira grandi, fier, cuirassé de légendes qu'il conviendra de narrer, aux enfants, les soirs de pluie. Elles sont pleines de nœuds, de profondeurs, de trous noirs, de tourments. Elles sont celles de la vie qui s'ouvre sur de vastes chantiers, de retours en arrière impossibles, de questionnements sans fin. Elles sont celles de femmes ou d'hommes "dans la crise de la quarantaine ", celles d'adolescents dont les premiers élans amoureux font frémir les plus durs et ensorceler les plus fragiles. Elles sont celles des vieux qui se disent que leur maison sans leur moitié ressemble à une coquille desséchée mais qui n'ont pas pour autant envie de rejoindre trop vite la voûte céleste.
Ce sont des heures excitantes, faites de fureurs et de bruits.
Il y a celles qui sont transparentes, vides, aussi insipides que l'eau du bain dominical (dans l'ordre de passage: le bébé, l'ado, la mère, le père), aussi vilaines que les têtards dans une mare d'été. Ce sont celles qui accompagnent l'ennui d'une journée sans travail, d'une soirée sans amoureux, d'un printemps sans soleil.
Ce sont des heures mornes, borgnes, inutiles. Et qui peuvent parfois durer longtemps, bien longtemps...
Et puis, il y a celles qui marquent des étapes, qui suspendent le temps, qui donnent sens au point d'orgue.
Ce sont les heures du silence, le dimanche, en fin de journée, quand les hommes délaissent les berges ou les rives, pour laisser place aux chants des oiseaux, aux bruissements des ailes de libellule au-dessus de l'eau. Ce sont celles du ' oui ' dans une église, du ' encore ' dans la jouissance de corps s'aimant pour la première fois, celles des mots de trop ("ton père ou ta mère a un cancer"), celles des doutes éternels ('je crois que ma femme a un amant').
Ce sont des heures qui peuvent faire basculer les hommes d'un côté ou de l'autre du " bien " ou du "mal": du côté de Daech, ou de l'Abbé Pierre. Ce sont des "heures" qui peuvent détruire sur leur passage tout un équilibre patiemment construit. Ce sont des heures courtes dans leur instant présent, mais impitoyablement longues dans leurs conséquences.
Ce sont des heures où il ne fait pas bon voguer sans phare, où l'on peut se croire surhomme sans s'appeler Terminator. Ce sont des heures imprécises.
Mais ce sont aussi ces heures où l'on se dit qu'après 'ça', on peut mourir tranquille et heureux. Ce sont ces heures qui peuvent faire basculer dans l'horreur.
Ce sont des " heures nomade's land ".
Toutes ces heures sont à compiler dans le livre de la vie. Elles sont intrinsèquement liées les unes aux autres. Elles sont là. A nous de les distinguer, pour prendre le temps de vivre, enfin...