Hierarchie
Cædrik San
Ce texte peut choquer la sensibilité de certains lecteurs.
Pour être honnête avec moi, je fixe cette page depuis dix grosses minutes. J'écris, mais j'efface sans arrêt, comme si les phrases me conviendraient pas. Comme si c'était pas assez quelque chose. Pas assez parfait. Ou parce que les mots débordent. Parce qu'ils veulent toujours sortir en même temps, et que tout s'embrouille, et que mon crayon écrit n'importe quoi... comme en ce moment. Et avec tout ce Bruit, tout ce vacarme dehors, en dedans, dans ma tête. Avec tout ces mots qui se soufflent à mon oreille, qui tourbillonnent autour de moi, et qui foncent directement dans mon crâne comme les oiseaux l'ont fait dans les vitres transparentes, vers la Fin du Monde. J'ai beau essayer, étouffer, essayer d'étouffer les mots, les rires, les images qui circulent partout, qui s'embrument dans la pièce, j'y arrive pas. C'est comme un nuage qui déborde, qui crie, et qui nous frappe. J'ai beau essayer de presser mes paumes sur ma tête, de compresser mon cerveau, de fermer les yeux et de crier, ça s'arrête pas. Ça s'arrêtera jamais tout ça. Jamais. Et ça me tue, merde, ça me tue de savoir qu'on est condamné à ça. Qu'on est condamné comme des chiens à cette vie, à cet endroit, à ce monde. À ce futur. Où on arrive pas à rester dehors parce que c'est trop dangereux. Où on est tous condamnés à pourrir parce qu'il n'y a pas d'issue au Bruit, parce qu'il n'y a jamais d'issue au Bruit. Où qu'on soit. Il y a toujours le Nuage de murmures qui nous suit, et qui nous apportent toutes ces saloperies de morts, de couteaux, de sang, de cris, de viols, et encore de sang. Comme si, dans ce monde, tout était rouge et noir, poisseux de brun et de boue, de terre retournée, que tous les mots étaient des cris violents ou des larmes, comme si tout ça, tout ça... était tellement mal, tellement dégueulasse. Et avec le reste, les Charognards, ceux qui traquent, ceux qui tuent les femmes qui prennent les enfants pour les violer, hein ? Avec tous ceux-là... avec eux. Avec ce monde de merde, de sang, de boue, de sable. Avec cette poussière, ces Ruines Rouillées. Il nous reste quoi ? Il y a pas de place où se cacher, pas d'endroit où dormir en paix, ou dormir est vraiment un mot, pas un cauchemar. Où on peut fermer les yeux, sans trembler, de peur ou de froid, sans prier pour se réveiller le lendemain à la même place, avec ses bras et ses jambes. Ou prier pour se réveiller et voir, à sa gauche, son fils toujours là, tremblant de peur et de froid. Imaginez. Lorsqu'il faut prier pour se réveiller avec son fils à ses côtés, parce les dangers sont partout et parce qu'il pourrait plus être là. Parce qu'il pourrait disparaître, pouf, votre fils. Plus jamais voir son visage, le prix de son sourire. Plus revoir ce ciel de gentillesse, d'amour. Comme ça, dans un claquement de doigt. Plus rien. Plus que le mauvais sang. Plus que l'idée de ce qu'il subit, là-bas, quelque part, loin de vous. Loin de votre corps où il se réchauffe dans une étreinte lorsqu'il fait hiver dehors, loin de son parent qu'il aime. Loin d'amour. Dans un endroit sombre, humide, où il doit être enchainé, insulté, forcé. Torturé s'il refuse, puis conciliant par faiblesse psychologique. Prier pour se réveiller le lendemain avec son fils dans ce monde pourrit. Où est-ce que ça nous conduit, merde ? Ça ? Hein ? Et les Corbeaux, personne sait, personne entend. Personne sait, tant mieux. Personne entend, parce que putain, y'en a pas de Corbeaux. Ils existent pas. La loi, c'est pas eux. La loi, c'est la ville. C'est les rues la nuit, le soir. Dès qu'il fait noir, les Corbeaux existent plus. Ils existent même pas le jour si c'est pour dire et la nuit, ils sont rien. Ils sont comme les fourmis. On s'en fout. On pense pas à eux. Ils se montrent pas, ils dérangent pas. Ils existent pas pour de vrai. Ils font rien. Ils laissent ça comme ça. Ils laissent le monde devenir encore plus noir et boue de jours en jours. Ils laissent les Charognards rire fort et crier la nuit, laissent les enfants trembler et pleurer contre le sein de leur mère fébrile. Ils laissent les choses comme ça. Comme dans les musées. On touche pas, on regarde. On admire l'œuvre. Le désespoir ; on le critique, on le regarde, mais on touche pas, et on fait rien. On fait que regarder. Comme dans les magasins fragiles, ou dans les musées, oui. Ils me laissent moi, où je suis, dans mon trou. Avec les jumeaux. Avec la fille. Avec eux. Ils foutent rien. Ils existent pas. Ils ont jamais existé. Le blanc non plus et les choses blanches. Immaculées. Y'a rien de propre, hein, jamais existé jamais entendu parlé.
