Hôtel du Commerce

Gabriel Meunier

Les conditions d'émergence et de disparition de tous les métiers sont une source d'amusements, des plaisirs ou de peines. Pour les hôtels, c'est une mine de découvertes, passionnante.
Combien d'Hôtels du commerce en France ? Combien ont-ils disparu ? Certains diront "peu importe".

Est-ce bien sûr ? Nos chers étudiants en marketing diraient que cette enseigne n'est plus "porteuse". Mercure faisait-il commerce de son corps ? A chacun de juger ou d'échafauder son histoire. En tous les cas les Hôtels du commerce avaient bien "ciblé" leur clientèle, notamment celle des VRP*, souvent des mâles en mal de chaleur humaine, entre les draps ou plus si affinité.

Une enseigne nous enseigne ; soit. Alors va pour un doux commerce, un commerce aux longs cours, un fonds de commerce... Tous légaux, petits ou gros, maintenant équitable, autrefois infâme. Si les Cafés du commerce ont sombré peu à peu dans un populisme franchement désespérant, à qui la faute ? Les Hôtels du commerce eux, n'ont pas - ou peu - connu cette triste descente aux enfers. Près de la gare ou de la place du marché, bâtiment souvent de belle taille et de bonne réputation, ils ont vu passer des générations de premiers communiants, de fiançailles, d'enterrements de vie de garçon et d'enterrements tout court. Alors ce tourbillon de fêtes et de peines, de joies culinaires ou de rencontres ne peut nous laisser sombrer dans la mesquinerie, la discussion stérile ou, pire, les ternes ragots.

Quarante ans de boutique. Mais brutalement, un soir il faut fermer. Pas de repreneur. Même les "investisseurs" immobiliers font silence radio. Alors un dernier dîner, entre amis ou convaincus. Ce sera le 30 décembre. Foie gras maison. Daube de sanglier. Gratin dauphinois. Vous voulez des légumes ? Plateau de fromages. Vacherin. Ouf, on croyait qu'en hiver on n'y aurait pas droit. Le patron a enfilé sa veste blanche, son pantalon gris pied de poule et même la toque.

Trois mois plus tard les volets sont fermés. En façade, une lettre de la grande enseigne - autrefois dorée, à défaut jaune - s'est décrochée. Deux jeunes "repreneurs pour faire des appartements", ou bien "ouvrir une pizzeria" (sans doute à l'enseigne Lou Provençado - en Isère - ou Le Claridge) ont commencé des travaux. La porte va-et-vient, avec sa grande barre de cuivre oblique, qui a vu passer des bancs de turbots à la crème, des escouades de poulets aux écrevisses, des montagnes de profiteroles et tant de cris et de rires, cette porte a disparu.
Les travaux sont arrêtés.
Seule sur la façade, l'enseigne enseigne, oui.

*VRP voyageur, représentant placier. En usage jusqu'à la deuxième guerre ; ensuite ce ne sont plus que des représentants (souvent salariés)
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