Hogarth et Barbieri à armes égales

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On pourrait présenter la chose comme une recette de cuisine : prenez 1/5 de Marillion. Ajoutez 1/4 de Porcupine Tree. Réservez voix et claviers pendant quelques semaines. Incorporez juste assez d’électro pour donner à l’ensemble une touche ambient. Mélangez enfin le tout jusqu’à obtenir un disque homogène et servez.

Avant de vous mettre à table, sachez tout de même que Steve Hogarth écoutait la musique de Richard Barbieri bien avant de remplacer Fish au micro de Marillon. C’était il y a une trentaine d’années. Le premier officiait alors au sein des Europeans. Le second se chargeait des claviers dans Japan, un combo qui faisait partie de ces groupes qu’on appelait les néoromantiques. Une mouvance new wave où l’on retrouvait, pêle-mêle, les Duran Duran, ABC ou autres Human League. Au-delà d’une cargaison de tubes incontournables, ces jeunes gens étaient reconnaissables à leur formidable faculté à poser devant les photographes en affichant joues creusées et moues faussement bougonnes.

Autres temps, autres lieux. En 1997, Steve Hogarth peaufine son premier album solo, Ice Cream Genius. Après un concert de Porcupine Tree, le chanteur rencontre enfin physiquement Richard Barbieri et lui parle de son projet en cours. « Il s’est montré partant pour jouer sur cet album et cela a été notre première collaboration. Depuis, nous avons nourri une réelle amitié, au-delà de la musique. » (1)

Collaboration à distance

Les emplois du temps respectifs étant chargés, plus rien ne se passe jusqu’à récemment. Depuis 1997, Marillion a, en effet, sorti pas moins de sept albums studio (dont l’immense Marbles en 2004) pendant que Porcupine Tree, emmené par son touche-à-tout de leader, Steven Wilson, se fend de six galettes saluées par les amateurs de la scène prog rock. « Il y a environ deux ans, j’ai reçu un mail de Richard qui me demandait si une collaboration me plairait. J’ai répondu immédiatement : "Oui, bien sûr, mais je ne sais pas quand". Parce que j’étais en tournée et très pris par Marillion (…) Je savais donc que nous allions le faire mais je n’avais pas une minute à moi. Alors, quand Richard a commencé à envoyer par mail des morceaux au format mp3, je les gravais sur CD et les écoutais dans la voiture en allant au studio ou en tournée avec Marillion. Et finalement, j’ai trouvé un peu de temps, l’été d’avant et j’ai commencé à enregistrer des voix. » (2)

Le processus créatif est lancé. La répartition des tâches est simple : Barbieri compose, Hogarth écrit.
Tout se passe à distance, par fichiers interposés, excepté les sessions d’enregistrement des musiciens additionnels : l’ex batteur de Porcupine, Chris Maitland, le légendaire bassiste Danny Thompson (Tim Buckley, Kate Bush, T Rex ou Peter Gabriel) et Dave Gregory, ancien guitariste de XTC.

De cette collaboration des temps modernes naissent huit pièces électro à fortes consonance ambient (Lifting the Lid). Piano minimaliste (Red Kite, Only Love Will Make You Free), rythmes feutrés (A Cat With Seven Souls), climats sombres (Naked) et tout au long du disque, la voix inimitable de Mr H, tout en retenue cette fois.

Bizarrement, alors que Steve Hogarth n’a pas pris part à l’écriture de la musique, on se surprend à penser à ce qu’a pu faire Marillion ces dernières années :

Crack contient ainsi des ingrédients déjà présents dans Drilling Holes. Le texte avait d’ailleurs, à l’origine, été écrit pour le quintet (tout comme celui de A Cat With Seven Souls). On pense, par ailleurs, à une galette comme  au controversé Anoraknophobia, paru en 2001 (un morceau comme Quartz, plus précisément) ou à certains passages du premier volet du double Hapiness Is the Road (2008). Enfin, la meilleure pièce de l’album, Naked, semble avoir hérité de l’atmosphère vaporeuse d’un Invisible Man.

Beauté minimaliste

La manière dont a été mené le projet peut paraître froide, sans âme. Comment deux musiciens n’échangeant leurs idées que par écrit et par fichiers peuvent sortir un disque cohérent ? Le résultat ne laisse pourtant pas planer le moindre doute. Si tout n’est pas parfait musicalement parlant (on notera quelques longueurs ça et là), la complicité entre les deux hommes est telle qu’on jurerait que Not the Weapon But the Hand a été conçu et élaboré dans une même pièce.

Aucun des deux musiciens ne prend le pas sur l’autre. L’expérience y est sans doute pour quelque chose. Après tout, ces deux-là ont sûrement roulé leur bosse autant que Sisyphe a trimballé son rocher dans le Tartare.

On pourra ensuite critiquer l’aspect clinique de l’album, sa production irréprochable et sa beauté minimaliste un brin proprette et digne d’une chambre stérile. On préférera, toutefois, ranger le disque dans la même catégorie que ces albums intimistes et dépouillés regroupés, année après année, en une pyramide dont le sommet reste une œuvre rare appelée Spirit of Eden.

Une œuvre pondue par l’un de ces groupes qui a très rapidement compris que les joues creusées et les moues boudeuses, ça ne passerait pas l’hiver 1986 question crédibilité.

En 2012, son nom est encore connu de tous. Il tient en un mot, répété comme pour mieux marquer les esprits : Talk Talk.

(1) RockHard, février 2012.

(2) auxportesdumetal.com

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