Hommage au petit Jean

"J'ai rêvé le monde parce qu'il ne me convenait pas"

Des évènements malheureux et un contexte qu'on ne souhaite pas à un enfant : colères injustes ou ignorances des peines de la part de ceux qui devraient donner de l'amour... Tout ça a façonné une attitude et créé de mauvais conditionnement. Pas de reproches pour autant, je donne les fondations d'un cocon où chacun a géré comme il pouvait, avec son lot d'injustices et de frustrations.
Maintenant il faut composer au mieux. Chacun s'en sortira comme il peut et l'enfant que j'ai été, pour pallier à une réalité difficile, s'est armé du rêve : dessiner des soleils, idéaliser des journées, des rencontres, sublimer des relations, ... pour voir plus brillant et chaleureux qu'une réalité froide et sombre.
Est-ce mal ? Bien sûr que non ! Mais la vie se charge de vous amener l'évolution, en portions ou en conteneurs : la gifle de la réalité, de l'égoïsme, de la violence et du vice pour lesquelles, désormais, je ne chercherai plus d'excuses.
Certaines rencontres seront salvatrices : des gens peut-être moins éprouvés par le passé, voyant les choses telles qu'elles sont, sans attentes ni calculs. Ils m'offriront la perspective de belles relations, d'un monde pas rayonnant mais éclairé. Belle optique lorsqu'on a connu le flou du brouillard et la violence de la tempête.

"Je n'ai pas accomplis de grandes choses, j'ai juste réussi à vivre"

C'est déjà un exploit, partout on voit les grandes personnalités ayant fait de belles choses mais s'en sortir c'est déjà remarquable. Imaginez le nombre de suicides dans le monde, de tout temps. Pensez maintenant à tout ceux qui ont profondément voulu se donner la mort et se sont ravisés. Ceux qui, dans un contexte effroyable, ont eu l'envie de rêver à des jours meilleurs.

L'entourage, les amis, sont spectateurs et bien souvent impuissants, d'autres ferment les yeux. Songez au nombre d'altercations que vous avez vu, au nombre de traitements déplorables, stigmatisants, les expressions de peines ou les regards plein de douleurs... On les voit ces personnes, on les voit et on choisit de ne pas relever. On est pas là pour porter la misère du monde, certes, mais au moins celle de l'humain d'à côté… et puis le proverbe entier finit par : chacun peut en prendre un petit peu.

Enfin... Le monde est comme il est, et c'est ici que j'ai trouvé mon premier soutient, en moi. La première chose qui me permit de ne pas flancher, cette toute petite envie de vivre, submergée mais toujours présente, pesant son poids dans la balance. Un déclic survenu très tôt et qui fût décisif. Cette envie, au-delà du désespoir et même de la conscience, me mena jour après jour aux obligations d'un enfant (école et famille) et chaque nuit, au sommeil de soulagement, le moment où l'on ne pense plus…

Tout repartit de là, très lentement, parce qu'au delà du mental le corps veut vivre. Le mental ne sait plus comment faire mais le corps ne se questionne pas.

On retrouve des plaisirs, subtilement, pour moi ça a été les goûters. On rigole devant des émissions et on renouvellera bientôt ces plaisirs, dans la quêtes de petits « highs » qui nous font tellement de bien.

Il est bien sûr des situations plus tragiques ou le corps abandonne mais je ne saurai rien dire dessus et surtout je ne voudrai pas risquer de réduire une peine qui m'est inconnue, une peine semblant si insupportable qu'elle soumet le corps même…

Lorsque le corps nous fait avancer, par la répétition de gestes au quotidien, on nourrit quelques réflexions, pour moi ce fut la réciproque d'une idée bien connu : le but premier c'est le bonheur et là dessus tout le monde a des chances de rater. C'est donc le seul jeu où l'égalité existe, mieux : elle est systématique. C'est pour moi le seul jeu équitable dans la vie, et ce constat fut ma première source de réconfort.
Ensuite cette envie de vivre me fit échafauder un plan, la carotte : le rêve du bonheur futur, quand tout ira mieux… Je devins hargneux, parce que je la voulais cette vie, je voulais arracher à la destinée tout ce dont l'enfance sembla me priver.

La deuxième soutient fut subtile mais surtout inapproprié : j'ai voulu être gentil, drôle, arrangeant, … pour être remarqué, estimé, même simplement de surface.
Le but était de nourrir l'amour propre, c'est vrai, mais aussi de faire pencher la balance, pour que tout ne soit pas noir « dessiner des soleils » souvenez vous… J'ai utilisé le mot inapproprié car on s'entoure de personnes qui ne nous choisissent pas, un réseau fait de relations de surfaces en somme.
La vie trouve son chemin malgré tout, on trouve un équilibre et traverse ce torrent de boue. Les années passent et nous offrent un meilleur contexte, on sort de ce « mode survie » pour raccrocher la réalité...
Sur un radeau à la dérive, hébété, sans se connaître, sans comprendre tout ce qui s'est passé, sans aucuns objectif et en quête de sens du coup. Sur ce radeau, on navigue, étant désormais tristement conscient que le temps passe. Puis on comprend, on sort de l'utilité, on voit où tout ça nous a mené, et on sait où on veut aller avec ce radeau, ces bagages et cette… expérience malgré tout.

« On peut aussi bâtir quelque chose de beau avec les pierres qui entravent le chemin »

Enfant brisé, tu l'as souhaité cette vie, tu as brisé la chaîne de la haine et trouvé ta place en tant qu'enfant Candide, mieux : tu l'as valorisé.
Moi qui, plein de craintes, te disait qu'il n'y avait aucunes raisons d'espérer, que la vie était moche, dictée par les choix de chacun, que le cumule des peurs, des envies, des frustrations, ... rendaient les gens égoïstes et malsains. Je n'y croyais plus et tu m'as montré que j'avais tort.

Ta hargne, tes rêves et ta volonté m'ont permis de traverser tout ça. Je n'ai plus le besoin de combler, d'entretenir malgré tout, coûte que coûte car par le malheur et le manque, j'ai pris goût des belles choses et des belles relations. L'essentiel est de faire un beau chemin, d'écrire une belle histoire, le reste ne doit pas être cause d'angoisse car indépendant de moi. Une litote de fin pour ne pas dire ce fameux carpe diem en perte de sens. Alors pour ma vie, merci petit Jean.

Hommage au petit Jean, GANDHIDE