Il sentait bon le sable chaud

Dominique Deconinck

Il sentait bon le sable chaud

Le cumulonimbus rampait sur les crêtes, envahissait le ciel, s’engouffrait dans la vallée : l’orage espéré arrivait. Elle était là, crayon entre les dents, assise depuis des heures sur une grosse pierre moussue, inconfortable, croquant chaque détail de la montagne, chaque anfractuosité dans son carnet, se penchant parfois sur son gros appareil pour prendre une photo. Une rafale froide, un grondement, quelques gouttes puis un rideau de pluie, dense. La jeune femme sursauta, prit son sac à dos, l’ouvrit et fit la grimace : elle n’avait rien pour protéger son matériel, si elle ne rentrait pas très vite elle le perdrait et ses esquisses aussi. Elle dégringola le chemin de chèvres, arriva enfin à l’orée de la ville, essoufflée, courbée, les bras refermés sur son sac en une dérisoire tentative pour le protéger. L’eau dévalait sous son T-shirt trempé, son jean, sur sa peau, sa poitrine et ses reins, en ruisselets froids et continus. Encore deux kilomètres pour atteindre son studio … impossible de sauver ses croquis jusque-là. Se réfugier sous un porche ? Ils étaient fermés et balayés par l’averse. L’entrée d’un garage délabré, elle s’y engouffra le temps de lever la tête, jeta un nouveau coup d’œil alentour et vit la vitrine d’un bistrot. Elle courut jusqu’à la porte, la poussa, haletante, marcha jusqu’au zinc, posa son sac ruisselant et en sortit carnet et appareil : ouf, rien de grave. Elle prit alors conscience de l’environnement, du bruit d’un jukebox superposé à celui d’un flipper, des conversations qui s’arrêtaient peu à peu, de la transparence de ses vêtements, du regard des clients posé sur elle. Elle regarda le miroir derrière le bar, presque caché par les bouteilles et distingua une majorité d’hommes, le crâne rasé, pas très à la mode dans ces années soixante-dix. Des skinheads ? Non, trop propres. Des militaires ? Ça devait être ça. Ça lui revenait : sa logeuse lui avait dit qu’il y avait une caserne dans le coin, des paras si elle se souvenait bien. Leur silhouette compacte et musclée, pas à la façon des culturistes qu’elle avait croqués plus d’une fois à Genève, confirmait l’hypothèse. Ceux-là n’avaient pas besoin de s’échauffer pour paraître forts : ils donnaient un sentiment de puissance, de densité et de sérénité comme elle n’en avait jamais vu. Comme les garçons et les filles de son âge, elle était vaguement antimilitariste, sans trop savoir pourquoi. La chanson de Le Forestier lui revenait. L’un d’eux se leva, retira sa chemise et la lui tendit, dévoilant un buste large à peine caché par un débardeur. Le patron lui montra une porte de la main :

— Vous pouvez vous changer là-bas.

Elle sursauta, surprise, se découvrit dans la glace … intéressante, ses cheveux semblables à une paille de cuivre encadrant sa tête, lui donnant une indiscutable ressemblance avec un cocker sorti du bain, ses yeux s’abaissèrent, son T-shirt devenu transparent, soulignait deux jeunes seins dont les tétons pointaient fièrement. Elle se précipita avec toute la dignité dont elle était capable et revint trois minutes plus tard.

— Merci.

— Que prenez-vous ?

— Une bière, s’il vous plaît.

— Deux.

L’homme qui lui avait proposé sa chemise, observait l’appareil de photo posé sur le comptoir :

— Un Hasselblad, objectif Zeiss, 80mm, idéal pour les portraits et les paysages.

— Vous vous y connaissez en photo ?

— Un peu.

— Vous êtes militaire ?

Il rit, franchement, d’un rire profond et presque silencieux.

—A votre avis ? Vous avez peut-être un prénom ?

— Euh, oui, Lyla. Et vous ?

— Axel. La pluie s’est arrêtée, vous êtes trempée : je vous reconduis ?

Il lui tendait un casque de moto. Elle hésita, le saisit et lui donna son adresse. Au moment où ils partaient, un sifflement éloquent jaillit du fond de la salle. L’homme se tourna et fit un geste tranquille d’au revoir.

— Une Kawasaki 900 Z1, jolie machine.

— Vous vous y connaissez en moto ?

La pluie s’était arrêtée aussi vite qu’elle avait commencé, remplacée par les rayons du soleil qui avaient déjà séché la selle. Elle enfourcha l’engin alors qu’il démarrait lentement, sans heurts, en écoutant ses indications. Cinq minutes plus tard, ils s’arrêtaient.

— Vous attendez un instant ? Le temps que je vous restitue votre chemise.

— Désolé, je suis de garde ce soir, je dois y aller.

— Quand alors … demain ?

— Je ne sais pas : nous sommes en pré-alerte, nous pouvons partir à tout moment. Déposez-là quand vous le pourrez chez Fernand, au bistrot. Bonne soirée.

Il referma sa visière, le moteur ronronna à peine plus fort lorsqu’il s’éloigna.

*

Le lendemain vers dix-sept heures, elle revint au bar, la chemise sous le bras et un gros carnet à la main. Elle avait choisi une toute autre tenue que celle de la veille, une tunique de lin s’arrêtant au dessus de ses genoux, une large ceinture tissée qui soulignait ses hanches, des spartiates dont les lanières enserraient ses jambes fuselées. La première fois elle n’avait pas observé l’endroit, elle était entrée, trop préoccupée par le sauvetage de ses travaux puis par son allure de miss T-shirt mouillé. La salle en L accueillait d’un côté un baby-foot vigoureusement secoué par quatre joueurs entourés de spectateurs attentifs, l’autre était meublée de tables en formica aux bords usés, entourées de banquettes en skaï orange écaillé, un mur couvert de photos en noir et blanc, montrant des soldats, certains portant un béret, d’autres un képi blanc ; en dessous de chaque portrait, un nom parfois suivi d’un surnom, une date et un lieu. Plusieurs hommes, des blancs, des noirs, des arabes ou des asiatiques devisaient. Elle mit plusieurs secondes à saisir l’atmosphère, étrangement elle se sentait dans un lieu traversé par le calme, la sécurité. Ceux-là étaient des soldats, pas des soudards, leur force palpable la protégeait. L’un d’eux se leva :

— Vous attendez Axel ?

— …

— Il devrait arriver dans une heure environ. Joignez-vous à nous en l’attendant.

Se souvenant des conseils de sa mère, elle sourit, qu’aurait-elle dit si elle avait vu sa fille s’adresser à un inconnu comme celui-là … elle finit par acquiescer.

— D’accord mais uniquement si vous m’expliquez cette gravure ?

Elle désignait de la main, la reproduction d’un tableau entouré par les photos. Il représentait une cour de ferme où trois soldats farouches, pantalon rouge, veste bleue à boutons dorés étaient entourés de dizaines de mexicains criant victoire du haut d’un toit en feu ou de leur cheval.

Son interlocuteur se tut un instant :

— Cela ne vous dit rien ? Camerone, un minuscule endroit au Mexique, une défaite magnifique comme seuls nous savons les faire, où soixante-deux légionnaires se sont battus contre deux mille soldats, un chef-d’œuvre de tactique et de courage.

— Et pourquoi ici ?

— Vous n’êtes pas corse, je l’entends à votre accent ... Allemande ? Autrichienne ?

