Histoire d'une mite - q

Laure Cassus

suite

Le chien était complètement ensuqué. Les deux cachets bleus dans la gamelle lui avait fait faire des rêves érotiques toute la sieste durant, à se gratter le bas ventre. Etant également sous Prozac, il était d'autant plus épuisé. Seulement voilà, le temps pharmacologique était révolu et il se réveillait à présent avec une énergie non dépensée qu'il appliqua alternativement sur le guéridon par effet de queue métronomique. Il était plus que temps de déguerpir.

Le smartphone se mit à biper, lui aussi épuisé, réclamant sa charge de batterie. Et ça le chien, ça le faisait aboyer. En plus.

Les mites prirent donc leur paquet de 6 roulés dans une couverture et s'envolèrent en direction du fauteuil. Sauf que le paquet était vraiment beaucoup trop lourd pour deux, et puis les petits miteux avaient grignoté un bout en plein milieu de la couverture comme ils avaient appris à le faire.

Le décollage fut une catastrophe, puis ce fût une chûte.

Le guéridon était en effet largement assez haut placé pour que la couverture se déplie et libère 6 petites mites de toutes couleurs qui firent la torche chacune dans un style, laissant le tissu en mode ralenti dans une couche stratosphérique tandis qu'ils atteignaient déjà le sol. Les cours d'atterrissage revinrent en mémoire illico presto et ils se rappelèrent qu'il fallait tendre les pattes vers la zone d'impact et s'apprêter à effectuer une roulade dans les herbes hautes du tapis.

Ils réalisèrent la manœuvre tant bien que mal avant de réceptionner leurs parents beaucoup moins alertes et souples, passablement alcoolisés de surcroît.

La truffe se rapprochait dangereusement. Mais la menace s'éternisa comme toutes les menaces, elle fit plus de peur que de mal car le chien était lui-même à deux de tension et que la mite stressée dispose de ressources insoupçonnées, puisque c'est le propre des héros. La mite principale ouvrit ses ailes pour protéger sa progéniture, et le miton se mit à grogner de toutes forces en montrant les crochets de ses mâchoires acérées d'insecte ravageur. Il fût alpagué par le paletot et précipité sous le canapé en moins de temps qu'il n'en fallait pour que la turbo VMC du chien déploie toute sa puissance. Puis le chien fût attaqué par une tribu de puces et son attention se reporta sur la peau de bête qui lui servait de tégument externe.

Une demi-heure plus tard, tout le monde était rentré chez soi. Les puces sous le collier de cuir noir et les mites sur le fauteuil de soie rose.

On pouvait dire que tout s'était déroulé à merveille. On ne put s'empêcher de refaire la soirée en buvant quelques derniers coup de jus de galon, avant d'aller se coucher, rincés.

Au petit matin, comme prévu, les petits étaient au taquet et ils vinrent sauter sur leurs parents en leur apportant une boite de Ricoré à l'envers. Faut dire qu'ils regardaient un peu beaucoup la télévision des années 80 ces derniers temps. C'était la meilleure période pour les chansons à texte.

C'est ainsi qu'ils entamèrent ensemble un refrain de Le soleil vient de se lever.

Les parents se dressèrent dans leur lit et prirent leurs enfants dans les bras jusqu'à ce que la boite de Ricoré se renverse et qu'on soit obligé de la remettre droit.

La mite resta au lit.

Elle dormit toute la matinée.

Puis toute la sieste, en capturant mite 004 et en le serrant contre elle pendant trop longtemps.

Pour finir elle pleura.

-          Qu'est ce qui se passe ma biche, on dirait que c'est pas la grande forme aujourd'hui ?

-          Je sais pas, je me sens nulle.

-          Mais non t'es pas nulle du tout. On a passé une soirée super sympa et tout cela c'est grâce à toi.

-          Pas du tout, c'est les puces qui ont mis toute l'ambiance, et moi je ne suis qu'une grosse vache idiote.

