Ils sont du soleil - Part IV
Philippe Cuxac
Pour le groupe, il est grand temps de se poser les bonnes questions. Est-ce que finalement le choix des historiques du groupe de durcir le ton était une bonne option ? Nobody knows… Toujours est-il que Trevor Horn préfère arrêter les frais, quitte le groupe et recentre sa carrière sur la production. Chacun part très vite de son côté, c'est la mort du groupe. Yes n'existe plus, le quintet anglais qui a donné ses lettres de noblesse au progressif anglais n'est plus. La mode est passée, l'auditeur a besoin de formats plus « radio-friendly » et si le groupe a survécu au mouvement punk, la MTVisation des esprits de la jeunesse ne lui laisse guère de chances avec ses longs délires de 20 minutes. Steve Howe et Geoff Downes l'ont bien compris et montent Asia avec John Wetton à la basse et au chant et Carl Palmer derrière le kit de batterie. La pop prog' est née ! Squire et White, de leur côté, tentent une aventure avec Jimmy Page encore amoché par le crash de son Zeppelin. Aucune bande officielle de ce projet secret, nommé XYZ (pour Ex Yes Zeppelin !), ne verra le jour officiellement même quelques ébauches seront finalisées sur des albums de Yes à l'avenir. Squire, encore lui, refait parler de lui à Noël 81 avec le single Run with the Fox, qui se taillera un petit succès d'estime. En cette décennie naissante, le bassiste ne veut pas rester hors du coup et réfléchit à un nouveau projet. Il rappelle son compère Alan White et s'acoquine avec une figure montante chez les guitaristes, le Sud-Africain Trevor Rabin. Trevor Horn n'est pas très loin non plus de ce groupe qui porte le nom de code de Cinema. Échaudé par son rôle derrière le micro, il préfère se concentrer sur le travail de production tandis que Tony Kaye refait une apparition dans les studios. Quelques compos commencent à voir le jour, Chris Squire les fait écouter à Jon Anderson qui lui demande « Mais qu'attends tu de moi ? ». La réponse de Chris est limpide et sans équivoque : « Je veux que tu chantes ». Anderson se met à bosser sérieusement sur les textes et les mélodies, l'idée de départ étant de voir si ce nouvel attelage tient la route, peut sortir un bon album et partir en tournée. L'ironie du sort veut que Trevor Horn, le producteur du disque et chanteur honni sur l'album Drama retrouve Jon dans les studios. À sa grande surprise, Jon collabore avec lui sans le moindre problème. Évidemment, cette nouvelle mouture de Yes ne fonctionne pas au mieux : Trevor Rabin est obligé de réécrire toutes ses parties de lead guitar une fois que Jon a retravaillé sur les mélodies. Rabin, encore lui, ne trouve pas de terrain d'entente sur les parties de claviers avec le revenant Tony Kaye qui jette l'éponge, également consterné par le comportement dictatorial de Trevor Horn. Après avoir envisagé l'option Eddie Jobson (ça aurait eu de la gueule !), Tony donnera finalement son ok pour la tournée. Et voilà ! Le barnum Yes est de retour et cette fois, ce sont des kids qui achètent l'album.
90125 (1983).
Enregistré à Londres durant le printemps et l'été1983. Sorti le 14 novembre.
Line-up : Jon Anderson (chant), Trevor Rabin (guitares et claviers), Tony Kaye (claviers), Chris Squire (basse), Alan White (batterie).