— Suisse.

— Nous sommes à Calvi, la ville qui héberge le 2ième REP, le Deuxième Régiment Etranger de parachutistes, le meilleur du monde.

Celui qui disait cela rayonnait de fierté cependant elle ne ressentait aucune gloriole dans sa bouche. Les autres s’étaient levés, ils se joignaient à la conversation, payaient une tournée, parlaient des faits d’arme de leur régiment, la draguaient un peu alors qu’elle avait ouvert son carnet, et croquait les visages en quelques coups de fusain. Le Tonkin, Bir Hakeim, Kolwezi, autant de mots qu’elle avait déjà entendus, qu’elle ne connaissait pas, dont elle découvrait qu’ils étaient des noms de bataille.

Personne ne fit attention au nouvel arrivant. Axel n’avait pas immédiatement reconnu la jeune fille de la veille, aujourd’hui belle comme le jour avec son imposante crinière rousse et dense qui frémissait au moindre de ses mouvements. Il s’approcha, silencieux, écoutant ses compagnons et enfin parla :

 — Vous lui apprenez l’histoire de France au travers de celle de la Légion ?

Elle sursauta :

— Ainsi vous êtes légionnaire ?

— Non. Je finissais mon service militaire lorsqu’on m’a fait une proposition : remplacer au pied levé un instructeur du régiment et pour cela participer à leurs missions l’espace d’un an, et ça … c’était une sacrée gageure.

— Vous êtes trop jeune pour ça !

Un homme, peut-être plus âgé que les autres reprit :

— Je l’ai accueilli dans ma section et je n’en étais pas ravi, vous pensez : un étudiant ! Vous savez … la seule chose qui puisse nous blesser si elle existe, c’est la supposition du mépris de ceux qui nous croisent. A notre époque de cheveux longs, difficile de cacher notre métier et de ne pas remarquer le dédain de ceux qui d’un coup d’œil nous jaugent, nous jugent. Et lui il est arrivé avec son étiquette, parachuté par le commandement. Comme le veut le règlement il avait le droit de partir discrètement dans les quinze premiers jours, il a tenu.

— J’essaye d’enseigner comment fabriquer une bombe, une mine avec les moyens du bord quand c’est nécessaire, quand nous devons improviser et comme ce n’est pas ma spécialité, je n’ai souvent que deux ou trois jours d’avance sur eux pour leur apprendre le sujet.

Ce fut l’un de ces moments rares, palpables où le lien se créait, où les tablées se rapprochaient, où le patron du bistrot se joignit à eux. Une femme asiatique prit une chaise et intégra le cercle des convives. L’aube se levait lorsque la petite troupe quitta le restaurant. Le rideau de fer se ferma, la plupart des hommes partit vers le camp Rafalli, la caserne du 2ieme REP, un couple se dirigea vers le centre de la ville.

*

Axel arriva un peu avant l’heure prévue. Il serra la main du patron, fit un signe de main à quelques uns avant d’embrasser Lyla sur la joue et de lui tendre un casque. Ils partaient dîner à l’Ile Rousse, à quelques kilomètres de là.

Elle lui parla de son enfance à Lausanne, de son éducation, de son unique année d’études de médecine où elle avait appris un peu d’anatomie mais où surtout elle avait décidé de se consacrer à la peinture en commençant par Paris. Revenue à Genève, elle avait obtenu une bourse et s’était découvert l’envie de voir d’autres montagnes que les Alpes, une mer qui ne soit pas le lac Léman, de partir d’un monde que son œil d’artiste avait trop souvent décortiqué, dont elle connaissait chaque recoin, chaque visage, pour trouver une atmosphère nouvelle et elle avait atterri en Corse. Le petit appartement, à la fois studio et atelier, trouvé dans une improbable annonce, l’avait accueillie.

Pour la seconde fois en quelques jours, ils perdaient conscience du temps qui s’égrainait, ils découvraient l’autre et son monde, se rapprochaient. Au retour, plutôt que de prendre les poignées de la moto, elle s’agrippa à la taille d’Axel, fut surprise par la consistance minérale du corps de son nouvel ami. Arrivés à Calvi, elle descendit de la Kawa, lui prit la main et le tira derrière elle.

Arrivée en haut des escaliers, elle ouvrit la porte, le laissa entrer : une pièce cubique, le toit vitré, plusieurs toiles posées, tournées vers le mur, un chevalet dressé au centre de l’endroit ; il s’arrêta devant lui, le casque encore à la main. Un tableau de deux mètres sur deux : un diamant posé sur un tissu de velours noir, le déformant sous son poids, taillé en brillant, une lumière rase qui rebondissait sur sa table, se difractait sur la couronne et le rondis facetté, renvoyant des lueurs ocres, vertes et bleues ; en bas à droite, des grains de sable s’écoulaient comme enfermés dans un invisible sablier. Axel s’approcha. Bien des secondes plus tard, il parla :

—Le Papu di a Veta …

Il ne lui laissa pas le temps de répondre.

— Sous la pierre précieuse tu représentes tous les aspects de la colline, le maquis et la baie de Calvi.

— Continue.

—Tu veux reproduire la palette de la journée, la lumière qui met en valeur la pierre précieuse et cache le paysage, la réalité ... sur le dernier secteur, une tache blanche striée, l’ébauche de l’orage.

— Comment as-tu deviné ?

— Je parcours souvent les sentiers qui mènent à cette montagne, tu sais représenter son âme.

Elle s’approcha de lui, l’embrassa. Un long moment plus tard elle posa la tête sur les pectoraux du soldat, s’étonnant à nouveau de sentir la compacité de ce corps.

— J’ai déjà connu homme plus confortable …parle-moi du tableau… encore.

Il recula d’un pas et observa l’œuvre en devenir :

— Tu peins la montagne à la manière de Dali, chaque détail apparait déformé par le cristal mais aussi, comme Picasso quand tu la représentes suivant chacun de ses aspects en fonction de son humeur, de l’heure du jour ou de la saison. L’œuvre est inachevée. Il te manquait la force des éléments, l’orage que tu n’as qu’à peine esquissé. En un seul tableau tu as figuré la relativité au travers du velours qui ploie sous le poids de la pierre : tu vas de l’apparence jusqu’à la profondeur, de l’infini des étoiles jusqu’aux détails de la roche.

Elle resta un moment silencieuse.

— Et toi qui arrives tu décris si bien ce que j’ai mis des années à entrevoir. Tu sais … peu de critiques seraient capables de lire ce que tu viens de découvrir même s’ils daignaient passer des heures à regarder cette toile ce qu’ils ne feront probablement jamais.

— Et peu de peintres sont capables de montrer tout ce que tu dévoiles.

Troublée, elle s’écarta de lui, rompit délibérément le lien naissant, ouvrit le réfrigérateur, lui lança une bière et en décapsula une autre :

— Raconte-moi. Qui es-tu ?

— Que dire ? La Légion héberge des hommes dont la distance avec l’idée de la mort est faible, des risque-tout si l’on aime les clichés, mais pas seulement. Il y a longtemps, le général de Négrier a cru malin de dire Vous, légionnaires, vous êtes soldats pour mourir, je vous envoie là où l’on meurt. La phrase n’est pas belle, elle est vraie mais elle n’aurait dû être entendue que par les légionnaires, les autres ne peuvent pas la comprendre. Au travers de la discipline extrême, nous sommes libres : un légionnaire n’obéira qu’à un officier qu’il estime. Certains ont déserté faute de trouver un commandement digne de ce qu’ils pensaient être. Un jour tu demanderas à Wilfried de te parler de Sparte, de cette race d’hommes dont il n’existe pas d’autre exemple dans l’histoire, qui, entre parenthèses, avaient les femmes les plus libres de leur temps et tu comprendras l’idéal formulé ou non de la Légion. Nous ne sommes à mon sens pas des soldats encore moins des mercenaires : nous sommes légionnaires, simplement.

