Impulsions...( 610 )
Jean Marc Frelier
La Horde d'or...( seizième mouvement )
Le phrasé devra commencer
dans une amplitude soutenue
mais en aucun cas
sur un mode éthéré ou naïf
par une sorte d'évidence
qui s'installe sans heurter
comme une scène se découvre
peu à peu un rideau amovible
le propos recherché
n'étant pas de choquer
ni de surprendre
mais d'entrer simplement
au plus doux d'un climat
délesté du moindre effet défini
comme attendant quelque part
près d'une porte incapable de savoir avec précision
si elle vient de nous congédier fermement
ou au contraire si elle promet
de s'ouvrir devant notre présence imprévue
le phrasé devra commencer
dans l'instant flottant
où point l'énigme
sans s'attarder sur le cadre qui la contient
ni les émotions multiples
qu'elle pourrait provoquer
à l'instar de ce jour voulu exceptionnel
où nous voguions aveugles vers tel amour décisif
jour sans cesse réécrit par nos mille et un visages
et nos mille et une facettes
il est si important que rien ne se fige
pour nous rendre supportable
ce qui survient toujours
sachant évidemment
parce qu'il faut être honnête envers soi-même
que parfois aussi les volcans pleurent
alors cordes entrantes à l'arrière des hautbois
en lieu et place de choisir
une quelconque direction émotionnelle
l'intensité les empruntera toutes en même temps
comme si elles n'en faisaient qu'une et une seule
à la manière de l'oeil qui s'élève
en progression verticale d'une paroi
dont l'ouverture angulaire
offre à embrasser l'horizon tout entier :
“ Aux gorges noueuses d'Alcantara
nous irons jouer le feu de nos musiques
marchant unis le long du volcan froid
vers le frisson des orgues basaltiques
le sentier sculpté de ravinements
creusera pour nous le lit de nos liens
sous le tambour de nos essoufflements
pulsés dans l'air chaud du soir sicilien
un rien surpris par le mordant glacé
des eaux trop basses acrobates et revêches
nos mains saisies tels des ponts enlacés
s'étendront presque au pied des berges sèches
et dessous l'arche de l'aube à venir
nos lèvres en crue tremblantes et violettes
s'empresseront fort jusqu'à en rougir
d'enflammer l'oeil des murailles indiscrètes
aux gorges noueuses d'Alcantara
affranchies de leur torpeur galactique
par le tempo encordé de nos bras
voudront valser les étoiles impudiques.”
Alors fête-moi l'amour
au plus haut d'une idée
pour un temps
animale
sans noblesse excessive
ni misère efflanquée
que les corps aient des âmes
qu'ils soient vides et perdants
fête-moi l'amour
jusqu'aux ventres des nuits
que le soleil tombé
préfigure les suivants
sous les vagues assassines
sous les haines insatiables
que le ciel y réponde
qu'il se taise échaudé
que nos mains se supplient
qu'elles s'affrontent à tout va
encore plus aujourd'hui
fête-moi l'amour
contre vents et marées
Arrête le temps
suspends l'écrire
tiens tout l'espace
dans une apnée
la main glissante
à même ce doux
des soies salées
de bas du dos
n'entends-tu pas
sa folle attente
bouche animée
pressant la tienne
hors tout parler
qui se devine
n'entends-tu pas
ses reins qui dansent
l'humide aux lèvres
la houle aux hanches
tout ce chavirement
de muscs pleins
qui dans l'instant
t'animalisent
respire elle t'aime !
respire elle t'aime !
par l'écriture
du monde
par le mot végétal
et le verbe des roches
par les crinières bavardes
et la suie des moussons
par ce qui n'a pas d'âge
et reste sans raisons
entre vous toutes les heures auront faim
vos langues aimantées
plus agiles que des pieuvres
répandront leurs ivresses
de saveurs en relais
sans qu'aucune parcelle d'épiderme
ni membrane accessible
trouve motif à se plaindre
vous vous connaîtrez d'ongles en ongles
de soupirs en pupilles
jusqu'aux cimes de l'intense
nuit et jour signifiants
Dans votre périmètre immédiat
ce qui semblait piétiner paraîtra se mouvoir
de facto la philosophie
jamais en manque de partage
proclamera à votre intention
une trêve des échéances
bon D.(dieu) il ne manquerait plus
que ce limon sanguin des horreurs
vienne éclabousser ce qu'il existe
de plus pur entre deux êtres
forts de cette impunité
vous aurez presque tous les droits
dans un présent qui n'en respecte aucun
et la lumière galvaudée
en prendra acte à sa façon
par ses cheminements mystérieux
dont le tracé remonte aux arbres
Hum...sentir ta peau pour oxygène
ne pouvoir vivre qu'à son contact
tenir tes yeux pour des chenaux
Dès leurs premiers clins
verser à l'estuaire de ton cou
“ lipper “ les sucs de tes nids d'aisselles
pleurer de l'intérieur
des sortes de saucées d'été
me synchroniser aux balanciers de tes nages
croître et m'abonnir
dans chacun de tes mots fluides
à longueur d'années
devenir ton meilleur instant...
