Huile sur Bois - Extrait
bertrandb
Pourquoi un individu viendrait chaque samedi depuis plus de dix ans dans ce musée, juste pour photographier, sans autorisation, un même tableau ? Tom Lindemanns, chef de la sécurité, a bien envie de tirer cela au clair...
Mais que vient faire la confiture de rhubarbe là dedans ?
EXTRAIT :
Tom Lindemanns s'impatientait. Son dos lui faisait mal et ses jambes semblaient faites de plomb. Il serrait les bras ; sa banale chemise, d'un bleu éclatant, s'était indécemment décorée d'auréoles aux aisselles. Heureusement, sa réglementaire cravate rouge s'accordait à merveille avec le papier peint jaune et défraîchi. Et cette ventilation qui faisait un bruit d'enfer ! Ça ne risquait pas de le calmer.
- Bon, accouche ! aboya-t-il à nouveau. Tu avais l'intention de voler ce tableau, pas vrai ?
Si une réponse s'était fait entendre, elle serait venue d'une douloureuse association de couleurs et de matières, d'un mauvais goût qui touchait au divin, enveloppant un corps malingre, surmonté d'une tête aux cheveux noirs, gras et épars, elle-même ornée de deux yeux plissés et chafouins qui avaient dû voir passer au moins trente-cinq années. À cet instant, son identité restait un mystère.
- Putain, mais c'est quoi ton nom ? beugla Tom. Ça fait une heure qu'on est là ! Une heure ! Et t’as pas dit un foutu mot !
Il resta un instant en arrêt, puis, brusquement, recula sa chaise et se radoucit, changeant de stratégie.
- Je te propose un arrangement. Tu nous expliques ton petit manège et on n'appelle pas les flics.
Malheureusement, il avait beau être responsable de la sécurité du musée, pour appeler les forces de l'ordre et leur présenter un suspect, il fallait autre chose que des présomptions et des photos non autorisées. Mais il n'avait rien, si ce n'était une intuition. Et un beau délit de sale gueule. Son « suspect » était moche et n'avait pas la tête d'un fana de musées, encore moins d’un passionné de toiles de la Renaissance. Il devait être incapable de faire la différence entre une annonciation et une descente de croix, entre l'école flamande et florentine et devait penser que la tempera était un dessert.
Jugement bien indécent, puisque lui-même ne s’était documenté sur le sujet qu’avec l’idée de mettre un jour dans son lit la ravissante adjointe du conservateur, et parce qu'il travaillait ici depuis sept ans, quatre mois et seize jours.
- Ça fait au moins dix ans que je te vois ici chaque semaine, à prendre photo sur photo, toujours de la même toile ! lança-t-il. Si c’est pas un repérage pour un vol, c'est quoi ? P'têt que t'es juste un peu taré ? Genre autiste ?
Un rire gras surgit de derrière lui.
Ah oui. Van Haavere. Une grande masse moustachue, inutile et peu décorative, qui faisait office de gardien des salles sept à onze, en journée, du mardi au samedi, sauf le mercredi après-midi, jour de gloire où il faisait fièrement le suivi des groupes scolaires.
En l’occurrence, à l'instant, il servait juste à appesantir l'atmosphère, de façon à créer une tension sur les nerfs du suspect. Et pour appesantir, il en connaissait un rayon. Son rire tourna à la quinte de toux, pur produit de vingt-quatre cigarettes brunes sans filtres quotidiennes. Lindemanns lui signifia sa désapprobation d'un regard et, pour justifier sa lourdeur, la grosse moustache s'empressa de lancer un « J'le fouille chef ? On saura qui c'est comme ça ! ». Et s'avança, l'air menaçant.
Sans même lever un œil, l'inconnu leur offrit pour la première fois le son de sa voix ;
- Vous n'en avez pas le droit.
Merde, se dit Lindemanns. Il est moins con qu'il en a l'air. Pire, il doit savoir qu'il peut porter plainte si on le fouille de force.
- Non, reprit-il à voix haute. Par contre, je peux te garder ici jusqu'à Pâques. Et surtout, je vais appeler les flics.- Et vous me reprochez quoi, au juste ?
- Tu as pris des photos, ce qui est interdit par le règlement du musée.
- Donnez-moi une amende, je la paierai. Les flics ne se déplaceront pas pour ça.
Implacable. Cela sonnait juste et Lindemanns n'avait rien de plus, ni à charge, ni à répondre. Mais merde, personne de normal ne s’acquitterait d'un abonnement pour venir une fois par semaine depuis près de dix ans, juste pour passer deux minutes devant la même foutue toile et la prendre, illégalement, en photo ! C'était une infraction ridicule, pas même pénalement répréhensible, mais ça cachait un truc pas net : ce mec voulait voler ce putain de tableau.
L'orgueil de Lindemanns aurait voulu faire de lui un inspecteur de police renommé, un fin limier, un de ces personnages de séries télé qui découvrent toujours le pot-aux-roses, et il tentait par tous les moyens possibles d'échapper à son morne poste de chef de la sécurité d'un musée, dont le palpitant quotidien était de vérifier extincteurs et alarmes. Il voulait comprendre et son instinct, à grands cris, l'encourageait. Bon, ce n'était pas un instinct de compétition, il n'avait même jamais trouvé le tiercé dans l'ordre. Mais c'était le seul élément de jugement dont il disposait et par atavisme, il lui faisait aveuglément confiance.
Il avait passé le dernier dimanche à regarder les vidéos de surveillance, et depuis des années, il connaissait par cœur les allées et venues de son suspect. Tels les phrasés du Boléro de Ravel, chaque samedi reprenait le samedi précédent. Si on avait pu superposer sa trajectoire d'une semaine sur l'autre, d'un mois sur l'autre et d'une année sur l'autre, on n’y aurait pas vu de flou.
Aujourd’hui, on était samedi, et aujourd'hui, Lindemanns était passé à l'action. À quatorze heures, l'inconnu était arrivé au musée, avait filé tout droit à la salle vingt-sept, prenant à rebours le chemin, avait coupé salle vingt-cinq vers la douze et était revenu jusqu'à la onze. Chemin indéniablement le plus court pour se rendre devant la Descente de Croix de Huygens, huile sur bois, 1657, 192 x 122 cm.
Et ce, sans jeter ne serait-ce qu'un regard aux tableaux de maîtres partout exposés, juste pour finir devant ce discret coin de mur où croupissait cette obscure œuvre, dont la présence en ce musée devait plus au souci d'exhaustivité qu'à une véritable qualité esthétique.
C'est là que Van Haavere l'avait cueilli, tout en finesse.On toqua à la porte, et sans attendre de réponse, la deuxième obsession de Tom, Corie D'Horace, adjointe du conservateur et pléonasme de la beauté, apparut dans la pièce.
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En effet, c'est une bonne accroche. Après cette lecture, on a envie de connaître la suite.
· Il y a plus de 12 ans ·mimimilie