Itinéraire d'un enfant gâté...

Philippe Cuxac

La Story de Joe Bonamassa (texte écrit en 2009)

Ce Joe là, mesdames et messieurs, il ne va pas falloir le lâcher d'une semelle. Figurez-vous que ce jeune prodige américain de la guitare vient de nous sortir coup sur coup un album studio (The ballad of Joe Henry) suivi d'un album live (At the Royal Albert Hall) ourlés des plus belles plages de blues rock tricotées depuis bien longtemps.

Si le jeu à la mode est de rechercher quel est le nouveau Jeff Beck ou le nouvel Eric Clapton et bien cessons là immédiatement cette vaine occupation. Mister Joe, sait rendre hommage à ses maîtres - il dit que la chanson Let me love you du Jeff Beck Group avec Rod Stewart a changé sa vie et que les albums de John Mayall et Rory Gallagher lui ont donné sa feuille de route – mais, surtout, en cette période où tout le monde copie tout le monde, il est capable de développer sa propre personnalité artistique et l'avenir s'annonce brillant pour lui s'il ne cède pas aux sirènes de la facilité commerciale.

 

Mais penchons nous un peu sur le bonhomme :

Le 8 mai 1977, soit 66 ans très précisément après sa mort, le fantôme de Robert Johnson se désolait du côté d'Utica, une petite ville triste dans l'état de New York … Comme d'habitude depuis toutes ces années, il errait à tous les carrefours, de Clarksdale ou d'ailleurs, cherchant désespérément un hypothétique messie, un digne successeur à Joe, Jimmy, Jeff, Eric ou Stevie, tous ces guitaristes qui, pour certains ont perdus le feu sacré, pour d'autres ont tout simplement perdu la vie. En ce beau jour de mai, Robert, pauvre ectoplasme triste, se désolait à la porte du magasin de guitare de Monsieur Bonamassa père, magasin duquel sa femme, enceinte jusqu'aux yeux sortie passablement épuisée par ses 9 mois interminables. Elle s'arrêta devant le fantôme de Robert, porta les mains sur son ventre et prise des douleurs de l'enfantement s'écria « Save me if you please ! » avant de s'écrouler inconsciente. Que fit le spectre de Robert Johnson, pauvre lutin dépenaillé ? Nul ne le sait, nul ne l'a vu, mais le diable devait également traîner ses guêtres de l'autre côté du carrefour, pour qu'à peine 4 ans plus tard, le jeune Joe se prenne de passion pour la guitare, qu'à l'âge de 7 ans il connaisse son Stevie Ray Vaughan sur le bout des doigts et qu'à l'horizon de ses 12 ans il fasse la 1ère partie d'un géant du blues, Mister B.B. King. On a vu pire comme destin tout tracé … 

Dès lors, il était clair que Joe n'allait pas moisir dans la boutique de son père qu'il fut pourtant tenté un moment de reprendre. Pour ses 14 ans, Little Joe fut convié à un raout chez Fender durant lequel il s'acoquina avec un certain Berry Oakley Jr, le fils du bassiste disparu de l'Allman Brothers Band. Tiens tiens … l'ombre de Mr Johnson ne serait-elle pas encore de la partie ? A vous de juger, mais les deux compères recrutèrent Erin Davies (le fils d'un certain Miles) et Waylon Krieger (le fils de Robbie) qui voulait lui aussi s'ouvrir quelques portes. Cette jeunesse dorée réalisa un album sous le nom de Bloodline et trouva le moyen de placer 2 titres dans les charts US. 

La carrière solo de  Joe Bonamassa démarre à l'aube du XXième siècle et que l'on soit bien d'accord, les influences de Joe sont clairement anglaises, les héros du jeune guitariste encore pataud se nomment Peter Green, Gary Moore, Rory Gallagher ou Eric Clapton, les vieux bluesmen américains n'ont qu'à bien se tenir, lui le blanc bec de l'état de New York ne compte pas se dessiner un avenir de maudit comme son fantôme de mentor. 

Alors pour son 1er essai solo, il se fait cornaquer par le mythique producteur Tom Dowd (Clapton, Chicago, Lynyrd Skynyrd, etc.), invite au culot Gregg Allman, Leslie West et Rick Derringer et démarre son album avec 3 brûlots du rock anglais, une reprise du Cradle Rock de son idôle irlandaise Rory Gallagher, une version survitaminée de Walk in my shadows de Free et une cover impeccable d'un vieux Jethro Tull, A new day yesterday. Histoire de bien appuyer le message de ses influences, l'album prendra du reste le titre de ce vieux morceau du flûtiste anglais. L'album contient également 3 autres reprises de blues rock américain, des relectures d'Al Kooper, Albert King et Warren Haynes. 

C'est à l'occasion de son second album solo en 2002 que Joe développe plus de matériel personnel. Pourtant cette nouvelle réalisation sera une cruelle déception, les compositions sont faiblardes et la production de Cliff Magness donne à l'ensemble un aspect rock FM peut appétissant. Joe, si inspiré sur son 1er opus, se prend les pieds dans le tapis à plusieurs reprises dans l'idôlatrie et lorgne sans vergogne du côté de Stevie Ray Vaughan ou Robin Trower.  