J'ai perdu foi en tout. Foi en l'humain, foi en l'humanité.
J'écris des mots certes, mais pour quoi dire ? Pour rien dire. Parce que personne me lira. J'écris pour faire éclater mon cœur, pour faire pleurer mes yeux secs. Ça réchauffe mes joues, ça plisse mon front. Ça me fait penser qu'avant, oui il y avait le Mal, et les Charognards. Mais pas aussi célèbre que maintenant. Pas aussi libres et présent que maintenant. Le Mal courrait pas nu dans la rue comme il le fait maintenant. Et les Charognards. Ils courraient pas après les petits garçons nus dans les rues comme ils le font maintenant. Aussi ouvertement. Comme là par-exemple. Il doit être quoi. Quelque chose comme trois heures, non ? Il suffit de calmer son Bruit pour entendre les cris. Les rires. Les cris effrayés, les rires effrayants. Il suffit de se calmer un peu, de dire, stop ta gueule au Bruit, et de se concentrer sur dehors dans la brume. Sur ce qu'il y a à entendre. Du Mal. Du Mal à couler les chutes, du sang, l'odeur qui monte rapidement vers les fenêtres barricadées. L'odeur du sable mouillé, de la terre retournée par les pelles. L'odeur de la boue, de la vase qui peuple maintenant le monde entier. Qui remplace maintenant l'asphalte et les routes. La boue qui vous arrive aux chevilles, et qui vous suce vers son ventre. Comme une ventouse.
Parfois, quand j'avais les pieds nus dans la froideur de la boue, et que mes chevilles se faisaient sucées vers le ventre de la Mère Terre, j'avais envie. D'y aller. De fuir. De m'allonger comme ça, sur le ventre, et de me noyer en sachant que mon corps irait flotter avec les Tortues qui font tourner le Noyau en dansant et en chantant. J'avais envie d'en mettre fin, à ces maudites saletés. J'avais envie d'aller rejoindre tout le monde que je connais, de quitter la pourriture, le Bruit, et le sang, et de m'évader dans le sol. De m'absorber, et de ne plus rien penser. Ni aux Charognards. Ni aux garçons, aux fils, aux parents détruits, fous. Aux jumeaux. De m'absorber de m'imaginer gagner un monde meilleur, remplit de rire, de gentillesse, et de Bien. Et de Blanc. À perte de vue. De ciel. Aussi oui, de ciel bleu, azoté. De rayon de soleil, de chaleur, et de... de bonheur. Il suffit de calmer son Bruit pour voir que le monde souffre aussi.
