Illusions d'optique

same

Rumeurs, fake news, illusions ? Voilà comment débutent les histoires.

Victoire saisit son bâton et se mit en chemin. Elle quitta lentement la clairière pour s'enfoncer dans l'épaisseur de la forêt. Les aiguilles crissaient sous ses pas. Derrière elle, le site se rendait à la nuit. 

Victoire progressait dans les méandres du dédale formé par d'interminables rangées de sapins. Dans toutes les directions, des troncs dénudés se succédaient, leurs ombres acérées créaient au sol un quadrillage qui se jouait des perceptions. Si un intrus réussissait à pénétrer jusqu'à cet endroit reculé, sombre et humide, où la mousse poussait dans toutes les directions, il devait affronter une temporalité étrange : C'était à en perdre le nord, à en perdre la tête…

    Toutes les personnes, les plus téméraires, les chasseurs les plus braves, les porteurs de boussoles et de technologies se perdaient fatalement et passaient des nuits entières d'angoisse au sein de la plus fantastique des plantations de conifères. La forêt inspirait la crainte et ce depuis toujours. Que d'imprudents s'y étaient enfoncés et n'en étaient jamais revenus... Disait-on… D'autres, plus chanceux, parlaient à leur retour, avec confusion, d'un endroit maudit, hanté, habité par des sorciers immortels grands comme des géants… Les bavards, les arrogants, en revenaient déments marqués à jamais par le son de cloches qui, l'obscurité tombée, dévalaient les collines venant de nulle part ou d'une énigmatique église fantôme. Des lueurs fulgurantes éblouissaient, des plantes s'animaient, des bêtes hurlaient… C'était terrifiant.

    La rumeur se propagea comme une noisette prise dans une boule de neige du village voisin à la région tout entière et même à l'ensemble du pays si bien que la forêt alimentait les légendes et les superstitions. Personne n'osait remettre cela en question. Cela arrangeait-t-il Victoire ou Victoire s'arrangeait-t-elle pour cela ? Elle appréciait le qu'en dira-t-on à sa juste valeur. Les commérages allaient bon train depuis qu'elle était revenue s'y installer seule, à la mort de sa grand-mère… Personne ne savait rien des raisons de cette retraite. Tout pouvait alors être inventé des hypothèses les plus excentriques aux suppositions les plus folles, personne n'envisageait cependant que cette vie puisse être celle de son choix. Sa joie était suspecte, sa solitude aliénante, sa modestie impossible : cette femme n'était pas normale.

 Voilà comment Victoire perpétua la légende obscure de la forêt et la sienne, par-dessus le marché. Elle s'en donnait à cœur joie en s'abstenant de faire de faire quoi que ce soit. La forêt à l'abris du monde était d'une beauté sans pareille, sauvage, surnaturelle : les arbres n'y étaient pas exploités, les champignons jamais piétinés, les animaux nullement pourchassés, les ruisseaux point souillés et les pierres préservées... Peut-être était-ce pour cela que les villageois parlaient tant de Magie ? 

    

 

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