— Tu sais que tu dis nous en parlant de la légion ?

Il prit sa canette, pensif, la tourna entre ses doigts.

— C’est vrai, je me sens viscéralement comme ceux qui sont devenus mes amis. A la fin de cette année d’engagement, je ne sais pas encore si je reprendrai mes études.

Il regarda le tableau.

— J’aime ce lieu, cette conception de la vie.

 Lyla ne put deviner à quel endroit il se référait. Ils restèrent longtemps silencieux puis elle s’approcha de lui, lui déboutonna sa chemise, déboucla son pantalon et d’un même geste le mit à nu. Enfin elle le propulsa sur le lit sans qu’il résiste. Il se retrouva sur le ventre, la tête reposant sur sa main.

— Tu es beau … ne bouge pas.

La jeune femme prit son appareil de photo, ouvrit un parapluie blanc, l’orienta vers le lit et régla l’éclairage. Elle prit un cliché, bougea le pied, en prit un second puis d’autres.

— Tourne-toi vers moi.

— Cela devient gênant.

— J’ai déjà photographié beaucoup de modèles, tu sais. Regarde-moi.

Il se mit sur le flanc, rougissant de son érection maintenant si visible. Elle prit d’autres clichés, se déshabilla, le renversa sur le dos et se posa sur lui. Il saisit les hanches si douces de Lyla. Presque immobiles, ils apprenaient la peau de l’autre, son odeur, ses frémissements, son impatience tranquille, pour s’arrêter brusquement. Ils gémirent à l’unisson, elle se pencha sur lui, embrassa la commissure de ses lèvres, et posa la tête sur l’épaule de son amant.

— J’ai cru un instant que tu étais de pierre, Axel.

— Un instant seulement ?

— Vantard !

Ils rirent ensemble avant qu’il ne se penche sur elle pour échanger un second et très long baiser. L’aurore les retrouva enlacés.

*

Adolescents attardés, ils se rencontraient, parlaient peu, faisaient l’amour dès qu’ils le pouvaient, lorsqu’il n’était pas en mission, quand elle ne présentait pas ses premières œuvres à Genève. Ils se créaient de magnifiques souvenirs qui un jour deviendraient nostalgie.

*

Ce soir-là, la nuit tombée, ils revenaient de Porto, elle lui tambourina le dos :

— Arrête-toi. J’ai trop envie !

Ils prirent un chemin qui menait à une crique. Elle ôta son casque et ses cheveux frisés reprirent leur volume, elle se déshabilla en courant vers la mer.

— Preums !

Axel prit le temps de mettre l’antivol de la machine, se dévêtit à son tour et posa un pied dans l’eau.

— Hé, elle est froide !

— Viens ! Quand tu te baigneras dans le lac Léman, tu sauras ce que c’est que de l’eau froide.

Elle l’aspergea et lui plongea.

Ils se caressaient, nageaient, retrouvaient leurs lèvres, se laissant porter par les vagues qui s’amusaient à les écarter pour mieux les rapprocher. Enfin, frissonnants, main dans la main, ils sortirent dégoulinants. Il la prit dans ses bras sans le moindre effort et la porta juste derrière un rocher. Après l’avoir déposée, il mit son doigt sur sa bouche et partit en rampant. Sans comprendre, absolument confiante, elle admirait ce corps nu qui frôlait le sable et contournait les obstacles comme un serpent doré. Elle entendit une exclamation et le vit se lever, tenant dans chaque main un adolescent qui gigotait.

— Bon … les enfants vous voyez la plus belle fille du monde dans le plus simple appareil : vous aurez des choses à raconter lors de la prochaine récré alors oust ! Vous êtes trop jeunes pour voir la suite.

Il fit demi-tour, les posa au sol et les poussa gentiment vers la route. Ces derniers coururent tout ce qu’ils pouvaient. Le plus brave des deux ou le plus téméraire, à une distance confortable, se retourna :

— Oh les amoureux !

Le soldat fit mine de les poursuivre, amorça un sprint alors qu’ils détalaient aussi vite qu’ils le pouvaient. Elle voyait son amant éclairé par la lueur orangée de la lune. Sa silhouette se détachait dans la nuit. L’œil d’artiste de Lyla détaillait la scène : le corps qui entrait en mouvement, penché en avant, la cuisse gauche levée, les muscles saillants, le bras droit replié qui équilibrait le geste et la similitude s’imposa : elle avait devant les yeux le même homme que les artistes grecs avaient peint sur les poteries deux mille cinq cents ans plus tôt, un athlète lumineux aux muscles ciselés qui courait sur un fond d’ébène. La filiation entre Sparte et la Légion était limpide, entre ces hommes qui au travers des millénaires avaient dédié leur âme à l’art de la guerre. Il revint, elle l’accueillit.

— Comment savais-tu ?

— L’instinct. Nous sommes dressés à observer tout ce qui nous entoure. Comme je te ramenai sur la plage, j’ai entendu des chuchotements et vu deux silhouettes qui s’abaissaient lorsque j’ai posé mon regard s’est posé sur elles. Quand nous nous sommes allongés j’ai fait attention à ce que nous leur soyons invisibles. Je crois qu’ils ont eu un peu peur.

— Pas tant que ça : ils n’ont pas perdu une miette de mon anatomie quand tu les tenais. Tu es sûr qu’ils ne reviendront pas ?

— Ça m’étonnerait beaucoup.

— Viens.

Ils firent l’amour, plongèrent à nouveau dans l’eau pour effacer le sable qui les tapissaient, revinrent sur la plage. Alors qu’il avait les yeux fermés, enfermé dans son plaisir, elle lui saisit le menton et tourna son visage vers elle :

— Qui es-tu Axel ? Nous ne devrions être là.

— Tu sais Lyla, je n’ai jamais rencontré une femme comme toi. J’ai bien sûr croisé des jeunes filles. Nous partagions notre petit univers de pensionnaires avides du monde et ne le connaissant pas ; faire l’amour cachés dans un fourré, une remise, parfois dans le lit d’un surveillant absent ou complaisant, nous faisait croire que nous transgressions les règles d’une société qui, parce qu’elle avait toujours connu ces comportements, savait qu’elle nous standardisait, nous récupérait donc. Trop semblables les uns aux autres, nous ne nous apportions que peu de choses sauf et c’était déjà beaucoup, la tendresse dont nous étions privés. Toi … comment dire, nous vivons dans deux mondes tellement opposés, tu m’apportes de nouvelles idées, de nouvelles pensées, tu effaces jusqu’à l’idée de médiocrité ! Grâce à toi, parce que je pense à toi, j’ai envie d’être meilleur, tu me plonges dans des rêves d’avenir dont je n’avais pas idée avant que tu apparaisses.

