Histoire d'une mite - e
Laure Cassus
La mite était dans une forme olympique, elle fit quelques battements d'ailes printaniers pour s'épousseter, s'ébroua face au salon puis se posa ventre contre soie en agitant doucement les ailes pour maintenir sa stabilité tandis qu'elle se frottait contre les fibres entrelacées pour se gratter les flancs. Cela faisait tellement de bien ! Elle ne manquait pas en même temps de regarder son compagnon situé de l'autre côté du fauteuil sur une pente cloutée, qui fredonnait pattes croisées une mélodie incertaine tout en nettoyant le cuir de ses antennes. La clarté du soleil filtrait par un rideau de mousseline blanche faiblement gonflé par le vent, et venait s'abattre de temps à autre sur l'accoudoir du fauteuil, obligeant la petite mite à s'accrocher aux clous pour ne pas être emporté.
Il avait un très bon équilibre ceci dit. Il se retourna pour voir si la mite l'avait bien vu gérer le rideau mais le soleil lui arriva dans l'œil et il ne vit qu'un halo blanc de poussières en provenance du tissu éloigné.
Puis il dit, assez fort et dans le sens du vent : je prendrais bien un petit café moi !
Le ca-fé ! Toute sa vie il en avait rêvé, siroter cette merveilleuse boisson que tous les proprios avaient en adoration aux heures ouvrées du jour !
Il attendit l'effet de sa bouteille à la mer, et en effet un écho lui revint après un petit temps de latence, Moi aussi ! avait dit la mite.
Toujours dispo avec la bouffe j'aurais pu m'en douter. Cotoyer une mite non serviable c'était pas une sinécure des fois, surtout quand on se sentait tellement bien comme ça au soleil du salon, sans aucune envie de bouger.
Ses antennes luisaient à présent au soleil de telle sorte qu'on aurait pu le confondre avec un sportif hawaïen, de dos, et d'assez loin. Qu'est ce qu'on buvait comme café là-bas ? se prit à rêver la petite mite. Ha oui du Schweppes ils boivent du café schweppes. Il avait appris cela auprès d'un ex pote hyper baraqué avec qui il avait partagé le pull angora bleu il y a longtemps. C'était une mite originaire de Calédonie, arrivée par bagage un jour de pluie. Il avait beaucoup souffert le pauvre du climat excentrique de l'appartement d'alors, et il s'était gavé de feuilles de bananes imitation plus vraies que nature, jusqu'à en tomber malade le pauvre. Son dernier soupir l'avait emporté sur une envie incommensurable de café schweppes. Au propriétés de surcroit tonifiantes. Mais c'était un peu trop tard pour lui.
On lui avait fait des obsèques correctes, enroulé dans une peau de banane puis disparu dans le vide ordure ascentionnel. On ne conservait pas les corps dans leur culture.
Alors ce café ? dit gentiment la mite qui s'était rapprochée. On en trouve où d'ailleurs ? demanda t-elle . Dans la cuisine dit il, dépliant ses pattes engourdies .
Ok j'y vais fit la mite, de façon inespérée pour lui.
Un sucre ? Oui merci.
Et elle décolla en direction de la cuisine.
On s'anthropomorphise vite je trouve, pensa la petite mite. Quand on voit ce qui est arrivé à mon pote calédonien, on devrait peut être lever le pied sur les chapardises auprès des proprios et se remettre à boire de la rosée verte de clou oxydé.
Il décida de lui en parler à son retour.