Intérieur ou femme en bleu fouillant dans une armoire. L'armoire.
Fanny Finet
Le dimanche matin, j’aime bien aller rejoindre maman dans son lit, il n’y a pas école, je peux me rendormir auprès d’elle dans le lit chaud, sous la lourde couette. Son souffle frôle mes oreilles et ça me chatouille. J’entortille mes jambes dans sa grande chemise de nuit bleue, comme ça, j’ai plus chaud encore.
Ma maman est une femme très tendre, très aimante. Elle n’a que moi et je n’ai qu’elle alors on s’aime à l’infini, les bras ouverts, sans limites. A l’école, je le dis à toutes mes copines, que ma maman c’est la meilleure du monde. Elle ne partage aucun bisou avec personne d’autre. Et pour ça, je suis contente de ne pas avoir de papa.
Avant, mes copines n’arrêtaient pas de me demander où était mon papa. Alors j’en ai discuté avec maman, et elle me l’a bien dit, il n’a jamais existé. Parfois, on peut faire un enfant toute seule, sans personne, mais ce n’est pas possible pour tout le monde alors je ne dois pas le répéter. Vous ne lui direz pas que je vous l’ai dit, hein ?
J’ai de la chance, je peux tout lui demander à maman. Elle me raconte des choses très importantes et parfois compliquées mais elle me dit que je peux comprendre alors, le soir, j’y repense. Ça tourne dans ma tête jusqu’à temps que ses réponses soient claires comme de l’eau de roche.
Mais parfois, depuis quelques temps, j’ai peur. J’ai peur quand je suis toute seule avec maman et qu’elle s’arrête tout à coup, comme ça, sans prévenir, comme un jouet cassé. Là, elle s’est levée et s’est dirigée vers l’armoire. Je lui ai dit « Maman, qu’est-ce que tu fais ? Tu veux plus dormir ? Il est tôt encore ». Elle ne m’a rien répondu et j’ai eu de nouveau cette drôle de sensation dans le ventre, ça se tordait un peu, et puis j’avais chaud mais un long frisson a parcouru mon échine et mon corps entier a tremblé, comme cette autre fois…
Je ne voulais pas y croire alors j’ai répété : « Allez maman, reviens s’il te plaît, j’ai froid sans toi ».
Elle a juste dodeliné de la tête, de manière étrange, presqu’au ralenti. Je n’ai pas osé me lever pour aller la voir. J’avais une envie irrépressible de pleurer. Je ne voulais pas qu’elle l’entende. J’espérais encore qu’elle allait se retourner et me sourire. Mais, les bras ballants, la tête à deux centimètres des livres de l’armoire, elle ne bougeait plus.
Je me demandais si elle pensait encore, si l’on pouvait être morte et respirer quand même.
Ce que je pensais ce matin-là ? Plus rien. Au début j’étais crispée dans le lit. Je sentais mes idées s’évanouir dans un gouffre sans fond. Élise me regardait avec ses grands yeux noirs, elle avait besoin de ma présence pour se rendormir et faire de beaux rêves. Mais j’avais la tête qui tournait, des sueurs froides, un mal de tête effroyable. Et puis, tout à coup, je n’étais plus sûre de qui j’étais et si Élise était vraiment ma fille. J’ai fermé les yeux de toutes mes forces, j’essayais de rembobiner le fil de l’histoire mais tout se brouillait. Je n’arrivais plus à me rappeler le jour de sa naissance.
Et là, ça a recommencé. Comme la dernière fois : mais qu’est-ce que je fais là ? « Maman, maman » elle m’appelle « maman"… mais où est ma mère à moi ? Pourquoi elle n’appelle jamais. Et si quelqu’un l’avait fait taire ?
Et cette chambre, elle me semblait différente maintenant. Cette armoire là-bas n’était plus comme d’habitude. La porte s’enclenchait parfaitement alors que cela faisait des années que le bois avait gonflé avec l’humidité et qu’elle ne fermait plus, la peinture était différente comme si on l’avait remplacée. Il fallait que je me lève, que je vérifie ce qu’il y avait dedans, je savais exactement les ouvrages que j’avais rangés ici. Je voulais tout sortir, tout vérifier pour trouver la vérité. Qu’avait-on voulu cacher dans cette armoire ?
