Intrusion

Mathilde Sellami

   Il y a quelqu'un dans la maison. Des bruits me parviennent du rez-de-chaussée. Les battements de mon cœur s'accélèrent et la peur s'insinue lentement dans chaque partie de mon corps en me glaçant le sang. Des  questions se bousculent dans ma tête et je n'arrive pas à avoir une pensée cohérente.  Qu'est-ce qu'il veut? Comment est-il rentré? Qu'est-ce que je dois faire? Appeler quelqu'un? Oui, mais comment? Mon portable est resté dans mon sac à main et mon sac à main est rangé dans le placard, sous l'escalier, au rez-de-chaussée.

   Mes enfants...  Je me glisse le plus silencieusement possible en dehors du lit.  À tâtons dans le noir, j'ouvre la porte et je rase les murs du couloir jusqu'à la chambre de mon ainée.  En bas, des faisceaux de torches électriques dansent sur le carrelage.  Je me fige lorsque j'entends deux hommes discuter à voix basse. J'ai l'impression que le sol va se dérober sous mes pieds. Ils sont plusieurs.  Je tente de me calmer, de dominer la peur panique qui s'est emparée de moi. Je n'ai pas le choix, il le faut. Tout ce qui compte, c'est protéger mes enfants.

   Dans l'obscurité la plus totale, j'ai du mal à atteindre le lit de Zoé. Je la réveille en posant ma main sur sa bouche pour éviter qu'elle hurle et attire l'attention des intrus.

 

- Ma chérie surtout ne fait pas de bruit. Il y a quelqu'un dans la maison. On va sortir de ta chambre et aller réveiller ton petit frère. Ensuite vous allez vous cacher, d'accord?

 

   Ma voix n'est qu'un murmure empli de terreur.

 

- D'accord, chuchote Zoé.

 

   Elle me donne la main et nous nous faufilons tant bien que mal jusqu'à la chambre d'Hugo. À chaque pas, j'ai peur qu'ils nous entendent.  Mais je ne laisse pas cette peur me paralyser, je dois être forte pour eux.

   Par chance mon petit dernier dort encore avec une veilleuse et je vois parfaitement où je mets les pieds ce qui m'évite de faire du bruit en me déplaçant. Lorsque je le secoue en posant une main sur sa bouche, il ouvre de grands yeux apeurés. J'essaye de le rassurer, alors que je ne le suis pas moi-même, et je lui explique qu'il doit se cacher avec sa sœur. Mais où les cacher? Il n'y a aucun endroit dans la maison qui ne soit introuvable. Je ne sais pas qui sont ces gens, ni ce qu'ils veulent, mais je redoute le pire. Des  scénarios plus affreux les uns que les autres défilent dans mon esprit. Non, il ne faut surtout pas que je pense à ça, il faut que je reste concentrée sur ce que je peux faire. Impossible de nous enfuir. Notre seule chance, c'est d'appeler des secours, mais pour ça il faut que je descende à l'étage et je risque de me trouver nez à nez avec eux.

   Hugo a un énorme tas de peluches dans sa chambre et c'est sous cet amas de fourrures et de rembourrages synthétiques que je décide de cacher mes enfants. Quand on ne les voit plus du tout, je refais le lit de mon petit dernier. S'ils montent, ils penseront peut-être qu'il n'y avait personne dans cette chambre, peut-être qu'ils ne chercheront pas...

   J'éteins ensuite la veilleuse et je sors dans le couloir. Je pourrais tenter de me cacher en espérant qu'ils partent, mais je ne peux pas attendre sans agir, je ne peux pas attendre qu'ils montent et qu'ils fassent du mal à mes enfants. Non, il faut que je récupère mon portable et que j'appelle à l'aide. Même s'ils tombent sur moi, tout ce qui compte c'est de gagner du temps jusqu'à ce que les secours arrivent. 

   Je prends mon courage à deux mains et je descends une à une les marches de l'escalier. Ça me semble interminable. Ils sont dans le salon. Je les entends fouiller les tiroirs, déplacer les meubles. Ils sont en train de tout retourner. Mais qu'est-ce qu'ils cherchent? Je n'ai rien de valeur.

   Je sens le carrelage froid du rez-de-chaussée sous mes pieds, j'y suis presque. Allez, encore un petit effort. J'accélère le rythme.

   En quelques secondes, je cours jusqu'au placard, je l'ouvre, prends mon sac à main et m'empare de mon téléphone portable. Il n'y a plus aucun bruit dans le salon, c'est sûr, ils m'ont entendu.

   Je me précipite dans la salle de bain où je verrouille la porte. Cela ne les retiendra sans doute pas longtemps. Je compose le 17.

 

- Police secours j'écoute.

- Aidez- moi, des personnes se sont introduites chez moi! Ils sont là, s'il vous plait envoyez quelqu'un.

 

La poignée de la salle de bain se met à tourner.

 

- Quel est votre nom madame?

 

L'un des intrus se précipite sur la porte pour essayer de la forcer. Je ne sais comment, mais mes cours de secourisme me reviennent en mémoire et je sais tout ce que je dois dire.

- Je m'appelle Lisa Tellier et j'habite 37 rue des courtilles, mon numéro est le 06458207, s'il vous plait faites vite.

 

Le bois craque et vibre sous les assauts de l'intrus. La porte est sur le point de céder.

 

- Je vous envoie quelqu'un tout de suite madame. Restez en ligne si vous le pouvez.

 

Dans un dernier élan de courage, je me mets à hurler.

 

- J'ai appelé la police, ils vont bientôt arriver.

 

Et puis tout à coup, plus rien. C'est le silence dans ma maison.

 

- Tout va bien madame? me demande l'agent à l'autre bout du fil.

- Oui, je crois qu'ils sont partis.

- Une équipe arrivera bientôt madame.

 

Je reste là, au milieu de ma salle de bain sans bouger. Les battements de mon cœur sont toujours aussi violents  dans ma poitrine et des gouttes de sueur perlent sur mon front.

Et puis, au bout de ce qui me semble être une éternité, j'entends les sirènes de police rugir au loin. Je ne peux pas attendre plus, même si j'ai peur qu'ils soient encore là, je me précipite à l'étage pour retrouver mes enfants.

Ils n'ont pas bougé de leur cachette et je les enlace dans mes bras en pleurant de soulagement.

 

- Madame Tellier, c'est la police! crie une voix d'homme au rez-de-chaussée.

 

Tout va bien, c'est terminé.

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