-          …

-          J'ai toujours été en retard en tout.

-          Mais non voyons, pourquoi tu dis ça ?

-          Quand mon 1er miton est mort, j'ai pas réalisé et j'ai même pas pleuré.

-          Mais c'est de l'histoire ancienne, ce n'est pas de ta faute s'il a fini dans une narine.

-          J'ai été en –dessous de tout. Il m'a appelée je crois quand le mouchoir s'est envolé.

-          Peut-être mais c'est la vie, tu n'y es pour rien. Allez viens prendre un café…

-          Et quand j'habitais dans les étagères en nylon et que tout ce bruit me cassait les oreilles….

-          Il y a eu des bons moments je suis sûr dans ces étagères là. Voyons.

-          Non et puis quand l'horizon était à la verticale et que je n'ai même pas su vivre le moment.

-          Oui mais après tu m'as rencontré.

-          Mouais

-          Sympa, allez, lève toi, je te prépare une surprise

-          Non merci. Et elle se tourna en prenant son oreiller.

 

 

 

-          Les enfants votre maman est un peu fatiguée, ce serait bien si vous faisiez moins de chants aujourd'hui.

-          Pourquoi ?

-          Parce qu'elle a besoin de se reposer.

-          Pourquoi, qu'est ce qu'elle a ?

-          Mais rien, tout va bien, elle décompresse de la soirée d'hier.

-          Au lit ?

-          Oui, elle a besoin d'être seule.

-          Sans nous ?

-          Oui sans vous. Sans moi aussi.

-          Mais qu'est ce qu'elle a ?

-          Rien, elle a rien, c'est comme ça, ça va passer.

-          Mais pourquoi tu parles comme ça papa ?

-          Pour rien, je parle doucement c'est tout.

-          Oui mais d'habitude tu parles pour que maman entende tout ce que tu dis et là c'est comme si tu voulais pas qu'elle entende.

-          Et bien, je pense que ce serait mieux qu'on fasse comme si elle était malade aujourd'hui.

-          Maman est malade ????

-          Non pas du tout, on fait juste comme si elle avait de la fièvre c'est tout. On va pas lui casser les oreilles voilà c'est juste ça.

-          D'habitude tu crois qu'on lui casse les oreilles avec nos chansons ?

-          Non non c'est pas ce que je voulais dire, elle adore vos chansons.

-          Mouais tu dis ça pour nous faire plaisir, mais tu les aimes toi nos chansons ?

-          Bien sûr que je les aime.

-          Et maman tu crois qu'elle nous aime ?

-          Ouh la, oui bien sûr qu'elle vous aime.

-          T'es sûr ?

-          Bon écoutez vous tous, il faut que je vous explique quelque chose réservé aux adultes.

Ils tendirent l'oreille soudain super flattés.

-          Voilà, chez les adultes, parfois chez les jeunes adultes, parfois chez les adolescents..

-          Et chez les enfants ?

-          Des fois, c'est rare en fait mais bon. Parfois on se sent bizarre et on ne sais pas quoi y faire. C'est comme ça.

-          C'est tout ? C'est ça le grand secret des adultes ?

-          Euh oui ça en fait partie… J'en sais pas plus en fait, c'est différent pour chacun. C'est la surprise.

-          La mauvaise surprise.

-          Nan faut pas exagérer, c'est juste un passage très différent de d'habitude. On n'est pas des machines.

-          C'est-à-dire ? demanda mite 003 

-          On arrête notre fonctionnement habituel et ça arrive sans prévenir.

-          Sans prévenir qui ?

-          Personne justement. Même pas la personne concernée.

-          Mais c'est qui cette personne concernée ?

-          C'est personne je te dis.

N'ayant rien compris mais ayant autre chose à faire les miteux s'éclipsèrent tranquillement et en profitèrent pour aller se gaver de Ricoré retournée en attendant que le cadre redevienne comme avant.


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