Intérieur, femme en bleu fouillant dans une armoire. Quand la conscience s’amène.

Laura Vernier

Une prise de conscience. Intérieur et extérieur.


Et voilà, je suis là, une fois de plus, là, où je conserve mes idées.


J’étais une femme du genre cérébral. M’interdisant d’avoir un corps, je me donnais l’illusion de mieux penser. Ma robe de chambre bleue était ma camisole. Fleur bleue, j’étais faite de concepts ; eux-mêmes issus des nombreux livres rangés si précieusement. Une voie lactée ! En bas de l’étagère, on peut encore y trouver «Ces gens qui vous empoisonnent l’existence» ; là, tout en haut, «le guerrier pacifique» et sur le rayon intermédiaire «le principe du petit pingouin». Autant de lectures, toutes aussi variées, pour décrypter les cent mille facettes de l’être humain.

L’extérieur a fini par me déstabiliser. Il fallait y faire sa place, se battre pour exister. Eux, mes bouquins, ils en ont de la chance ; c’est moi qui leur trouve une place. Et je commence à ne plus trop en avoir, de place, de chance non plus… Les autres voulaient m’imposer leurs conceptions. D’abord, il faut savoir qui l’on est, après on peut les écouter ! La tête dans l’armoire, j’ai cherché dans mes lectures mon mode d’emploi. Une véritable enquête ! J’y ai découvert des qualités et des défauts. J’ai renforcé ma personnalité. Seules les idées positives étaient retenues. Seule, j’ai créé l’armure de mon être face à la dureté des désillusions de ces illusions censées me préserver.

Ces livres vont-ils finir par me sauver ? Souvent prise au piège de mes pensées ou plutôt de ces penseurs, je pensais devenir moi-même en empruntant les pensées des autres. Quelle imposture! Minutieusement, j’ingurgitais et régurgitais ces mets littéraires. Je n’écoutais plus personne ; il n’y avait plus personne pour m’écouter. La solitude était devenue ma clef.

Peu à peu ces livres finissent par me rendre ivre. Je suis saoulée par tant de discours coupés de la réalité. Mon corps n’est plus habité, ma liberté est confisquée par ma robe de chambre bleue, cette armoire et tout son contenant. Avec l’illusion de penser à ma manière, j’ai fini par être manipulée ! Les idées piochées à droite à gauche m’ont fait me perdre dans la signalétique… Comme la confusion entre le rêve et la réalité, le soi et le non-soi. L’expérience pourrait peut-être m’apporter ce dont j’ai besoin.

Il fait sombre dans une armoire. La pièce est claire, elle m’éclaire. Faut-il encore que je puisse voir la lumière ; faut-il encore que je puisse me retourner. Se retourner, pas forcement sur le passé, simplement sur soi-même. Un demi-tour, un quart, suffirait à vriller, changer de perspective, ouvrir son horizon…


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