It Was Yesterday.
Tophe Harper
C'était hier que je me réveillais auprès de ton absence. J'ouvris les yeux, difficilement, collés par le mascara que j'avais oublié d'enlever la veille. Un peu dans le flou sans mes lentilles de contact j'ai tout de même voulu le renouer avec toi, avec l'image que j'avais de toi. Je me suis tourné vers ton corps. Je l'ai trouvé de plus en plus graisseux. Ce que je ne comprenais pas, tu semblais manger si peu à la maison. Malgré ce détail, je l'aimais ce corps qui t'abritait.
Tu me tournais le dos, ça faisait quelques mois déjà que c'était comme ça. Je dormais avec ton côté pile. Je ne te voyais pas mais je t'entendais. Tout de toi n'était pas absent, finalement. Ton nez sifflait. Encore une de tes allergies qui te titillait, je suppose.
J'ai souri, me suis approchée de toi. Gênée par mon bas de pyjama de soie bleue qui ne suivait pas le mouvement, je fis un mouvement brusque pour le décoincer. J'ai eu peur de te réveiller. Un léger couinement nasal me fit comprendre que ce n'était pas le cas. Je m'approchai pour de bon, glissai un baiser dans ta nuque. Il était sec, j'ai toujours eu les lèvres gercées au réveil. Il n'en n'était pas moins sincère et affectueux. Qu'importe!
Tu n'as rien senti. Une partie de moi avait pourtant espéré te sortir du sommeil. Te voir te retourner les paupières baissées, le nez plissé par le soleil qui perçait la fenêtre de la chambre, la main droite paume vers l'extérieur posé sur le front. J'attendais une naissance de sourire ralentie par un sommeil insistant, un « bonjour » à peine articulé mais servis avec la précision du contentement de me revoir ce jour nouveau. Il n'en fut rien et je me retournai sur le dos, les yeux ouverts cette fois.
C'était hier que je me levais, te délaissais pour la salle de bain. Je passais la porte couleur bois de rose, le marron chocolat des murs caressé par le voile lumineux du soleil levant m'enveloppait d'un teint hâlé qui me donnait bonne mine. Temporairement bronzée je me dirigeais vers le miroir offert par ta soeur pour nos fiançailles un an plus tôt. Rencontrant mon reflet, je fus interloquée par ce regard que je me renvoyais. Je lisais dans mes pupilles verts gris, un appel à l'Amour, une réciproque qui semblait s'être peu à peu décimée. Réalisant que je n'obtiendrais rien de ta part avec de telles oeillades, j'entrepris de les masquer avec ce fameux mascara Rimmel que je n'avais pas enlevé la veille. Durant mon démaquillage, je ne pouvais me refaire une beauté sur une laideur de la veille, je m'interrogeais, chatouillait mon cerveau sur la façon dont je pouvais t'envoyer une bouée, te ramener à moi. Je fermais les yeux pour retirer ce qui restait de souillure et trouvait ma solution en apercevant au passage mon rouge à lèvres préféré.
C'était donc hier, qu'une fois ma peau d'éternelle adolescente enfin purifiée, je saisis le tube «Gemey Maybelline 14 h» et écrivait «Je t'aime» sur le miroir bois de rose qui me renvoyait mon espoir et ma satisfaction, aussi passagère furent-ils.
J'avais pensé que tu le verrais en te levant mais tu étais en retard. Tu n'es pas passé derrière moi, n'a pas vu que je t'avais déposé un bout de moi, un de ces bouts qui t'appartient encore. Tu t'es défait de la couette pourpre qui t'avait camouflé, tenu au chaud toute la nuit. Tu t'es levé si vite, tu en as eu le vertige. Tu t'es pinçé l'arrête du nez pour te ressaisir de la main droite tu as allumé ton Samsung de la main gauche. Tu t'es figé un instant, la sensation d'avoir oublié quelque chose te saisit. Non, tu n'avais rien oublié, pas même de me dire bonjour, de m'embrasser. Du moins, c'est ce qu'il t'avait semblé, ce qui était loin de mon impression personnelle. L'équilibre retrouvé tu t'emparas d'un de ces costumes bon marché que tu avais achetés par pingrerie. Ils étaient tous bleu et noir, était ce côté sombre de toi que j'avais renié jusque-là? Tu l'enfilas avec une agilité qui ne détrompait pas sur ta confiance en toi, noua ta cravate sur le chemin du salon.
Je te vis revenir, te diriger vers la salle de bain avec une telle énergie qu'elle m'avait été communicative. Je me sentis emplir d'une force, mon «Je t'aime» n'était pas vain. Je m'éteignis rapidement, tu ne jetas qu'un coup d'oeil au miroir. Trop pressé, tu n'as pas vu ces mots aux couleurs de mes lèvres que je m'étais arraché.