Oui.....qu'elle m'accorde
sur le long cours un tant soit peu
de cette grâce dont elle abonde...
comme à soleil touchant
la portée d'un haut signe
une rondeur chaleureuse
qui sans voix sans volume
arrondit tous les angles
et permet d'espérer
havre lien nourriture
majesté sans paraître
tout à l'inverse des méfiances
presque Eden au moins halte
sur le chemin sans poussière
purifié des eaux vierges
délivrées de leurs glaces
si longtemps retenues
d'emblée coeur qui s'entête
être fort de nouveau
bien meilleur que jamais
au sillon de sa voile
perpétuelle à s'emplir
pour s'unir à ce monde
sans douter de personne
ni présumer du mal
qu'il pourrait engendrer...
Ô ma horde d'or
qui n'a d'arme
que le ciel exalté
étendu comme un dais
j'énumère au miroir défilant
ils je vous toi et nous eux et elles
identiques en tout point
prêts ensemble
à revenir enfin là où nous ne sommes jamais allés
en bordure d'une lagune évanouie
de brouillard aux pâles mèches en hélice
souvenir probable d'une imagination fertile
qui persiste à volter autour d'un grand vague hyperphage
je vais
j'allais
j'irai toquer aux huis de tous les chas béants
en porteur inconnu d'une question rien que mienne
est-ce bien toi l'âme égale
la liseuse et le front
toute la mer qui s'endort le fermoir de mes yeux
la salive étoilée dont l'écume se nourrit
le mot d'ange instinctif au sillage émouvant
l'empreinte éphémère qu'aucune force n'altère
est-ce bien toi que chaque rue désoeuvrée dissimule
et chaque printemps ribambelle cache encore
ou seulement l'artifice insidieux
d'une magie supérieure aux illusions tenaces
qui à peine te laisse entrevoir
qu'elle te fait aussitôt disparaître
Ne voulait-il pas lui offrir l'amour foudroyant
celui qui la conduirait entre rires et larmes
entre chair et âme
celui seul qui fusionne les êtres
et authentiquement les sublime
cela lui prit des années pour y parvenir
des années d'abnégation qu'il savait en valoir la peine
des années passées à marier
l'espace infini l'Océan profond la terre généreuse
à la hauteur de l'intensité de son sentiment
des années entières
vouées à la réalisation de son chef-d'oeuvre
sans se consacrer à rien d'autre
qu'elle comprenne et ressente enfin
la vibration absolue qui le portait et l'animait
le jour fatidique arriva où il lui tendit très ému
la plus banale des roses ébènes en apparence
qu'elle accueillit tout juste poliment
je l'ai faite pour vous lui dit-il
elle est vraiment splendide lui répondit-elle
il ne s'agit pas d'une simple rose je l'ai baptisée : Galaxie...
parce qu'elle est unique en son genre
en quoi peut-elle être si différente des autres
permettez-moi de vous le montrer
la fleur trônait dans son vase à-demi rempli
sur la table du salon
main tremblante il éteignit la lumière
et l'impensable s'accomplit
sous l'effet des boutures de corail
elle s'était transformée en constellation fluorescente
suspendue au beau milieu de la pièce
son amour pleurait de rire à ses côtés
il lui murmura à l'oreille tout aussi bouleversé :
ni ne fane...ni ne meurt
Ô notre enfant endormi
ne t'imagine pas rêver
d'autre chose
que de sa frimousse entrevue
de sa mignonne élégance
qui te suit jusque dans ton sommeil
à te rendre chaque matin nouveau
le coeur toujours plus aérien
et le miroir davantage exigeant
Ô notre enfant réveillé
volubile à son manque
si pressé de la rejoindre
pour partager les secrets intimes
de vos mondes échangés
inséparablement purs
sans que s'immisce entre vous adorables
le moindre petit nuage
vous deux perchés au sommet du ressentir
de tout ce que nous-mêmes oublions
Vaillante tête pelotonnée
sur le banc de fatigue
de mon genou fléchi
s'élève en moi lointain écho
d'un chant d'enfance qui se souvient
sans mots précis
des mers fragiles où le temps cogne
et l'eau s'inquiète
une vie entière pour vaincre à deux à trois ou plus
ce que la nuit forme et présage
Ô mon amour de feuille et paille
nageur sans souffle aux yeux marins
je t'ai vu naître et jouer des coudes
à l'heure orange
glisser des flots
huilés carmins
ne souris pas petit blé vert de tendre pousse
je ne vais pas te demander
d'ici trahir tous les secrets
qui t'enhardissent en sa présence
auxquels nul père digne de ce nom
ne devrait avoir accès
Maintenant que mon déclin commence
que la longueur exagérée des parties précédentes
nous assure à tous les deux d'avoir semé en route
les oreilles les mieux accrochées
au fil de nébuleuses épaisses patiemment délivrées
afin de les dissuader de nous suivre
jusqu'où nous devions nous rendre uniquement l'un et l'autre
je vais pouvoir partager avec toi
le véritable secret des lumières
dont il est théoriquement impossible
de s'emparer sans risquer la brûlure le brasier ou l'enfer
plus près...approche on ne sait jamais
qui d'assez fou encore
pourrait se trouver là par hasard...
chuuutt...( murmure ) apprends mon enfant ...chuuutt...
que les ailes icariennes
ne se portent pas sur le dos...chuuutt...
.../...
jean-marc frelier 15/09/2017 (ev)
“ à ciel ouvert “
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Dédicace : M. Ivan Tourgueniev