Résurrection, album au succès planétaire, tournée gigantesque, Owner of a Lonely Heart en tête des charts et clip vidéo en boucle sur les écrans, Yes est de retour et frappe un grand coup. Jon Anderson est revenu au bercail. Ce qui ne signifie pas la fin des problèmes, bien au contraire, mais le groupe savoure un succès inespéré. L'album de leur grand retour est clairement orienté pour plaire au plus grand nombre, les titres sont resserrés, taillés pour la radio et expurgés des scories trop progressives pour être vendeuses. Le groupe a tout simplement mis son talent mélodique et sa science de la complexité rythmique et harmonique au service de titres résolument ancrés dans leur époque. Et l'apport de sang neuf, en la personne de Trevor Rabin qui remplace Steve Howe parti chez Asia (pour faire un énorme carton !), rebooste le vieux dinosaure. En effet, son jeu de guitare aux antipodes de son prédécesseur est résolument plus hard et entraîne le groupe vers des contrées encore inexplorées. Leur nouvel album démarre avec l'immense tube Owner of a Lonely Heart au riff imparable (que Rabin aurait trouvé lors d'une pause technique aux toilettes du studio) qui fera un tabac partout dans le monde, en heavy rotation à la radio, à la TV et dans les boîtes de nuit. S'ensuivront d'autres succès, It Can Happen, Changes (chanté par Trevor Rabin) et Leave It se verront exposés d'une façon tout à fait inédite pour le groupe qui n'avait jamais connu un tel succès commercial. Seul le titre de fin, Hearts, plus progressif dans sa construction rappellera le passé du quintet. Dans la foulée de cette tournée au succès monstrueux, le groupe sort un album live, 9012Live : The Solos, renié par Jon Anderson et qui contient des extraits de concerts avec performance solo des instrumentistes et des versions malheureusement peu convaincantes d'autres titres de 90125 !
Big Generator (1987)
Enregistré en Angleterre, aux USA et en Italie entre la fin 1985 et le printemps 1987. Sorti chez Atco le 28 septembre.
Line-up : Jon Anderson (chant), Trevor Rabin (guitares et claviers), Tony Kaye (claviers), Chris Squire (basse), Alan White (batterie).
Il aura fallu quatre longues années à Yes pour proposer une suite à 90125. De nombreux problèmes avec Trevor Rabin, qui prend de plus en plus de pouvoir, épuisent le groupe et la production. Soyons clairs, si Drama avait été considéré comme mauvais et s'était attiré les foudres des fans et de la presse, celui-ci sera à nouveau détesté et rejeté avec force. Le groupe ne sait pas renouveler l'exploit du précédent opus et propose ici un rock FM mâtiné de hard tout bonnement imbuvable. Seuls Shoot High, Aim Low et Love Will Find a Way évitent le naufrage total tandis que le final Holy Lamb, compo d'Anderson à 100% permet une belle conclusion. Le chanteur est terriblement amer de la tournure choisie par le groupe et de l'ascendant pris par Rabin, il décide à nouveau de partir. Clap de fin !
Peu après la débandade de la fin de tournée, Jon Anderson s'échappe afin de se ressourcer sur l'île grecque d'Hydra et travaille déjà sur de nouveaux titres qu'il imagine bien figurer sur un album solo. Par le plus grand des hasards évidemment, lui qui voulait revenir à une formule plus « classique » de Yes teste ses nouveaux titres avec Bill Bruford, Steve Howe et Rick Wakeman. Le quatuor déborde d'idées, Steve Howe propose des motifs qui plaisent beaucoup à Jon, Rick, à deux doigts de renfiler la cape dorée rêve déjà de faire dégouliner ses claviers sur une face entière d'un quadruple album. Et c'est sans compter sur Bill Bruford, tout excité avec sa nouvelle batterie électronique qui sort de son chapeau son compère Tony Levin, le bassiste géant - maître du stick - lui aussi venant de King Crimson. Le groupe se met au travail, s'envole pour Paris fin 1988, étoffe le son avec deux nouveaux musiciens, Matt Clifford aux claviers, vieille connaissance de Steve, ainsi que Milton McDonald à la guitare. Début 1989, la caravane s'envole pour Monsterrat en vue de terminer le job sous le soleil des Antilles. Voilà, l'album est dans la boîte, ne reste jusque que 2 ou 3 détails mineurs à régler, la pochette et, mais bon sang mais c'est bien sûr, le nom du groupe. Pour le design, Jon contacte immédiatement Roger Dean, illustrateur mythique des albums de la grande époque. En ce qui concerne le nom, évidemment c'est un tout petit peu plus compliqué. Depuis l'album 90125, un deal fumeux précise que c'est Squire et Rabin