Elle prit une poignée de sable et la versa sur le corps d’Axel. Ils se couvraient l’un et l’autre d’une fine pellicule qui les rendaient si semblables, minéraux et vivants ; seuls leurs yeux grand ouverts trahissaient la vie qui était en eux. Ils se regardaient, conscients que le moindre geste, le plus petit bruit casserait ce moment magique. La brise du soir avait cessé, la mer étale n’était plus qu’un lointain murmure. Un poisson sauta hors de l’eau, ils frissonnèrent à l’unisson. Ils se levèrent, lui s’apprêtait à ôter le sable du tranchant de sa main, elle arrêta le geste.

—Axel, emmène-moi.

Un peu plus tard, ils entrèrent dans son studio. Elle s’approcha de la table, retira la toile cirée, la glissa sur le sol, prit les mains d’Axel et le guida au dessus de la nappe. Les mains de Lyla parcouraient le corps de son amant, elles époussetaient la peau d’Axel, de la pointe de ses courts cheveux jusqu’à celle de ses orteils en prenant soin de n’oublier aucun grain de sable. Il fit de même, heureux de parcourir sa peau blanche qui frémissait, s’attardant sur la pointe des seins qui s’éveillaient, sur son sexe. Toujours muette, elle le poussa des deux mains, prit les coins de la nappe et versa le sable dans un bocal.

*

Cela se passa un soir d’avril, lors de l’une de ces rencontres qu’ils se fixaient en espérant qu’aucun impondérable ne les séparerait. Lyla avait rendez-vous avec Axel, chez Fernand. Elle était arrivée à pied, avait longé quelques voitures passant à côté d’une R8 en ruine aux fenêtres débordant de fumée et avait atterri devant le bar fermé, une affiche colée à sa vitrine : Evènement familial imprévu. Fermé ce soir, désolé. Que faire ? Elle marcha quelques pas, fit demi-tour et se décida à rentrer chez elle.

Trois hommes étaient sortis de la voiture, bedaine précoce, marcel crasseux. Ils se dirigèrent vers elle. Elle n’y prêta pas attention. L’un d’eux parla :

— Combien ?

Elle sursauta :

— Excusez-moi, je ne comprends pas.

— On est à Calvi.

La voix était vulgaire, sale bien au-delà de l’apparence.

— Oui.

— Y a une caserne !?

— Oui.

— Combien ?

Le ton était plus élevé, plus dur.

— …

— Y a une caserne, y a un bar donc y a des putes et tu tapines devant le bar donc t’es une pute ! Combien ?!

— Non.

— Et ben si ! T’es une pute : grimpe et fissa.

— Non ! Sa voix était forte, suppliante, ferme.

Ils l’entouraient. Des rires graveleux.

— J’attends mon fiancé…

— Eh ben t’en a trois.

Elle pensa se protéger :

— Il est légionnaire.

Une seconde de silence.

— Ces connards n’aiment que les putes, c’est connu et on va t’apprendre à jouir.

L’homme la saisit par les cheveux, lui tira la tête en arrière, lui fourra son portefeuille dans la bouche. Ils l’emmenèrent dans le garage tout proche. Le plus sale ferma le rideau de fer, les deux autres déchirèrent ses vêtements, coupèrent ses sous-vêtements avec un cutter trouvé sur place, la couchèrent sur un établi entourant son torse de gros scotch marron. Ils retirèrent leurs bermudas aux couleurs passées, exhibant des sexes dressés qui montraient avec ostentation, leurs intentions. Ils savouraient chaque détail de leur proie, la blancheur de la peau, les jeunes seins, les hanches déjà épanouies : ils avaient gagné le gros lot.

Elle se croyait courageuse, elle se découvrit la volonté vacillante devant le chalumeau qui balayait ses cheveux en les faisant grésiller alors que l’homme l’approchait de ses yeux. Un autre soupesait ses seins, tel un maquignon évaluant la marchandise :

— A la fin de la nuit tu seras soumise ma pouliche.

Il retira le portefeuille de sa bouche, elle hurla ; son cri la sauva. Une gifle méchante, frappa sa joue, elle sentit le goût du sang qui coulait dans ses joues, entre ses dents :

— Tu te tais ou …

Il approcha à nouveau le chalumeau du visage de la jeune fille

— … je vais voir si ya kéke chose à boire. Mes potes s’occupent de toi.

Il lui tourna le dos, ses fesses nues, gélatineuses et velues tremblotaient à chaque pas.

*

La section rentrait d’une semaine de mission d’entraînement à la survie : pas de paquetage, pas de vivres, ni tente, ni briquet, ni allumette, un armement réduit à un couteau, soixante kilomètres de marche par jour et ils se faisaient engueuler parce qu’ils étaient arrivés avec une demi-heure de retard alors qu’ils avaient couru la moitié de la journée sous la pluie en traversant des torrents en cru : une vie de légionnaire, banale. Axel subissait comme les autres, au garde-à-vous, encore trempé.

—Demain, départ quatre heures. On saute en mer.

La vingtaine de soldats commençait à s’égailler.

— Soldat des Abymes,

Il se mit au garde à vous.

— A vos ordres, sergent.

Si la légion avait une religion, c’était celle de l’obéissance. Il se figea ; rien ne laissait transparaître son désarroi : il avait déjà plus d’une demi-heure de retard pour son rendez-vous avec Lyla et le sergent le savait. Ce dernier, camarade de combat, devenu ami au fil de leurs discussions, responsable de sa section adoptait le vouvoiement ; la hiérarchie reprenait ses droits.

— Revue de paquetage dans vingt minutes.

L’espoir de retrouver Lyla s’effilochait. Wilfried arriva ; il ne regarda qu’à peine les tenues, les rangers, le ceinturon, la baïonnette qui brillait, impeccables.

Il s’exprima enfin :

— Le trois juin tu vas à Aubagne, au centre de recrutement. Pas un mot à qui que ce soit, officiellement tu as une perm exceptionnelle pour retrouver un parent malade, c’est clair ?

— Oui sergent.

— Vas te coucher maintenant, demain sera rude.

*

Malgré son épuisement le sergent, plus endurci sans doute que ses camarades, sortit pour aller boire un verre ou deux et échapper à l’ascétisme des derniers jours. Après s’être changé, il s’était dirigé vers le bar, avait lu la même affiche que Lyla. Déçu, un peu bougon, il se décidait à rentrer au camp Rafalli lorsqu’il entendit le hurlement rempli de sanglots, de désespoir ; il identifia la voix. Toute sa formation, son métier, jouèrent : les exercices sans fin, les drills, les consignes, les réflexes. Il se fit silencieux, félin, repéra la porte métallique d’où sourdait un rai de lumière poussiéreuse et mouvante. Il se dirigea vers la porte du garage. Des voix basses, des sanglots étouffés. Il observa les détails du mur : un vasistas protégé par une grille rouillée, à deux mètres de haut. Il s’accrocha à son rebord du bout des doigts et fit une traction très lente. Vision dantesque : la jeune femme nue, le buste scotché à un établi, deux hommes dont l’un hilare tenait un petit chalumeau à gaz. Le soldat resta accroché d’une main et déchira posément le voile de grillage. Il redescendit en douceur, recula de trois pas. Il se mémorisait l’intérieur du garage, prit un bref élan, passa tête la première, fit un roulé-boulé, se récupéra sur les pieds, alla à l’essentiel, frappa sèchement le premier au poignet, le chalumeau tomba en s’éteignant. L’autre, figé, reçut un coup de poing dans le plexus, tomba à genoux et s’écroula, sa tête heurtant le sol. Le légionnaire se tourna vers Lyla.

