Ils sont du soleil - Part I
Philippe Cuxac
En ces heures sombres où le monde tourne à l'envers, chamboulé par les crises climatiques, politiques, économiques qui s'accentuent, s'entrechoquent et les relations inter personnelles déshumanisées par le tamis des I-Phone et autres Facebook, il n'est certes pas de bon goût de déclarer tout de go à son voisin de palier : « Nous sommes du soleil ! ». C'est un coup à voir débarquer dans l'heure les charmants pingouins du Ministère de l'Intérieur qui se feront un plaisir d'éplucher dans le détail votre extrait de naissance.
Et pourtant, l'homo sapiens d'aujourd'hui a besoin, plus que jamais, de rêve et d'évasion pour panser ses plaies et mettre un peu d'espace et de folie dans son cœur. S'il est un groupe de rock qui, dès le début, a bien pris soin de se transformer en agence de voyages intergalactiques pour humains désœuvrés, c'est bien le groupe britannique Yes, qui a traversé les décennies contre vents et marées et trimballe encore sur les routes sa caravane mystique à défaut d'être toujours peace and love.
Des compositions stupéfiantes, une voix reconnaissable entre mille, des musiciens virtuoses, un logo et des pochettes inoubliables, Yes est bien l'un des derniers, sinon le dernier géant du rock progressif encore en activité.
Je vous propose de revisiter sans concessions l'histoire de ce groupe complexe, en long, en large… et surtout en travers.
1e acte : Sweet Dreams
L'aventure Yes démarre en 1968, Chris Squire, bassiste de son état et officiant au sein de The Syn, se lie d'amitié avec un jeune chanteur, Jon Anderson, dans un pub londonien jouxtant le fameux Marquee Club. C'était le repère de tous les musiciens qui passent en ville et viennent s'y abreuver avant et après les concerts. L'alchimie entre les 2 hommes naît très précisément à ce moment-là, après des discussions enflammées sur leur passion commune pour des formations comme Simon & Garfunkel. Ensemble, ils ébauchent quelques morceaux chez Squire et très vite, Chris rameute son ancien guitariste de The Syn, un certain Peter Banks. Un autre gars du quartier que le bassiste connaît bien est également convié, c'est Tony Kaye, pianiste de son état et spécialiste de l'orgue Hammond. Reste à trouver un batteur, une petite annonce dans Melody Maker et c'est Bill Bruford qui débarque. Le puzzle se met en place, l'Histoire avec un grand « H » peut commencer.
Yes (1969).
Enregistré au printemps 1969 à Londres, sorti chez Atlantic le 25 juillet 1969.
Line-up : Jon Anderson (chant), Peter Banks (guitares), Tony Kaye (claviers), Chris Squire (basse), Bill Bruford (batterie).
Premier album et déjà le groupe propose une musique aux ingrédients favorisant une alchimie dont seront issues les œuvres à venir. La voix de Jon Anderson immédiatement identifiable, la basse de Chris Squire, qui non contente d'être d'une efficacité rythmique hors pair, s'accommode parfaitement d'un rôle pleinement mélodique. Bill Bruford, à la frappe sèche et percutante, dévoile ce qui constituera plus tard chez King Crimson son indissoluble personnalité. Mais ce qui est immédiatement notable c'est la grande diversité d'inspiration du guitariste Peter Banks. Ce dernier est capable de jouer dans quasiment tous les registres, rock, jazz, psychédélisme. Il n'est que d'écouter le I See You des Byrds pour mesurer le talent déjà considérable du guitariste. Pourquoi Peter Banks est-il autant négligé quand la question est posée de savoir quels sont les guitaristes des années 60/70 qui auront marqué l'histoire du rock et de la pop ! Il y a là une injustice scandaleuse. N'oublions pas le travail essentiel de Tony Kaye aux claviers. Discret, mais assurant toutes ses parties instrumentales avec brio et un swing imperceptible à une oreille distraite, mais pourtant indispensable. Un autre fait remarquable est le talent des compositeurs pour élaborer des mélodies accrocheuses, sans parler de cette reprise époustouflante de l'Every Little Thing des Lennon/McCartney. Quant à Looking Around il aurait très bien pu se trouver sur le Yes Album. Bref un premier ouvrage dont on ne saurait se dispenser.
Time and a Word (1970).
Enregistré entre novembre 1969 et janvier 1970, sorti chez Atlantic le 24 juillet 1970.
Line-up : Jon Anderson (chant), Peter Banks (guitares), Tony Kaye (claviers), Chris Squire (basse), Bill Bruford (batterie).
Fallait oser toute de même, revisiter à la sauce symphonico-prog' le No Opportunity Necessary, No Experience Needed de Richie Havens. Même si à l'époque tout est encore qualifié de « pop music » et pas rangé dans les cases que l'on connaît aujourd'hui, le psychédélisme ambiant se fond doucement dans des effets de manche qui deviendront le rock progressif. Rick Wakeman n'a pas encore débarqué chez les Yes Men avec ses 3.872.498 claviers pompeux. Tony Kaye et Peter Banks sont encore là, Jon Anderson a déjà cette voix si particulière, Squire fait bien sûr ronfler sa Rickenbacker et Bill Bruford est maître en son domaine derrière son kit de batterie. Encore une reprise avec Everydays du folkeux Stephen Stills qui deviendra un de leurs titreq phare avant d'enchaîner avec les autres standards du groupe que sont Sweet Dreams ou Astral Traveller. Le format des titres est encore resserré et si vous avez eu des crises d'urticaire avec leurs opus suivants, je ne saurai que trop vous conseiller de vous plonger dans leurs deux premiers albums.