qui détiennent le nom Yes. Après avoir envisagé un moment de s'appeler No, le groupe opte pour la dénomination Anderson-Bruford-Wakeman-Howe (ABWH). La folie des grandeurs est de retour et Jon Anderson mandate Roger Dean pour s'occuper également de la scénographie. Comme le relate le chanteur « Nos chansons sont avant tout des morceaux de scène et doivent s'inscrire dans un show global pour prendre leur vraie dimension ». La nouvelle tournée s'appellera « An Evening of Yes Music Plus ». Anderson, qui laisse tomber le masque de l'ange mystique pour ouvrir grande la gueule du requin à qui on ne la fait plus, en rajoute dans la provocation en clamant à qui veut l'entendre que « ceux qui se nomment Yes aujourd'hui sortent un disque et les fans jugeront qui doit porter ce nom ». Genre p'tite frappe qu'on imagine du coup un peu moins extatique en train de chanter Soon Oh soon the light etc. Bizness is bizness ! La tournée à venir mêlera donc effectivement anciens et nouveaux titres, chaque musicien participant à l'élaboration de la setlist, Jon veut absolument que Close to the Edge refasse surface, Bill Bruford insiste pour jouer Heart of the Sunrise, Steve ne cédera rien pour And You And I, quant à Rick Wakeman, un petit Starship Trooper lui ira très bien, titre qui, du reste, déchaînera les foules. Time and a Word et Roundabout feront également partie du show, servi par de décors et des lights hallucinants. Le grand barnum Yes, ou quelque soit le nom qu'il porte est de retour. Jon Anderson, toujours féru de New-Age passe la tournée dans une loge transformée en tipi indien. Les avocats auront beau s'écharper devant les cours de justice, c'est bien Yes qui est sur la route même si, évidemment, on peut amèrement regretter l'absence énorme d'un mec comme Chris Squire, irremplaçable avec sa Rickenbacker, et ce malgré l'immense talent de Tony Levin, pas au mieux pendant ce tour puisqu'il souffre d'hépatite. Aux mauvaises langues qui insinuent que cette tournée n'a d'autre objectif que le fric, laissons le mot de la fin au grand manitou des synthés, Rick Wakeman, un peu idéaliste ou carrément hypocrite : « Oui nous sommes riches depuis longtemps. Croyez-vous que les Stones ou McCartney tournent pour l'argent ? Ils en ont tellement qu'ils ne savent plus comment le dépenser ! L'argent on s'en tape, on est là parce qu'on ne sait rien faire d'autre et ça nous le devons à nous-mêmes et à nos fans ». D'accord Rick, mais à la fin des années 80, ce que vous savez faire… vous le faites comment exactement ?
Anderson-Bruford-Wakeman-Howe (1989).
Enregistré en France et aux Antilles entre fin 1988 et début 1989. Sorti chez Arista en juin 1989.
Line-up : Jon Anderson (chant), Steve Howe (guitares), Rick Wakeman (claviers), Bill Bruford (batterie), Tony Levin (basse), Milton McDonald (guitares), Matt Cliffort (claviers).
Si l'idée de depart de Jon est de renouer avec le Yes mythique des early years, force est d'admettre que l'écoute de ce nouvel album peut laisser perplexe. Tout d'abord, le batteur Bill Bruford fait une utilisation (trop) intensive de la batterie électronique, ce qui ne sied pas au rock progressif planant. Rick Wakeman, quant à lui, semble avoir carte blanche et noie tous les titres sous des nappes de claviers millésimés années 80 pas toujours du meilleur goût. Si Anderson a toujours la voix au sommet, Steve Howe est bien discret sur ce nouvel opus dont les titres sont parfois ponctués de chœurs féminins. Les 9 parties qui composent l'album ne resteront certainement dans le panthéon du groupe qui cède souvent à la facilité, en témoigne le zouk Teakbois… oui j'ai bien dit un zouk ! Gageons que ce titre leur a été inspiré par le séjour à Monsterrat et nous passerons sans commentaires sur cette infamie. Pour le reste, ABWH parvient de temps à autre à tutoyer les anges comme sur les titres Brother of Mine ou Birthright et offre de vrais moments de grâce Andersonienne sur The Meeting ou Let's Pretend. Pour le reste, forget it. Il faudra attendre fin 1993 pour qu'un témoignage live de cette tournée soit commercialisé. Même si le tracklisting fait la part belle aux anciennes pièces, on sent bien qu'une partie de la magie s'est évanouie, la basse de Squire se fait cruellement sentir, les morceaux sont interprétés assez froidement, en témoigne leur version de Close to the Edge, exécutée mécaniquement et qui ne trompe pas l'auditeur, incapable d'accéder aux territoires bien connus du rêve et du fantastique.