— C’est fini.

Il avait conscience de la faiblesse de ses mots face à la détresse de la jeune femme qui entre deux sanglots lui dit :

— Ils sont trois.

Il balaya la pièce du regard, fonça vers la porte entrebâillée, parcourut le couloir et déboucha dans la rue pour découvrir le fuyard qui détalait et risquait de disparaître dans les dédales des rues de la vieille ville.

— A moi la Légion !

Le cri légendaire explosa et rebondit dans la rue. Fernand qui rentrait chez lui avec femme et enfants, accourut. Le sergent ne lui dit que quelques mots, il partit, retrouva son épouse, lui expliqua ce qui se passait.

En dix minutes une vingtaine d’hommes, certains âgés, mais tous l’allure décidée, s’étaient rassemblés devant le garage et maintenant se déployaient dans les rues alors que Wilfried revenait dans le garage. Il couvrit Lyla comme il le put de sa robe déchiquetée.

— Des hommes comme ça je devrais les tuer de mes mains. Je veux qu’ils soient jugés, que tout le monde sache à quel point ils sont immondes.

Il la mit hors de portée des oreilles de ses agresseurs et lui murmura :

— Non : si tu portes plainte, il y aura procès, ils vont essayer de te salir, ce sera leur parole contre la tienne, ils diront que tu tapinais, que tu voulais du fric, que vous vous amusiez, que je suis arrivé sans rien savoir. Si ça se trouve ils porteront plainte pour coups et blessures. J’ai une idée.

Il souleva l’homme par son marcel qui se déchira un peu plus et lui chuchota quelque chose à l’oreille. Le soudard partit en courant, les fesses à l’air et revint au bout de trois pas, penaud.

— … mes papiers …

— Ah oui.

Le sergent ouvrit le portefeuille, trouva la carte d’identité, la glissa dans la poche de sa chemise.

— Tu n’auras qu’à dire que tu l’as perdue. Maintenant je connais ton nom : si un jour, une seule fois, j’entends parler de toi, tu ne pourras plus jamais marcher. Tu as compris ?

Il ne laissa pas à l’autre le temps de répondre. Ce dernier courut sans se retourner. Le second subit le même sort.

La femme de Fernand était arrivée, elle avait regardé les vêtements déchirés, les deux hommes qui partaient en courant et Wilfried qui lui fit un simple signe de tête. Elle offrit son manteau à Lyla.

— Viens, viens à la maison. Ne reste pas ici. C’est fini petite fille, les méchants ne peuvent plus rien contre toi.

*

La voiture de patrouille parcourait les rues de la ville. Un policier cherchait fébrilement dans la boîte à gants.

— Merde, j’ai oublié mes clopes !

— Pas grave : on passe au bistrot, Fernand a toujours un ou deux paquets d’avance.

Ils changèrent de direction. Au bout de cent mètres un type, les fesses au vent, traversa la rue sous leur nez. Le conducteur pila presque à temps : le fuyard à peine heurté se retrouva allongé sur le capot en les regardant, apeuré. Les deux flics sortirent de leur 4L et s’apprêtaient à lui parler lorsqu’un second individu déboucha de la rue dans le même accoutrement et s’enfuit à leur vue.

Le plus jeune des agents ne prit pas soin de faire des sommations, rugbyman à ses heures il rattrapa le quasi nudiste et le plaqua proprement.

— Vous êtes nombreux comme ça ?

— Trois … je crois.

La réponse avait de quoi laisser perplexe.

— Un peu compliqué pour moi. On reste cinq minutes pour l’attendre ensuite on va au poste et vous allez expliquer tout ça.

*

Un peu plus d’hommes que d’habitude flânaient dans les rues de Calvi. Le gros Pilou comme le surnommait ses copains, courait pieds nus dans la vieille ville, espérant avoir semé le costaud. Il cherchait surtout de quoi cacher ses fesses et son sexe nettement moins triomphant que quelques minutes plus tôt. Il marchait prudemment lorsqu’il vit un homme au bout de la rue. Il fit demi-tour, regarda au bout d’une allée, un autre fumait une cigarette en lui tournant le dos, il avança à pas de loup, un troisième se baladait faisant crisser sa canne au bout ferré sur les pavés. Qu’est-ce qu’ils avaient tous à se balader à cette heure ?! De détour en détour, une main collée sur sa verge mollassonne, il tomba sur une rue plus large, la route de Porto lut-il. Les promeneurs ne lui laissaient pas le choix il devait la prendre s’il voulait échapper à leur regard. Il allongea le pas, baissé dans l’espoir vain d’être moins repérable, il releva la tête. Putain trois mecs arrivaient dans sa direction, un coup d’œil à l’arrière : cinq ou six autres l’observaient. Il comprit enfin qu’on le rabattait : il allait passer un putain de sale quart d’heure. Et la fille qui avait dit que son petit copain était dans la légion. Il sentit une sueur froide s’amorcer dans son dos. Une porte vitrée laissait passer la lumière pâle d’un néon. Valait mieux devoir s’expliquer à des braves gens en leur quémandant un vieux futal plutôt qu’avoir une tête au carré ou pire. Il entra précipitamment et tomba sur un policier assis derrière un hygiaphone. Ce dernier le détailla de la tête aux pieds, tourna la tête vers la première porte qui donnait sur l’entrée :

— Suzoni ?

— Ouai.

— On a trouvé le troisième.

— Ah bon.

L’inspecteur entra dans la pièce et haussa le sourcil :

— Et qu’est-ce qui vous est arrivé à vous ?

— …

Il n’attendit pas la réponse, sortit du poste de police et vit quelques silhouettes s’éloigner, le pas tranquille. Il entendait le bruit si caractéristique d’une canne qu’il connaissait bien et il rentra.

— Quand vous ne savez pas quoi faire, vous venez à poil dans les commissariats, c’est ça ?

— Non … c’est des voleurs, y m’ont tout pris.

— Les deux autres avaient leur portefeuille à la main, vous avez vos papiers ?

— Non.

— Bien, vous allez faire votre déposition au brigadier et demain matin on comparera votre version avec celles de vos copains. Pour le moment je ne suis pas sûr de tout comprendre.

— Vous pouvez pas m’arrêter, j’ai rien fait, j’suis une victime ! beugla le déculotté.

— Je n’ai pas de pantalon à vous proposer et, étant donné les dangereux criminels qui rôdent dans la cité, je préfère vous garder ici … à moins que vous ne souhaitiez ressortir ?

*

La femme de Fernand avait ramené Lyla chez eux, lui avait offert une assiette de charcuterie et un verre de vin. La jeune femme prostrée ne touchait à rien.

— Ecoute petite, tu es très courageuse. Tu découvres qu’il y a des salauds sur Terre. C’est vrai mais je peux t’assurer qu’il y a des gens bien, Axel ou Fernand si tu veux et bien d’autres. Tu n’as rien à craindre ici.

La femme savait que Lyla avait surtout besoin d’une présence apaisante et gentille. Elle lui raconta son histoire.

— Je suis annamite, un joli mot pour désigner un beau peuple martyrisé pendant la guerre d’Indochine. Mes parents m’ont envoyée à Saigon, pensant me protéger. Un après midi, je faisais des courses, des hommes, des européens, je me souviens encore de leur petit costume de lin et de leur canotier. Ils m’ont vue, ont cru qu’ils pouvaient se servir ; pour eux je n’étais qu’une congaï, une niakouée, une putain : il y en avait tant dans les rues, pourquoi chercher, la première venue conviendrait. J’ai crié. Fernand est sorti d’un bar. Tout cinq qu’ils étaient, il les a massacrés.