Il suffit de lui dire stop ta gueule, de se concentrer, et de respirer calmement. Personne n'y arrive aussi bien que moi, parce que je suis un peu comme les autistes qu'ils disent. C'est pas un mot vraiment gentil à dire à un garçon, mais c'est au moins plus gentil que certains qu'ils utilisent quand ils vous viols, alors on ferme sa gueule nous aussi (comme il faut dire au Bruit). Ça veut dire que je me retire du monde. Que je suis capable de calmer le Bruit, mais pas vraiment. En fait, c'est pas le Bruit qui se calme, c'est même le contraire. C'est compliqué, et les mots sont compliqués pour décrire la chose. Et encore, ça se bouscule pour crier et tout, dans ma tête. Et j'ai tous mes mots sur la verve pour écrire, mais ils viennent pas. Je pourrais vraiment bien décrire avec ma voix, mais écrire c'est différent. Ça demande du temps, et des choix judicieux. Ça demande du goût et de le la muse. Je veux dire que pour calmer le Bruit, il faut le laisser envahir tout. Et se concentrer sur ce qu'on veut particulièrement entendre. C'est ça. Exactement ça. Le Bruit s'amplifie comme l'écho lorsqu'un micro crie, il devient fort, encore plus fort, et finalement, on entend tout, et rien à la fois, parce que tout est fort, et donc, tout est trop fort pour comprendre quoique ce soit. Après, il suffit de se concentrer plusieurs minutes, de fermer les yeux, de repousser tout le monde, de s'isoler, et alors, on entend la terre qui souffre. La terre qui pleure, et qui nous implore d'être plus calme avec elle. Qui nous implore de protéger ses fils, de protéger les petits garçons des grands Charognards. Elle nous le demande comme dans une chanson, dans une valse douce qui nous enveloppe. Alors là, on se dit qu'on ferait tout pour elle, parce qu'elle est douce et chaude, parce qu'elle nous réchauffe d'amour. On voudrait se serrer contre elle et se perdre dans son silence, se blottir dans ses bras et mourir, et tomber. Dans le vide de son Bruit, de son silence, qui nous attire, et qui nous fait tomber dans le gouffre. On voudrait mourir pour elle, parce qu'on l'aime, parce qu'elle est Gentille. Parce qu'elle n'aime pas le Mal. On voudrait la protéger et la prendre dans nos bras pour la réconforter. Pour lui dire, la, la, les Charognards ne te feront pas de mal, parce que je suis là. Tout comme une mère le ferait pour son fils. Parce que je suis là pour toi. Pour te protéger qu'on dit. Pour t'aimer, qu'on murmure. Et on caresserait sa nuque toute douce, et ses cheveux, et on lui murmurait qu'on l'aime. Qu'on lui veut pas de mal, qu'on lui veut pas de mal.
C'est là qu'on se dit que mourir sucé par la boue n'est pas si mal. Parce qu'on rejoint une mère qui manque d'affection. Qui ne demande que des caresses et des mots doux. Une mère loin de tout ce Bruit mauvais et rouge, de tout ce vacarme violent, de ces insultes, de ces viols, de ces petits garçons fragiles qui hurlent, qui se débattent, et qui t'envoient des images de détresse dans ton Bruit. On dirait qu'ils te ciblent toi, on dirait que c'est toi qu'ils appellent à l'aide. Mais on peut rien faire pour eux, sauf prier. Prier pour qu'ils soient forts, et qu'ils obéissent parce que c'est tellement pire quand on se débat et qu'on résiste. Prier pour eux, pour leur âme. Pour qu'au moment venus, au lieux de se débattre et de condamner le seul être important pour eux, ils se lèveront. Ils se retourneront. Les larmes aux yeux certes, le cœur en lambeaux, mais si ça, merde, c'est pas une preuve d'amour dans ce putain de monde pourrit, c'est quoi ? Parce que ça, si c'est pas de l'amour, du sacrifice, tout ce qui est synonyme, je sais pas ce que c'est. Parce que ça, c'est de l'amour. De se lever. De comprendre que de toute façon, tout est perdu. Qu'il ne reste qu'à pleurer, oui, mais qu'il faut se lever et partir. Quitter son parent. Son père aimé. Sa mère agonisante. Que pour eux, pour eux, une dernière fois, on les embrassera sur le front, sur les joues, on leur chuchotera doucement qu'on les aime, et on disparaitra pour toujours. Ça, c'est beaucoup, comme preuve. Parce que juste ça, c'est de l'altruisme, et ça existe pas. Ici, comme les Corbeaux. Ça existe plus. C'est tout le monde pour tout le monde, dans la boue, on court, on s'enfuit. Premier arrivé, premier caché. Tu fais du Bruit, t'es dehors. C'est pourrit. C'est plus que pourrit même. Et même. Ça, de se sacrifier pour une personne aimée, de s'enfuir, de la laisser là, sans se débattre et simplement accepter qu'il n'y a pas d'issu. Qu'il n'y a aucune chance de s'enfuir. Comme ça, on évite le pire. Les cris. Les pleurs. On évite de se déchirer l'Être à voir cette personne aimée frappée, poussée, bottée, insultée. Parfois ils clouent mêmes les paumes sur le sol pour les empêcher de nous sauver. Non, comme ça, tout doucement. Dans la nuit, ils te prennent, sans histoire. Quand ta mère elle dort. Tu les entends arriver, alors tu te décides à sortir, les larmes aux yeux. Tu marches vers eux, et tu serres très fort dans ton cœur le sourire de ta mère. Le dernier souvenir.
