Homerun

jireoparadi

Il ne pensait jamais à ce que son œuvre deviendrait une fois cédée à son propriétaire...

Ils ont sonné chez moi vers 6H00.

Comme je n'ai pas ouvert tout de suite, ils ont recommencé. Puis, frappé à ma porte, j'ai enfilé mon jeans et suis allé ouvrir.

Ils étaient deux, la quarantaine, Lieutenant (avec un L majuscule) Fauvel et brigadier Thérain.

— Bonjour. Vous êtes bien Lucas D'A…? A demandé (interrogé), le lieutenant.

J'ai acquiescé, leur ai proposé d'entrer, ils l'avaient déjà fait, leur ai proposé un café, ils ont décliné.

Bien sûr…

Puis m'ont demandé si je reconnaissais l'objet.

— Euh…

Bien sûr.

 

Sa fabrication avait nécessité beaucoup de patience.

Le choix d'abord par l'artiste d'un morceau de frêne ou plus probablement d'érable, ébauché, avant d'être mis en attente dans une bibliothèque à atmosphère surveillée pendant quelques semaines.

J'imagine qu'en attendant le bon moment il a regardé régulièrement l'évolution de cette pièce de bois, contrôlé la température et l'hygrométrie de la pièce.

 

Puis un jour, le téléphone a sonné, il a posé les questions habituelles, pris quelques notes et s'est mis au travail.

 

La mise en forme d'abord. Le tour à vitesse moyenne, trois passages de lame, contrôles du poids et du diamètre à différents endroits entre chaque passage.

Nouvelle pesée, changement de tour, racloir à angle droit, ciseau à épauler, mesures, le corps qui prend forme peu à peu, rétrécissement de la poignée, travail des angles, sculpture du pommeau.

 

L'extrême minutie qu'il a ensuite accordée au travail de ponçage, le geste un peu trop appuyé et c'est la perte immédiate des quelques nano millimètres qui distinguent l'œuvre unique du vulgaire produit manufacturé.


Les finitions enfin, plusieurs couches d'un vernis sélectionné parmi une cinquantaine de nuances, trois couches, ponçage entre chacune d'entre elles, quelques milligrammes d'or pour le symbole choisi et la signature, unique, deux dernières couches de vernis.

 

Il ne pensait jamais à ce que son œuvre deviendrait une fois cédée à son propriétaire afin de garder toute son attention focalisée sur sa création.

Mais une fois son travail achevé, et pendant les quelques heures qui précédèrent la vente, il a rêvé évidemment d'un destin exceptionnel, au delà des frontières peut-être. Puis, il l'a laissé partir.

Comme les autres fois…

 

Des voyages, il y en avait eu avec son premier propriétaire. Du public aussi, c'est vrai, admiratif, subjugué, en transe parfois. Mais, également des mauvais traitements, chaleurs, chocs, conditions de transports, chutes,…

Elle avait tout supporté.

Jusqu'au jour où, préoccupé par l'interview en cours, son propriétaire la confia à son nouveau garde du corps. Perte ? Vol ? Le garde du corps ne put répondre.

Viré !

La plainte quant à elle, fut néanmoins enregistrée au poste de police de l'aéroport de Cleveland, état de l'Ohio.

 

C'est dans une boutique spécialisée de Saint-Ouen qu'elle avait finalement échoué quelques mois plus tard, avant qu'un amateur n'en fasse l'acquisition.

 

Fini les mauvais traitements, elle reposait enfin dans une pièce chaude, bien protégée dans une sorte d'étui à sa dimension d'où elle ne sortait que pour quelques rares et spéciales occasions.

Après chacune d'entre elle, c'était systématique, grande toilette, chiffon humidifié avec un produit spécial, peau de chamois, retour dans son cocon douillet.

Et puis du repos, beaucoup de repos, seuls quelques visiteurs, triés sur le volet, pouvaient dorénavant l'admirer.

 

C'était hier qu'une fois encore, après une longue période d'inactivité, son propriétaire l'avait sorti de son étui.

Comme à son habitude, il était monté dans la voiture où l'attendait son chauffeur, ils avaient pris la direction de Paris.

 

Quelques heures plus tard, Jérôme sortit du bureau.
Encore sous l'émotion de sa dernière entrevue avec Henri, il se répétait comme un mantra les derniers mots de son boss et ne prêtait aucune attention au spectacle du crépuscule sur le bassin de La Villette, promeneurs, joggeurs infatigables, cadres épuisés, joueurs de pétanque, amoureux enlacés, amis en pique-nique,…

Pas plus qu'à l'homme qui marchait vers lui, pourquoi d'ailleurs ? Jeans, Poloralfloraine, Nike, rien de différent du dress-code habituel du quartier et du moment.

Il ne remarqua pas non plus l'objet qu'il avait en main.

Ça, il aurait pu. C'était quand même assez inattendu…


Jusqu'à ce qu'un ou deux mètres les séparent. Non fumeur, il s'apprêtait à éconduire « avec fermeté » la demande d'une cigarette quand le premier coup l'atteignit à l'épaule gauche.

Une décharge de 100 000 volts de la tempe aux parties génitales.

Il a bien tenté de se protéger, ou de s'enfuir, mais d'autres coups ont suivi, le genou gauche, l'abdomen, les reins,… Je ne suis pas certain de l'ordre.

 

Ce dont j'étais certain par contre, c'est d'avoir vu Jérôme la  veille.

Oui, effectivement, nous nous étions disputés, enfin, il m'avait fait quelques reproches.

Oui, c'était vrai, assez violemment,

Oui, oui, tout était exact.

 

Mais, ce que faisait mon ADN sur cette batte de baseball, j'étais pour le moment incapable de leur répondre…


Et j'ai bien vu qu'ils étaient assez emmerdés.


Moi aussi.



Signaler ce texte