Elle marqua une pause, songeuse et reprit :

— Il m’a raccompagnée chez ma tante et il est parti en me disant au revoir. Je pensais que ce n’était qu’une formule de politesse et puis il est revenu avec un bouquet de fleurs minuscule dans sa grosse main, nous avons bu un premier thé et nous avons passé bien des après-midi ensemble. Nous avons fait l’amour en cachette : ma tante m’aurait battue si elle l’avait su.

Pour la première fois depuis qu’elle était arrivée, Lyla esquissa l’ombre d’un sourire.

— Et il est parti à Dien Bien Phu. Il a sauté, s’est battu dans les ruines d’Isabelle, le dernier poste qui a tenu. Les Viêt-Cong ne faisaient pas de quartiers pour ceux de la Légion, Fernand et ses camarades le savaient. Au moment où il est apparu que la défaite était inéluctable, leur colonel a donné le seul ordre qui avait un sens : charger contre la déferlante, courir longtemps et essayer de rejoindre le Laos ; ils ne sont pas nombreux ceux qui ont réussi cet exploit ; il m’a toujours dit que c’est parce qu’il pensait à moi qu’il y est arrivé.

Lyla la regardait, attentive à chaque mot.

— Je pensais qu’il était mort et un matin il a frappé à notre porte, il a dit à ma tante qu’il souhaitait me voir. Je l’ai entendu, je me suis ruée dans ses bras et j’ai encore le goût de notre baiser. Personne n’a jamais pu nous séparer depuis ce temps-là, ni ma famille ni l’armée.

Fernand était rentré silencieusement. Il prit la parole :

— Oui et pourtant le commandement avait interdit le rapatriement des autochtones comme on les appelait. Mes camarades, mes officiers aussi, sans le dire, ont aidé à la dissimuler dans le bateau qui nous emmenait. Lorsqu’elle est sortie de la jeep où elle était cachée, ça a fait un clash monstrueux, j’ai cru que le capitaine du bateau allait la faire jeter par-dessus bord. Une autre chose le préoccupait bien plus : la longue plainte des héroïnomanes. Beaucoup de soldats avaient pris cette saloperie pour oublier l’éloignement, le spleen, la peur de la mort. Les Viêt-Cong les fournissaient, la drogue est une arme redoutable pour détruire une armée. Au bout de trois jours, plus un seul gramme sur le navire et on commença à découvrir les damnés de l’héro. Au début ils hurlaient à la mort, on les a enfermés. Ils pleuraient, suppliaient, rien ne pouvait les aider. Enfin ils tremblaient, avaient la chair de poule. Bao Chau connaissait ce fléau ; elle proposa de s’occuper d’eux. Tu ne sais pas Lyla mais au bout de cinq ou six jours de manque, ils vomissent, ont la diarrhée, ils sont prostrés. Elle leur a donné la becquée en posant leur tête sur ses genoux, les a lavé, a nettoyé leurs vêtements, leur a donné des couvertures : ils avaient froid par quarante degrés et plus dans les soutes. Grâce à elle certains sont revenus de l’enfer. Le colonel de mon régiment a été voir le commandant de bord : il nous a fait le plus joli cadeau qui soit.

Bao Chau prit la main de Fernand.

— Il nous a mariés.

Lyla écoutait, oubliant un instant les derniers évènements et elle redevint grave, les larmes montaient à nouveau dans ses yeux.

— Fernand était là quand on t’a agressée.

L’annamite reprit :

— Fais attention petite fille : si tu penses épouser un jour Axel, sache qu’il peut partir n’importe quand, que tu ne sauras pas où il ira, que tu ne connaîtras pas la date de son retour, qu’il peut mourir ou revenir dans un état tel que tu te demanderas si la mort n’aurait pas été plus miséricordieuse. Les femmes de marin ont un sort bien plus enviable que celui des femmes de légionnaires.

Bao Chau comprit que ce n’était pas le bon discours.

— Tu vois : nous sommes mariés depuis plus de vingt ans, nous avons deux beaux garçons. Nous sommes heureux.. Demain Axel sera là, il saura ce qui t’est arrivé, il sera au-delà de triste de ne pas t’avoir sauvée. Il pensera à te réconforter et si tu l’aimes c’est toi qui l’apaiseras. Tu comprends ?

Des larmes roulaient sur les joues de Lyla.

— Oui.

*

Suzoni était arrivé au poste de police vers huit heures :

— Pas d’autres incidents cette nuit ?

— Si justement : on a trouvé une voiture dans le port ! Faut le vouloir !

— Quel est l’abruti qui a fait ça ?

— C’est là où ça se corse. Elle appartient à un des exhibitionnistes de cette nuit. Aucun d’entre eux n’a parlé de ça dans sa déposition.

Suzoni était perplexe : il n’était pas banal que trois types courent le cul à l’air à dix heures du soir, que l’un des piteux rentre au poste l’air terrifié et qu’on retrouve leur bagnole à la baille dans la même nuit.

Il sortit du poste et traversa le marché pour aller là où l’on avait trouvé les deux premiers nudistes. Il aperçut sa femme et la rejoignit à l’étal de la poissonnière. Cette dernière parlait à l’une de ses clientes :

— Vous voyez ma locataire toute rousse ? elle a découché cette nuit ! et la première chose qu’elle a fait après être revenue c’est de se faire raser la tête. Elle qui avait une si jolie crinière, une vraie lionne, elle a les cheveux en brosse maintenant : c’est d’un laid ! Les jeunes je vous jure !

Après avoir échangé quelques mots avec son épouse il repartit et retrouva Kristof dans son garage en train de maugréer. D’habitude son atelier vétuste était impeccablement rangé, là tout était en fouillis.

— Salut, ça va ?

— Non : c’est le bordel.

L’accent de l’ancien légionnaire restait à couper au couteau.

— Y a des jeunes qui ont dû faire les cons cette nuit.

Le policier n’insista pas, il sortit et jeta un coup d’œil dans la poubelle, elle débordait de chiffons plus ou moins graisseux. Suzoni n’était pas réputé être un bon flic pour rien, il rebroussa chemin :

— Tu es au courant pour cette nuit ?

— Non. Qu’est ce qui s’est passé ?

— Pas grand-chose.

En même temps il balayait les étagères des yeux : pas le moindre chiffon. Son regard se posa sur l’établi, la jeune lumière du jour l’effleurait et il vit des fils couleur de cuivre enroulés sur eux-mêmes. Le garagiste surprit son regard, se dirigea vers la poubelle en s’appuyant sur sa canne ferrée. Il reprit un chiffon et le passa sur la surface plane. Suzoni se baissa, ramassa quelques brins qu’il mit dans la poche de sa veste.

— Il me semble t’avoir aperçu hier soir ?

— Ouai … je me suis baladé avec quelques copains, le médecin me conseille de faire un peu de marche pour désankyloser ma foutue jambe. Au fait qu’est-ce qui t’amène ?

— Je voulais prendre rendez-vous pour la vidange de ma voiture.

— Repasse demain, quand j’en aurai fini avec le rangement. Bonne journée.