On peut rien y faire. C'est pire que l'enfer. On reste là, à regarder, à entendre tout ce qu'il y a de Mauvais, dehors. On reçoit des images, des cris et des pleurs, de la peur, de la douleur ; tout ça dans un gros mélange de couleurs à vomir, qui nous donne envie d'être malade, parce que c'est épouvantable. Parce que c'est pas vivable. Parce que c'est dégueulasse. On devrait être malade de vivre ce genre de chose. Mais c'est à tous les jours. À toutes les heures. À chaque minute. Même durant la nuit. Ils se passent le flambeaux, comme on peut dire. Des Charognards vont dormir, d'autres se lèvent et partent traquer. Ils nous laissent jamais le temps de dormir. Aucune pause. Aucun temps mort. Parce qu'ils vivent dans un règne de terreur. Et leur politique, c'est encore, encore, et plus fort. Plus vite. Leur politique, c'est de t'affaiblir. De te garder haletant, de te courir après, et de jamais, jamais te laisser tranquille dès qu'ils t'ont repéré. Alors, au fil des heures, des jours, parfois une semaine si tu as de la chance, ils te repêchent, quand t'es tout seul. Ils te repêchent alors que tes yeux sont grands ouverts de peur, de fatigue et de folie. Ils te prennent par un bras, même si tu bouge plus, même si ta respiration est plus trop forte. Ils gagnent comme ça, en faisant courir un poison. En faisant courir la peur, et leur Bruit qu'ils rendent Bruyant pour effrayer. Pour terroriser les environs. Ils rampent, suivent les pistes sur le sol et tendent l'oreille à la recherche d'un Bruit vulnérable et étouffé. Personne pour fermer son Bruit, et le rendre invisible. Alors ils en profitent. À la recherche d'un Bruit confus, tremblant. Un petit garçon, qu'ils auront pas bien de mal à attraper et à trainer. Un petit garçon, comme moi avant, ou les jumeaux qui sont nouveaux. C'est comme ça qu'ils font. Mais ils ont tout un tas d'autres techniques aussi Méchantes et Sanguinaires. Le poison, c'en est une. Ensuite, ils ont le Bruit.
On peut rendre quelqu'un fou par le Bruit. Les adultes c'est plus compliqué, et ça demande beaucoup plus de temps. Mais les enfants, ils voient tout, et absorbent tout comme tel. C'est ce qu'on appelle l'inconscience et la conscience. Les enfants, ou les jeunes adultes, ils vivent avec leur inconscience. Et l'inconscience, ce qu'elle fait, c'est qu'elle avale tout ce qu'elle entend, tout ce qu'elle voit. Sans se demander si c'est vraiment le cas ou pas. Alors les enfants ou les jeunes adultes se font bombarder de Bruits horribles. D'images. De sons. De voix. De mots. Parce que les enfants et les jeunes adultes, c'est facile de les repérer. Leur Bruit sonne différemment. On les repère, et on leur balance tout un tas d'horreurs. Et ils se mettent à pleurer, à rentrer la tête dans leurs épaules. Ils se resserrent contre eux, ils mettent leurs genoux sous leur menton, et ils se balancent. Ils s'arrachent à la réalité alors que c'est pas possible. Et c'est comme ça qu'on les attrape avec la folie. Mais pour les adultes c'est plus compliqués, parce que les adultes sont juste choqués par les images du Bruit. Parce qu'ils savent que c'est pas vrai, parce qu'ils se servent de leur conscience pour analyser les choses. Le poison et la folie par le Bruit.