J’essayais de me calmer, de fermer les yeux, de me rendormir, je sentais bien qu’Élise ne devait pas voir cela. C’était plus fort que moi, je savais que quelque chose ne tournait pas rond.
Quoi ? Non, ça fait un moment que j’ai découvert que je suis plus lucide, je vous l’ai dit déjà. On m’en veut.
On m’en voulait. Alors si je parvenais à me lever, doucement, à aller vers cette armoire et à l’ouvrir, j’allais savoir. Ce que j'ai fait mais ça n'a pas suffi. Élise ne voulait pas coopérer, elle n’arrêtait pas de répéter « Maman, tu me fais peur ». J’aurais bien voulu lui dire que moi aussi , j’avais peur et que je ressentais en moi qu’on voulait nous manipuler . Il fallait que j’arrête de penser. Sinon ils allaient infiltrer mon cerveau et agir sur nous. Plus un souffle, plus un geste.
J’ai entendu sangloter dans mon dos. Je me disais qu’il faudrait que je dise à Élise qu’elle devait résister et ne pas se laisser avoir. Sinon ils allaient pénétrer dans son esprit et c’était foutu.
J’ai finalement pris mon courage à deux mains et je l’ai rejointe, avec précaution. Je savais qu’il ne fallait pas la brusquer sinon… enfin, je dis ça par rapport à la dernière fois.
Alors je lui ai pris la main doucement. J’ai été choquée car ses doigts étaient très froids. Elle m’a regardée mais son regard était vide. Puis elle a dit quelques mots mais je n’ai pas bien compris. Elle a parlé de gens malfaisants qui entendaient ce qu’on pensait et qui s’en servaient contre nous. Je comprenais que c’était quelque chose de grave mais moi je voulais juste retourner dans le lit avec elle et qu’on se rendorme en oubliant tout ça.
Élise avait raison. Il ne fallait pas en parler maintenant. Il fallait que je me concentre sur autre chose. Je lui ai proposé de descendre pour préparer le petit déjeuner.
J’adore quand maman prépare le petit déjeuner le dimanche. On mange pleins de choses, des croissants, des œufs brouillés, et on boit du chocolat chaud. Elle allait mieux quand nous sommes descendues. Je le sais car elle souriait. Je me suis mise dans le canapé devant la télé.
C’est en faisant les œufs brouillés que j’ai compris ce qu’il se passait. J’entendais les phrases du dessin animé, ce n’était que de la manipulation, tout ce que ça disait était fait pour la détourner de moi. Je suis arrivée et j’ai voulu la protéger.
Maman est arrivée avec des ciseaux. Elle m’a dit qu’il fallait me couper les cheveux maintenant parce que sinon ce serait plus facile pour eux d’infiltrer mon esprit. Elle avait de nouveau ce regard inquiétant, vibrant. Mais elle sait beaucoup de choses ma mère, je l’ai laissée me couper les cheveux. Je ne voulais pas qu’il se passe quoi que ce soit qui puisse l’inquiéter. Elle allait trop vite, c’est comme ça que j’ai eu un bout d’oreille coupé. Au début j’ai eu peur, c’est pour ça que j’ai crié et quand j’ai vu le sang, j’ai pleuré. Mais maintenant, ça va. Oui ça va mieux.
Je suis sûre que ce n’est pas arrivé par hasard. Ce n’est pas moi qui lui ai coupé l’oreille mais on veut l’éloigner de moi. Alors voilà, ils sont malins, la preuve, ça fonctionne.
Est-ce que je vais revoir ma maman maintenant ? Je sais qu’elle ne l’a pas fait exprès, vous savez. Et elle n’aime pas trop quand je suis loin d’elle. Et moi non plus… Et puis je sais que ça va aller, si elle se repose… Est-ce que je peux aller la voir, maintenant ?