— Merci

D’habitude Krzysztof avait toujours un chiffon à portée de main, là il avait été obligé d’aller en chercher un dans la poubelle, Suzoni se pencha sur elle, écarta quelques morceaux de tissu et remarqua un vêtement à fleurs, incongru. Il le prit délicatement entre le pouce et l’index et découvrit un bermuda et à l’intérieur de celui-ci ce qui était indiscutablement un slip très sale. Il continua sa fouille et trouva deux autres bermudas.

— Kristof, tu as une idée sur les propriétaires de ces … choses ?

Le garagiste était tranquille, serein et vaguement goguenard.

— Pas du tout. C’est pas vraiment mon genre de fringues !

Suzoni avait oublié d’être bête, il se rappelait les silhouettes de la veille, le bruit de la canne et surtout connaissait l’esprit légion. S’il n’avait aucune chance de leur faire dire ce qu’ils n’avaient pas envie d’exprimer, il avait dès à présent une idée plus précise de ce qui avait pu se passer. Il était temps d’interroger les crétins de la veille ; il retourna à son bureau. Deux heures plus tard, il ressortait avec trois nouvelles dépositions : alors qu’ils étaient ivres, les coupables s’étaient lancé un pari stupide, ils traverseraient la ville à poil du nord au sud. Ils avaient oublié de mettre le frein à main de la voiture qui était tombée toute seule au fond du port. Ils s’engageaient à payer solidairement les frais d’enlèvement.

— Bon … vous trois … je ne sais pas si vous vous en rendez compte à quel point vous avez eu de la chance cette nuit. Il y a quelques années ce n’est pas la voiture qu’on aurait retrouvée dans le port. Alors en sortant vous allez payer pour la faire dégager puis vous allez sagement vous assoir, attendre le bus pour Ajaccio et vous prendrez le premier ferry pour le continent. Je vous ai apporté de quoi vous habiller, dit-il en leur tendant trois vieux pyjamas à rayures. Une dernière chose même si je pense qu’on vous l’a déjà dite : vous ne faites plus jamais parler de vous et ne revenez jamais en en Corse. Compris ?!

Ils acquiescèrent, tête baissée. Quelques minutes plus tard, ils sortaient, la mine déconfite, pour rejoindre la station de bus sous le regard surpris et amusé des habitants. Un groupe de collégiens rigolards les observa et leur lança un flux continu de quolibets jusqu’à l’arrivée du car.

*

Des semaines s’écoulaient ; le souvenir des instants maudits s’effaçait. Un soir qu’Axel était de garde à Raffali, Lyla peignait. On frappa à sa porte, elle ouvrit. Fernand était là, droit comme un I, gêné aussi.

— Tu me laisses entrer ?

Elle s’effaça, surprise. La visite du bistrotier était inattendue : à part son amant presque personne ne venait chez elle :

— Bien sûr.

— Tu sais : Axel va à Aubagne dans deux jours pour signer son engagement.

— Oui …

Elle observait l’homme, son visage tavelé, ses épaules puissantes et voutées, que la timidité inattendue rendait gauche : il semblait un ours à la fois dressé et innocent, dangereux et humain, qui restait debout et voulait lui transmettre un message qu’elle ne comprenait pas encore.

— Je suis très ennuyé …la Légion est étrange tu sais. J’ai téléphoné ce matin au général, j’ai demandé qu’Axel ne soit pas accepté.

—… Pourquoi ?

— Axel ne t’a sans doute pas parlé de sa famille, son grand père est mort à Monte Cassino, son père a été tué dans les Aurès, il ne les a pas connu mais on lui a toujours asséné qu’ils étaient des héros, sa mère l’a envoyé dès le plus jeune âge en internat, comme pupille de la nation. Lorsqu’est arrivé le temps du service militaire, il aurait pu facilement entrer comme élève officier, il n’est pas comme ça, il a choisi la voie la plus difficile et il s’est démontré qu’il était bon. L’armée a le culte de ses anciens ; son nom, des Abîmes, était connu. Lorsque son adjudant des paras lui a proposé ce poste d’instructeur dans la Légion, il savait qu’il accepterait et qu’il serait brillant. Il ne s’est pas trompé.

Fernand marqua une pose, prit une gorgée de bière, se releva et parcourut la petite pièce, s’arrêta, méditatif, devant des toiles en devenir, certaines à peine esquissées, d’autres plus abouties. Lyla attendait toujours sa réponse.

— Il serait un combattant magnifique mais il a l’âme trop tendre. Là où il lui faudrait la dureté du diamant, il a la fragilité du cristal. Il est venu chez nous bien souvent, Bao Chau et les enfants l’adorent, lui cherche la famille qu’il n’a jamais eue, il a un besoin d’affection que tu ne soupçonnes pas : il est pris entre son amour pour toi et son passé qui lui commande de s’engager. Pour lui ne pas être admis serait injuste, incompréhensible. Je vous regarde aussi, je ne sais pas si vous avez des projets ensemble, si c’est le cas, accepteras tu des absences bien longues, la vie que t’a décrite Bao Chau. Et lui, après ce qui t’est arrivé, ne pourra pas s’empêcher de penser à ce qui pourrait se passer en son absence.

— Mais toi, tu t’es marié ?

— J’avais presque quarante ans, j’avais de longues années de bons et loyaux services, j’ai acheté ce bar et j’ai pu m’occuper de ma femme et de mes enfants. C’était le bon moment pour le faire. Lui il est bien trop jeune, supportera-t-il d’être éloigné de toi pendant des mois, sans pouvoir te donner de nouvelles ou si peu, toi accepteras-tu cela ? Si comme je l’ai suggéré au général, il n’est pas accepté, il ne te dira rien, il sera au-delà de triste, il aura besoin de toi comme tu ne l’imagines pas alors quand il reviendra d’Aubagne, prends soin de lui.

Elle comprit la solennité du propos, de chaque sentiment contenu dans chaque phrase. Elle sut irrémédiablement qu’Axel était quelqu’un de bien : Fernand ne se serait déplacé s’il avait eu le moindre doute.

— Oui.

— Ne réponds pas trop vite. Quand je me suis enfui de Dien Bien Phu, j’ai couru sur les corps de mes camarades sans savoir s’ils étaient morts, j’ai tué avec mon fusil, égorgé à la baïonnette ou à mains nues. Accepteras-tu de partager la couche d’un homme qui ne te dira pas jusqu’où il a été pour vaincre, pour survivre ? Vous êtes trop jeunes pour aborder ces sujets. Tu as ta vie d’artiste devant toi : un critique pourrait utiliser sa plume, écrire que tu n’es que la femme d’un assassin ou avec plus de mépris, l’épouse d’un mercenaire. Sauras-tu te défendre ? l’accepteras-tu ?

Elle qui se pensait avare de ses larmes, les sentit à nouveau couler sur ses joues. Elle comprenait que si le vieux soldat était là, c’est parce qu’il l’aimait aussi, comme un père. Lyla s’approcha de lui, il l’enserra dans ses bras, elle recula enfin et lui posa un baiser sur chaque joue.

— Merci.

— Si tu le peux, ne lui dis pas que je suis venu. A bientôt Lyla.

Un quart d’heure plus tard son amant arrivait, il lui proposa d’aller dîner en ville, elle lui répondit que non, qu’elle préférait la douceur de ses bras. Cette nuit-là, ils firent l’amour avec une tendresse qu’ils ne se soupçonnaient pas jusqu’au petit matin, enlacés l’un à l’autre, sans presque parler, heureux.