Ils peuvent aussi te trouver avec des détecteurs de chaleur. C'est souvent ce qu'ils font, quand ils veulent attraper le plus de personne en une nuit et qu'ils se font des petits concours entre eux. C,est plus rapide, de toute façon, mais beaucoup moins cruel. Au moins. Ils prennent des lunettes qui détectent la chaleur dans la nuit. Et ils te repèrent plus loin. Après, tu as beau t'enfuir parce que tu entends leur Bruit arriver comme un tsunami qui descend une colline, mais ils te suivent encore. Tu cours, tu cours. Ils te voient quand même. Et ils te chopent, hop, dans leurs bras, quand t'es mort de chez mort. Quand t'es là, la respiration coupée, la peur au ventre, la bouche ouverte d'écume. Ils te prennent, te mettent sur leurs épaules, et t'apportent avec eux. À la maison qu'ils disent. À la maison qu'ils m'ont dit.
Moi, c'est par la folie du Bruit. Ils m'ont repéré un jour, et le lendemain, ils sont venus à quatre ou à trois, je sais plus trop, et ils m'ont bombardé. C'est une réaction en chaine. Ça demande beaucoup d'entrainement de leur part. Mais ça marche.
Au début, c'est pas fort. C'est un murmure. T'entends des mots sales, méchants. Des rires. C'est dans ta tête, parce qu'ils te ciblent avec leur Bruit. C'est une rumeur de méchancetés et d'horreurs. Ils t'ont jamais vu, alors les images sont floues. Ils te montrent des scènes où une silhouette te représente, et où ils font ce qu'ils font aux autres enfants. Et peu à peu, ton Bruit révèle un peu plus de chose sur toi. Tes cheveux. Tes yeux. Et la silhouette prend ta forme humaine. Tes traits, tes couleurs. Et ils t'envoient des images de viols, de coups, de couteux et de sang. Et dehors, au fur et à mesure qu'ils se rapprochent vers ton Bruit, tu les entends rire et crier. Tu sursautes à chaque craquement, raclement, glissement. Ils se rapprochent. Les images se font plus précises. Ils empirent leurs actes. Tu saignes. Tu cries dans ton Bruit. Tu pleures, tu bouges, te débats. Et pendant qu'ils t'envoient tout ça, toi, tu trembles. Tu secoues la tête, comme si tu voulais te faire croire que c'était pas vrai. Mais même, ça fonctionne pas. Tu te bouches les oreilles. Ça s'arrête pas. Tu fermes les yeux, mais ça s'arrête pas. Ça s'amplifie. Ils crient. Ils gueulent. Alors, ils savent que tu es sur le point de craquer, que tu vas pas tarder. Alors, ils terminent en beauté. Ils t'envoient une image d'après. D'après tout ça. Quand ils t'auront prit. Quand tu seras là-bas, à la maison. Avec des chaines. Bleu de coups. Noir de poussière. Et dans leur Bruit, tu te vois en tant qu'esclave sexuel. À faire tout. Quatre pattes. À genoux. Et ils frappent. Ils fouettent. Ils crachent. Coup de pied. Et tu sombres. Et voilà, c'est là. C'est là que ça se termine. Parce que tu craques. Ton cœur rate un battement, et tu deviens sourd. Tu relèves la tête vers l'arrière, le cou offert au ciel sur un plateau d'argent, et tes larmes coulent, te brulent. La bouche ouverte. Sans souffle. Les yeux ouverts. Et tu fixes le plafond de la vieille grange. T'entends pas les pas dans le gravier. Ni les rires. T'entends plus rien. T'existes plus, nul part. Dans aucun endroit. T'es juste devenu vide. Mort. Et ils entrent. Et ils te prennent. Et tu disparais.
