Ils ont tué mon frère!
chrisalexandra
Sa mission humanitaire en Afrique n’était pas terminée : un jour où finalement la compassion l’emporta, elle décida de partager la vie d’un exilé en France et par conséquent la couleur sombre de sa peau. Elle disait qu’elle allait de banlieues en banlieues, là où les sourires cachent la misère et qu’elle se « coltinait les contrôles policiers à répétition », c’était son expression, légèrement désinvolte pour tenter de dédramatiser. Et puis un jour, un jour où la pluie n’avait cessé de tomber, le téléphone sonna. Lui décrocha. Son visage se figea, ses yeux s’écarquillèrent : « Ils ont tué... » Il bredouillait, elle s’inquiéta pour sa fille essayant de comprendre qui était mort. « Ils l’ont tué. » répétait-il estomaqué. « Mais qui donc? » le pressait-elle « Ils ont tué, Edouard, Edouard est mort, ils ont tué mon frère! » Il s’effondra anéanti sur le canapé. Un long sanglot qui plus jamais ne le quitta enfla sa poitrine. Leur vie bascula ainsi de la souffrance à l’enfer.
Muselé par la peur, intimidé, il ne protesta pas, sa famille non plus : en France ils ne sont pas chez eux. Depuis ce jour, pétrifiés de douleur, hantés par l’injustice aveugle et raciste, ils ne dorment plus, voilà tout. Par contre, pour réclamer la lumière sur cette affaire et lutter contre le racisme et cette infamie, elle décida de témoigner devant les rares confrères journalistes qui ce sont intéressés à l’affaire : « C’était le 29 octobre 2001, Edouard, petit bonhomme noir sans histoire, déprimé depuis l’exil, revient d’une soirée passée au restaurant avec Louis son ami d’enfance. Contrôle policier de routine. Edouard bondit de la voiture en colère : « Huit fois dans la journée ! Vous croyez qu’on est tous des terroristes nous les Blacks? » Louis farfouille dans un sac posé à ses pieds pour trouver leurs papiers. Il relève la tête et éberlué, aperçoit Edouard menotté, une botte sur la nuque, le nez dans le caniveau, et aussitôt traîné comme un sac jusqu’au fourgon. Hurlement de sirène, démarrage… Louis, affolé, court en agitant les documents qu’on ne leur a même pas demandés... Pftt ! Eclipsés les policiers, comme des voleurs ! Edouard disparu en deux secondes !
Louis a cherché Edouard dans tous les commissariats du quartier, il était introuvable. Deux jours après il a reçu un coup de fil lui annonçant sa propre mort. Abasourdi, il rétorqua au policier : « Mais non je ne suis pas mort, je suis bien vivant !» en disant cela tout à coup une horrible idée lui traversa l’esprit : et si c’était Edouard ? Panique. Mon Dieu pourvu qu’il ne soit pas mort! Panique au commissariat…
C’était bien lui, notre grand frère… enregistré à la morgue sous le nom de son ami, un bandeau enroulé autour du crâne pour cacher des blessures inavouables…
Fernandez, commissaire de garde et accusé dans cette affaire est revenu le lendemain à la voiture pour chercher les papiers du mort. Sans doute n’était-il pas tout seul, remarque-telle amèrement. Il a forcé la portière, trouvé ceux de Louis et les a considérés comme ceux d’Edouard. Tous les mêmes ces nègres, mêmes visages de victimes faciles ! N’est-ce pas ? On sent une colère enfouie, mal dissimulée. « D’abord, Edouard a été enregistré sous un faux nom, reprend-elle émue, et, en plus, Fernandez a osé noter sur la ligne cause du décès : crise cardiaque! Ils ont voulu faire croire à une erreur. » N’y tenant plus, sa colère déborde soudain et elle se met à traiter injustement d’ivrognes et de sales racistes, en bloc, tous les policiers et en particulier, Fernandez, à qui elle s’adresse : «Ah, non, c’est pas du boulot ça mon poulet ! Le rapport des pompiers que j’ai obtenu après maintes démarches stipule : contusions aux poignets et à la tête, mort par asphyxie au gaz lacrymogène. T’en dis quoi Fernandez? Erreur?... Pfft! Bavure, oui ! Et pour aggraver l’injure, après des mois de lutte pour réclamer vérité et justice, la famille doit se contenter d’un non-lieu tandis que toi tu es rétrogradé en province. Trop maigre châtiment pour la France des Droits de l’Homme! Honte à toi Fernandez, l’assassin! »
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· Il y a environ 11 ans ·Anne Marie Astruc
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