C'était hier que ces lettres n'étaient pas dans ton esprit. Tes pensées n'étaient pas marquées de cet appel que j'avais écrit. Ces sept lettres qui voulaient te raccrocher à moi ne volaient pas dans tes idées. Il n'y avait pas mon trouble dans tes attentions, pas un sourire idiot qui t'a fait transporter près de moi, près de ce miroir qui ne m'a renvoyé que mes yeux noircis par le Rimmel et ton vide qui s'agrandissait dans ce qui nous avait fait. Tu as pris le même chemin. Marché au pas de deux jusqu'à l'abribus, pris le transport n°48 à destination de Bernay. Tu n'as pas oublié ton parapluie en descendant, je ne t'avais pas étourdie dans un de mes flashs. Tu es descendue avec cette même assurance que tu as à la maison quand tu ouvres une bouteille, une boîte de conserve, répare le robinet de la cuisine qui fuit. Cette confiance qui veut dire «tu as besoin de moi mais pas l'inverse». Tu as avancé vers la Société Générale, tu y étais le meilleur Conseiller, tu le seras encore demain comme plus d'un an. Sans hésitation tu as franchi l'entrée et décroché à la réceptionniste le sourire que je n'ai pas eu ce matin.
Tu lui as dit Bonjour de ta voix grave et brisée. Celle que je n'ai pas entendu avant que tu aies claqué la porte d'entrée plutôt dans la matinée. Tu as passé toute la journée au bureau. Je ne t'ai pas regardé à travers une de mes photos, je n'étais pas encadrée sur ton bureau, je le devinais. Répondre au téléphone, tapoter sur ton clavier, vérifier les comptes des clients, prendre une pause déjeuner, apporter d'autre client à la banque, gérer les découverts, prendre le café avec les collègues, retourner au bureau, continuer tes activités, ne pas penser à moi, m'ignorer. Je n'existe plus.
C'était hier qu'à 20 heures j'ai entendu sonner. Deux coups secs, marqués par l'impatience. Comment pouvais-je ne pas t'ouvrir à peine sur le palier? Tu avais encore oublié tes clefs, je crois que tu ne les prenais plus. Comme un étranger qui serait là de passage, pour le moment, en attendant de… J'ai eu un baiser sur la joue, furtif, un effleurement ce baiser sur la joue. Je croyais que les hommes aimaient les femmes parfumées…
Tu as déposé ton attaché-case près de la porte en bois de chêne qui nous séparait du couloir des parties communes. Tu as posé ton trench délavé sur le canapé bleu roi. Enlevé et abandonné ta chaussure gauche près du meuble pour les ranger, je n'étais plus la seule abandonnée. Ôtait sa soeur, pour être moins bancale, et la laissait errer près de la litière du chat. Ton écharpe atterrit sur la rampe de l'escalier. Tu me «délaissais» et m'envahissais en même temps.
Tu avais pris le journal, tu t'es dirigé vers la chaise en bout de table, celle qui te permettait de voir la télé sans te faire un torticolis. Le message avait été clair et j'avais cuisiné.
C'était hier que nous avons donc diné dans le salon. Je n'ai pas eu coeur à faire de la grande cuisine alors dans ton assiette tu as trouvé un cassoulet William Saurin. Tu n'aimais pas, ça se voyait à ce sourire que tu croyais me faire, il en relevait plus d'un rictus. Tu n'as pas fini ton assiette, prétextant que c'était froid (sous-entendant que tu ne savais plus te servir du micro-onde), l'a déposé dans l'évier. Bien sûr tu ne l'a pas vidée, pas rincée. Tu t'es servi du cantal, as oublié de me demander si j'en voulais. Tu es revenu à ta chaise le morceau de fromage déjà englouti. Une fois assis, tu as croqué dans une pomme que je ne t'avais pas vu prendre. Tu l'as finie au moment où j'ai posé mes couverts, je venais de finir mon assiette.
Tu t'es levé, es retourné à la cuisine pour jeter le trognon de la pomme. Tu as dit que tu allais prendre ta douche. À suivre ton regard j'ai cru que tu t'adressais à la chaine hi-fi. Doutant qu'elle ait compris quoi que ce soit, je l'ai pris pour moi.
Après avoir débarrassé et nettoyer la table je t'ai remplacé dans la salle de bain. Douche, démaquillage, cette fois je n'ai pas oublié, brossage de dent, pyjama. Un quart d'heure et j'étais prête à affronter le néant. Nous nous sommes assis au pied du lit, chacun de notre côté. Avons consulté nos portables, chacun de notre côté. Nous nous sommes débarrassés de nos robes de chambre, chacun de notre côté. Avons soulevé la couette pourpre, la seule chose que nous avions en commun en cet instant. Nous avons glissé nos carcasses chacun de notre côté. Chacun son rebord, étriqué.
C'était hier qu'il n'y a pas eu l'ombre d'un « bonne nuit », pas la prémisse d'un regard. C'était hier que nous avons fermé les yeux sans l'ombre d'un «Je t'Aime» surtout.