*

Marcel Letestu était une légende vivante, un chef incontestable, incontesté, d’une bravoure telle que toutes les plus belles décorations lui avaient été décernées, un des rares officiers à avoir commandé assez longtemps la Légion pour qu’on l’identifie à elle. Le général regardait de la fenêtre de son bureau, Axel des Abîmes arriver en civil accompagné comme le voulait l’usage par deux soldats marchant au rythme lent de la Légion. Il pensait à la décision qu’il avait prise : il avait lu ce dossier attentivement, avait téléphoné à l’adjudant chef des paras qui un an plus tôt lui avait suggéré de le prendre comme instructeur pyrotechnique au pied levé, pari risqué et réussi, il avait écouté le colonel du deuxième REP. Tout paraissait simple : un soldat exceptionnel demandait à être incorporé dans le meilleur régiment du monde que même les anglais des Seals ou les espagnols de la Bandera admiraient. Et puis il avait fallu que Fernand Corbès l’appelle et … le doute était venu. Deux minutes plus tard, son ordonnance avait introduit Axel dans son bureau. Il se leva et s’approcha de lui, la main largement ouverte.

— Bonjour des Abymes, asseyez-vous. Je serai bref : vous avez demandé à être incorporé dans la Légion ?

La réponse coulait de source :

— Oui.

— Vous l’êtes sous plusieurs réserves.

— …

— Vous reprenez vos études ensuite vous serez détaché auprès de la DGSE, la Direction Générale des Services Extérieurs si vous préférez. Pendant ces trois ans d’école, vous suivrez tous les stages que la Légion vous proposera : ils seront choisis pour vous offrir le meilleur cursus. A l’issue de votre formation d’ingénieur et de vos périodes militaires vous deviendrez officier.

— Je préférerais …

Le général lui coupa la parole :

— Oui ou non ?

L’homme qui parlait était un chef né, si son ton était doux il était tout aussi impérieux.

— Oui.

—Bienvenue chez vous. Une invitation : rejoignez nous ce soir au mess des officiers, en civil.

*

Juillet s’achevait sous le flot habituel des vacanciers. Une affiche sur le bar de Fernand : fermeture exceptionnelle ce jour. Une majorité d’hommes, quelques couples ignoraient le message, traversaient le bar pour rejoindre l’arrière salle transformée en restaurant pendant la saison touristique. Lyla arriva. A l’entrée du bistrot, elle croisa Fernand, qui bavardait avec un inconnu.

—Ah te voilà ! Je te présente une figure de la ville : l’inspecteur Suzoni.

— Bonsoir mademoiselle, je suis ravi de vous rencontrer. Fernand ne m’avait pas menti : vous êtes d’une beauté lumineuse.

— Je vous remercie.

— Un simple conseil, la prochaine fois que vous allez chez le coiffeur précipitamment, passez d’abord au poste de police.

Son ton était bienveillant.

— Promis, je n’y manquerai pas. Voulez-vous vous joindre à nous ?

Fernand posa la main sur l’épaule du policier :

— Va chercher ta femme et reviens, tu n’as que des amis ici, il serait temps que tu les connaisses mieux.

Elle arriva dans la salle du restaurant, cheveux mi long soigneusement lissés, une longue robe drapée noire toute simple qui soulignait ses formes, son bassin, ses reins, dévoilait son long cou, ses bras fins ; la mue s’était faite entre la jeune fille détrempée entrée six mois plus tôt dans le bar et la femme sûre de sa beauté, qui émergeait au milieu d’eux. Les amis qu’elle s’était découverte, venaient à elle, échangeaient une bise. Axel arrivé plus tôt, après avoir échangé quelques mots avec le nouveau lieutenant balayait la salle des yeux, observait les petits groupes qui discutaient, ses amis qu’il quitterait à la fin de la semaine pour rejoindre Paris, il doutait retrouver un jour cette fratrie. Ce repas marquait son départ du 2ième REP et le signal d’une nouvelle vie dont il ne savait pas de quoi elle serait faite. Lyla émergea d’un groupe d’invités :

— Viens, viens. Tout le monde t’attend.

Elle lui tendit une coupe de champagne, lui prit la main et le tira jusqu’au fond de la salle dont le mur était couvert d’un drap blanc. Le nouveau lieutenant poupin, gauche, la mine sérieuse essayait de cacher sa timidité en lisant pour la douzième fois le menu, les aperçut. Il prit un couteau et tapa sur son verre.

— Mesdames, messieurs … comme vous le savez c’est ma première affectation dans la légion, je ne connais des Abîmes que par son nom et les légendes qui lui sont associées, j’ai commencé à rédiger quelques mots pour son départ et le général Letestu m’a contacté et m’a suggéré de limiter mon intervention à cette citation tirée du Gai Savoir de Nietsche : il faut de la rouille : être acéré ne suffit pas. Sinon on dira toujours de toi : « il est trop jeune » ! Je passe maintenant la parole à Wilfried.

Ce dernier était indiscutablement plus à l’aise.

— Après cette introduction qui osera encore dire que nous ne sommes que des ignares ! Axel en toute simplicité tu es l’un des meilleurs instructeurs que nous n’ayons jamais eu et pour ne rien gâcher, tu nous as fait connaître une jeune femme belle comme le jour, gentille et je vais arrêter là sinon certains vont me soupçonner d’être amoureux …

L’orateur marqua une pause.

— Bao Chau, Fernand, toute la section, nous avons voulu que tu puisses conserver le souvenir de cette année, et nous avons demandé à Lyla de nous aider.

Il fit tomber le drap, le silence se fit. Tous admiraient le tableau, la statue en pierre blonde d’un homme nu, allongé sur le flanc, son casque d’or au panache rouge, ses cnémides, sa lance, son épée et son bouclier gisaient à ses pieds, ses grands yeux verts et vivants observaient le monde avec bienveillance. La stèle qui portait le soldat était composée d’un unique bloc de marbre dont chaque face était ornée d’une grenade à sept mèches. Au premier regard le guerrier et sa stèle jaillissaient du fond du tableau, ensuite ceux qui contemplaient l’œuvre découvraient que la statue irradiait une lumière chaude : de minuscules grains dorés parsemaient la toile, leur densité forte en son centre diminuait jusqu’aux confins du tableau. Des applaudissements explosèrent dans la pièce.

— Comment as-tu rendu la lumière ?

— Tu n’as pas deviné … de simples grains de sable mon amour, que nous avons récoltés ensemble …Si tu le veux bien je signerai cette œuvre et les suivantes, Lyla des Abîmes …

Ils s’embrassèrent.

  • Ce texte me touche beaucoup. Passion ou non peu importe, il est porté par un fil conducteur invisible pour le lecteur, probablement.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Oiseaux gif 022

    chartreuse

  • J'ai été très surpris par le commentaire d.une personne sans doute pressée qui a du s'arrêter à la lecture de cet unique texte pour affirmer sans vraiment réfléchir que je me limitais à la passion. J'ai écrit ce texte avec beaucoup de plaisir pour un concours organisé par Harlequin, comme lorsque j'avais écrit la crevette malicieuse et la loi d'Erlang pour un concours organisé lui par issy les Moulinaux. Je pense que Les contraintes liées aux concours à thème impliquent une recherche d'originalité que j'apprécie

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Ddk9

    Dominique Deconinck

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