On veut en finir de tout ça, mais on peut pas. Ils te baisent à mort, jusqu'à te prendre ton ultime souffle. Mais à chaque fois, peut importe le nombre de combien ils étaient sur toi la nuit dernière, ni des coups que tu as reçu au visage, à la tête. Tu te réveilles, combien de jours après on s'en fout, mais tu te réveilles. C'est ça. Tu te souviens de rien, ou presque. La douleur revient. Et tu te tords, les chaines t'empêchant de bouger, et tu te tords. Ta gorge brulante croule sous les cris étouffés. Les larmes montent. Parce que tu te rappelles un peu plus. Parce que la douleur s'amplifie. Mais c'est peu importe. C'est pas important, ça. Ce qui est important, c'est que malgré ça, tu sais que tu resteras toujours en vie. À subir ça. Et c'est encore pire que de se lamenter sur son état. C'est pire que la Mal en lui même. C'est l'espérance de ce Mal. C'est l'espoir. L'attente. Tu sais que deux jours s'écouleront. Que tu subiras pareil. Plus de personne peut-être, plus de douleur peut-être. Mais tu sais que tu resteras une ou deux journées à dormir, et tu te réveilleras dans ce même état. La bouche meurtrie, la lèvre enflée. Les yeux rougis, en larmes. Et que, même si tu veux crier et pleurer toutes les larmes de ton corps, il en reste plus. Panne sèche des larmes et des cris, parce que la nuit aura épuisé tes cordes vocales. Parce qu'elle aura tarie tes larmes. Tant tu les aura versées. Tant tu les auras gaspillées pour eux.
Ils te laisseront jamais partir. Jamais quitter ces lieux. Les Charognards sont bien trop attachés à leurs enfants. Ils te garderont toujours pour eux, jusqu'à ce que tu crèves, ou que tu t'épuises et que tu perdes tes dernières couleurs, ta dernière flamme. Jusqu'à ce que tu deviennes malade. Sous-alimenté. Déshydraté. Alors, ils feront ce qu'ils font. Ils t'attacheront dans le hall. À côté d'un garde. Celui-ci t'utiliseras une dernière fois. Une toute dernière fois, parce que c'est lui qu'on offre les restes. Parce que c'est comme les chiens de garde. Ils mangent de tout. Bon ou pas. Alors le garde, il t'utiliseras une dernière fois, comme pour accentuer ton état, pour empirer la douleur. De toute façon, qu'ils disent, c'est pas bien grave de l'état dans lequel tu seras après. Parce qu'après. Après c'est fini.
Mais cette fois là, des jumeaux entrent. Ils te voient. Et toi, tu te dis que tu veux les rassurés. Malgré ton regard vide, et les bleus qui dessinent ton corps. Tu les regardes, et tu fais que les regarder. Tu pries pour eux. Pour l'avenir.
Le garde te défonce une dernière fois devant eux. Ils sont forcés de regarder. De supporter. Tu cris, tu pleures. Tu pries aussi. Pour eux. Pour toi. Tu pries pour qu'ils soient forts. Ils sont tellement jeunes, tellement fragiles, merde. C'est quoi cette pourriture, cet Enfer. Tu pries pour eux, tu les regardes avec compassion. Et pour toi aussi. Tu fermes les yeux, tu serres les dents. Deux étaux, des doigts, deux grandes mains sur ton cou. Serre les dents, sois fort. Tu pries pour toi. Parce qu'ils en ont marre de toi. Un jouet à jeter.
Tu pries pour rejoindre les Tortues qui dansent et chantent. Qui font tournées le Noyau. Tu pries pour les rejoindre, et pour te faire accueillir par la Terre Mère. Celle si douce. Si Belle.