Histoire d'une mite - l

Laure Cassus

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Fortes de ce nouveau projet commun, les deux mites filaient des jours heureux, chacun pouvant fantasmer à loisir sur le déroulement de la soirée, les rencontres qu'ils y feraient et la façon dont ils se comporteraient en groupe. Ces mites n'avaient jamais été en groupe social de leur vie mais heureusement elles avaient une haute estime d'elles-mêmes. Ainsi pouvaient-elles imaginer que les puces n'attendraient qu'elles et que ce serait un jeu d'enfant de draguer et d'effectuer quelques manipulations de l'autre pour s'amuser.

C'était sans compter sur la vivacité d'esprit des puces qui savaient très bien que les mites se prenaient pour un groupe supérieur alors qu'elles n'étaient qu'à deux de tension la plupart du temps.

Ça commençait bien.

Bref chaque communauté préparait la soirée comme on prépare la guerre. On envisagea la force de dissuasion par une apparence époustouflante, on accumula des dialogues tout prêts que l'on se répéta en boucle pour impressionner les oreilles baladeuses. On crypta quelques monologues en kit. On prépara une solution de repli sous le guéridon et dans l'abat jour en cas de monopolisation de la piste. On affuta les chorés et on fit un plan de table des alliances. Chacun devait en mettre plein la vue à la communauté étrangère. Cela permettrait peut être d'absorber l'adversaire, non pas pour le soumettre (joie provisoire) mais pour se croire plus important dans l'échelle de la miniaturisation des espèces.

C'était un réflexe naturel bien que décevant pour le lecteur, qui aurait sans doute apprécié que la bonne ambiance ne soit pas qu'un truc réservé aux proprios. On était un peu naïf dans le lectorat.

Ces préambules belliqueux posés, reprenons l'observation.

La petite mite ne se doutait pas tant que ça que son inconscient collectif de 2.6 individus avait prévu d'épater autant la galerie à l'occasion de la virée sur le smartphone. Il préférait s'occuper des gamins qui demandaient beaucoup d'attention et qui ne dormaient pas assez. Les nuits. Jamais faites ou trop faites. Sa mite écoutait les diagnostics nocturnes sans trop se préoccuper des conséquences vu qu'elle ne se levait jamais la nuit, et puis quoi encore. Du coup elle prenait des notes sur un carnet de contrôle pour vérifier s'il changeait les enfants au bon rythme et s'il avait mesuré les quantités alimentaires absorbées par chacune des mini mites. Elle avait un tableau à 8 colonnes, 6 pour chaque mite, 1 pour les tâches à réaliser sur la journée et 1 pour les commentaires (qualitatifs).

La petite mite qui était très à l'aise avec les langues étrangères de banquise ou avec l'histoire des colonisations, restait toujours un peu bloqué par le chiffrage, la temporalité et les tabloïdes (version anglaise des tableaux Excel). Il regardait sa mite agiter son crayon à chacune de ses actions et trouvait cela très bien d'être ainsi rigoureuse pour une maman. Pour sa part il faisait progresser tranquillement mais surement ses bébés, qui en étaient déjà au niveau 2 de ACDC, maîtrisant parfaitement l'aller retour de la tête sur les accords de guitare électrique. Il savait qu'en quelques semaines, elles atteindraient le niveau de danse de Franck Sinatra et lui-même s'entrainait sur Fred Astaire.

La mite initiale, quant à elle, misait tout sur sa parure et celle de sa famille. Cela lui demandait de nombreux déplacements vers les chambres pour y chaparder des accessoires et autres éléments de plumage voire de ramage. Sur ce point elle se récitait toute seule des textes établis de Sacha Distel qu'elle adorait pour ses jeux de mots et sa sentimentalité exacerbés.

On allait voir ce qu'on allait voir !

Chez les puces, les cours de méditation touchaient à leur fin, alors on s'organisa aussi. Le mouvement rythmique n'étant pas un handicap chez ce groupe social, on s'entraina plutôt à peaufiner la bande son. On passa son temps sur le smartphone, qui n'arrêtait pas de bugger d'ailleurs, et on téléchargea des playlists complètes appartenant à des proprios inconnus mais overwhelmingly hype.

Si avec ça on les scotche pas, je réponds plus de rien, dit une puce électronique.

Mais on s'en fout, répondit une autre accrochée à un réverbère, on y va pour s'éclater, du moment qu'on s'entend bien entre nous !

Et le chien ? fit une autre, qu'est ce qu'on fait de lui ? il est capable de tout nous planter avec son ouïe de malade !

C'est vrai ça.

Bah on le shoote aux médocs je vois que ça.

Ok mais on y arrivera jamais.

C'est là qu'on délègue bichette…

On va lui susurrer de se rapprocher du fauteuil et on ira voir les mites. Elles peuvent bien aller chercher le produit dans la salle de bain, c'est rien pour elles.

Et c'est ce qui arriva, confirmé par une araignée de moulure qui vit passer un mercredi matin l'essaim de puces entremêlées tout juste soulevées par deux mites blanches au taquet de leur régime-moteur, le tout surplombé de deux cachets ronds de Prozac bleu.


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