Histoire de Q
Didier Benini
Ami lecteur permets-moi de narrer aujourd'hui l'Histoire du ‘Q' , rond comme un trou et qui trône la queue basse en dix septième place de notre alphabet latin.
Jadis consonne dentale chez les étrusques, il fut préféré au ‘K' et au ‘C' durant toute l'ère romaine, avant que l'ancien français ne le condamne lettre impudique au début de nos temps ‘modernes'.
La légende raconte même qu'un scribe malveillant et confus tenta, dans un geste inconsidéré, de substituer au ‘H' son son muet pour le coller au ‘Q' afin qu'il ne fît plus de bruit. Imagine t-on l'Histoire de l' Homme amputé de son ‘Q' ?
C'est dire si le chemin qui mène au ‘Q' n'est pas simple.
Balancé sur nos alphabets comme un vieux pneu il rebondit alors jusqu'à en occuper la première place, celle du ‘A'.
Inconcevqble ! impensqble ! s'écrièrent les 25 autres remplies de colère. La première de nos lettres doit signifier la surprise, l'ébqhissement, l'émotion !! qui est ce qu'un ‘Q' pourrqit émouvoir?!
En rang d'oignon consonnes et voyelles faisaient front. A leur tête le ‘Q' n'était pas en odeur de sainteté.
Conscient qu'il ne pouvait à lui seul donner sens à tous les mots des hommes il s'exécuta et roula d'un demi tour malin au milieu des autres, tentant ainsi de se travestir, la queue en l'air à la manière d'une houppe.
Immédiatement le ‘ i ‘ s'interposa énergiquement, point levé, refusant qu'un ‘Q' n'accroche d'une cédille érectile les rires et les cris des enfants qui rebondissaient habituellement sur son ventre suspendu.
Il lui semblait qu'on signât là son arrêt.
Las, le ‘Q' se porta en queue de ligne, au confins des signes. Hélas, étranger à ses combinaisons et insensible à son désarroi un quarteron de W' ‘X' ‘Y' et ‘Z' baragouinait dans un alphabet qui n'était pas le sien.
Heureusement le temps d'un souffle, un petit ‘P' lui apporta chaleur et espoir. En effet, plus obèse que gracieux, un ‘O' tendu à rompre pressait ce pauvre ‘P' contre un ‘R' gonflé d'orgueil. Pressentant l'imminence d'une catastrophe le ‘Q' s'étira comme une olive pour s'extraire enfin du quarteron qui baragouinait toujours. Désentravé il emplit son ventre de l'air nauséabond qui émanait d'autant de caractères sans âmes et l'insuffla au ‘P' sans teint.
Héros sans gloire il libérait le ‘P' d'une mort certaine. Leur attachement perdure toujours et aujourd'hui encore, dans notre alphabet moderne, le ‘P' colle au ‘Q'.
Alors à toi qui me lit, je clame : Ne crains pas d'aimer le ‘Q' ! Rends lui sa lettre de noblesse en l'aimant majuscule !