Pendant ce temps là, du côté de Chris Squire et de Trevor Rabin, le moral n'est pas au top. Même si le duo travaille d'arrache-pied sur de nouvelles compositions, ils sont assommés par le rouleau compresseur ABWH et peinent à trouver un vocaliste apte à jouer leur répertoire (même Roger Hodgson, ex Supertramp, sera un temps envisagé). Rabin hésite à poursuivre son investissement, mais Billy Sherwood, musicien expérimenté ayant travaillé avec Toto ou Motörhead est recruté. De leur côté, ABWH s'attelle à l'écriture d'un second album, mais Arista, leur nouvelle maison de disques, refuse leurs premières ébauches. Coup de tonnerre ! Le management exhorte Anderson et sa bande à travailler durement et ne pas hésiter à faire appel à d'autres musiciens / compositeurs. Et quelle n'est pas la surprise de Trevor Rabin de recevoir un appel téléphonique de Jon lui-même qui lui demande de venir travailler sur quelques idées en cours de développement. Rabin refuse dans un premier temps, arguant de problèmes d'emploi du temps mais trouvant surtout l'initiative totalement saugrenue. Mais les maisons de disques ne sont pas là pour passer leur temps à gérer des caprices de stars et, flairant la bonne affaire, les deux parties sont instamment priées de ravaler leurs égos et de se mettre autour d'une table et l'impensable devient réalité. Suite à de nombreuses discussions serrées sur le rôle de chacun, Yes refait surface avec cette fois tous les musiciens présents et passés (sauf Patrick Moraz jamais convié aux festivités). C'est l'union, qui à défaut d'être sacrée, remplira le porte-monnaie déjà bien garni des musiciens, des managers et des avocats. Que voulez-vous, on sait bien qu'il y a quelque chose de pourri au royaume du rock'n'roll ! Et pour faire mentir ce que disait Wakeman à l'époque d'ABWH, Bruford beaucoup plus sincère n'hésite pas à dire que ce nouveau projet se fait juste pour le fric, point barre. Du reste, le clavier à cape n'est pas particulièrement convaincu par cette réunion de famille, il clame à qui veut l'entendre que l'album est nul et qu'il aurait fallu tout reprendre à zéro au lieu de vite vouloir faire un disque et monter une tournée. Le groupe rentre en studio, l'ambiance redevient vite infernale mais l'album Union voit finalement le jour au printemps 1991. Démarre alors une série de concerts qui, comme d'habitude, fait salle comble avec shows interminables et solos plein de virtuosité vaine de chaque musicien. Très peu de titres du nouvel opus sont défendus sur scène, le cirque Yes préférant capitaliser sur les standards.
Union (1991).
Enregistré entre 1989 et 1991. Sorti chez Arista en avril 1991.
Line-up : Jon Anderson (chant), Steve Howe (guitares), Trevor Rabin (guitares), Rick Wakeman (claviers), Tony Kaye (claviers), Bill Bruford (batterie), Alan White (batterie), Chris Squire (basse), Tony Levin (basse), Billy Sherwood (basse, guitare, claviers) et une multitude d'intervenants divers.
N'y allons pas par 4 chemins. Vous voulez écouter le pire du pire de Yes ? Alors jetez vous dans ce trop long album de 14 morceaux sans grande cohérence et, pire, manquant totalement de la plus infime part d'inspiration et d'âme qui jusque-là faisait la magie du groupe. Malgré l'union racoleuse et les dizaines de musiciens qui vont, à un titre ou un autre, poser leurs notes sur ce LP, la production est désastreuse et l'ambiance en studio est absolument détestable. Le producteur, Jonathan Elias, est incapable de canaliser ces fortes personnalités et le produit fini est renié par certains musiciens du groupe, Wakeman et Bruford en tête de gondole pour saper le service après-vente. Globalement, aucune chanson ne sort du lot, on dirait des chutes de 90125 jouées par un groupe de pop 90's comme il en fleurit tant en ce début de décennie qui se cherche encore avant que le grunge ne vienne tout balayer.