C'est le vieux Robert qui rigole bien, confortablement installé à la croisée des routes. Veillant au grain, son ombre plane de façon obsessionnelle au-dessus de Joe Bonamassa qui décide de payer son dû à la cause avec un album de reprises blues. Un Blues de luxe, évidemment, comme le chantait si bien une ses idôles de jeunesse, Rod Stewart, au sein du Jeff Beck Group. Ce nouvel album, réalisé en 2003 et acclamé par la critique, mélange habilement reprises de standards d'Elmore James, Albert Collins, Jeff Beck et quelques rares mais excellentes compos personnelles. 

Une longue tournée commence à asseoir la réputation du guitariste et lorsqu'il retourne en studio, il est prêt à en découdre pour un album résolument orienté rock. Had to cry today, le morceau titre de l'album n'est ni plus ni moins que la reprise punchy du morceau de Blind Faith tandis que le côté bluesy s'exprimera au travers d'une reprise magistrale du Reconsider baby de feu le guitariste américain Lowell Fulson. Sublime blues qui deviendra une des pièces maîtresse des concerts de Joe. 

Son album suivant, You and me, mis sur le marché pour ses 29 ans, voit Joe prendre un tournant majeur. Le gourou Kevin Shirley prend les manettes et son expérience avec Aerosmith ou les Black Crowes va changer considérablement l'approche du prodige américain. Kevin Shirley avait bien entendu parler du talent de Joe et son souhait était de lui faire passer un cap avec cette nouvelle collaboration. Il avait vraiment l'intention de l'aider à s'améliorer sur ses faiblesses, le chant notamment, et à produire avec lui un album de blues rock ou Joe pourrait exprimer toutes ses possibilités techniques et sa sensibilité.

Pari réussi, bien au-delà de toutes les espérances, en témoigne sa relecture poignante du So many roads d'Otis Rush, une grosse prise de risque avec un morceau piège de Led Zeppelin, le sous estimé Tea for one, un oldies de Sonny Boy Williamson Your funeral and my trial, encore un nouvel epic blues taillé pour la scène et des compositions personnelles telles que l'excellent High Water Everywhere , morceau composé en hommage aux victimes de l'ouragan ayant ravagé la Nouvelle Orleans. Cet album majeur dans la discographie de Joe Bonamassa voit également de nombreux morceaux relevés d'un orchestre symphonique jamais envahissant et de quelques guests discrets, tels Jason Bonham. 

Seconde collaboration avec Kevin Shirley, Sloe Gin, mêle habilement l'acoustique au blues rock acéré et dramatique, désormais marque de fabrique reconnaissable entre toutes du guitariste. Sans jamais faire preuve de manque d'inspiration, ce nouvel LP, sur lequel plane l'ombre des premiers travaux solo de Rod Stewart, s'équilibre entre les titres composés par Joe et d'habiles  reprises telles l'acoustique Seagull de Bad Co et l'electrique One of these days des Ten years after. Cet album vaudra de nombreux prix au guitariste américain et même ses progrès vocaux seront enfin reconnus à leur juste valeur. 

Evidemment, il manque malgré tout à Joe Bonamassa, un grand album, un standard qui le placera définitivement au panthéon des grands guitaristes de blues. Le vieux Johnson commence à s'impatienter du reste et pour passer le temps, il commence à lorgner du côté des jeunes loups tels que Oli Brown ou Davey Knowles … 

Alors afin de clore en beauté cette décennie, le jeune prodige de 32 ans et le producteur émérite remettent à nouveau le couvert pour une 3ème collaboration avec un concept album autour du racisme et de l'anticapitalisme pour nous compter l'histoire de John Henry, figure rêvée et mythique de la gauche et des syndicats américains.

Joe y distille plus de compositions personnelles qu'à l'accoutumée, ses talents de compositeurs explosent sur des titres tels que Happier times ou The great flood à vous arracher des larmes de bonheur bleu. Quant aux habituelles reprises, comment ne pas tomber sous le charme de sa relecture de la scie éternelle de Sam Browne (le morceau Stop qu'on n'a surtout pas envie d'arrêter) ou devant l'hommage à l'ours des bayous, Tony Joe White avec son morceau As the crows flies. Et puis pour remercier Mr Johnson autant écrire directement un titre spécialement pour lui, c'est chose faite avec ce  fantastique Lonesome Road Blues. 

La boucle est bouclée … 

Cerise sur le gâteau, un cd/dvd live de son concert du 4 mai au Royal Albert Hall vient de sortir que je vous conseille ardemment. L'aboutissement d'une première partie de carrière qu'on lui souhaite la plus longue et la plus inspirée possible. Vous y verrez Joe Bonamassa revisiter les meilleurs moments de sa déjà majeure discographie et croiser le fer dans cette salle merveilleuse et mythique avec Eric Clapton pour un furieux Further on up the road. 

C'est le vieux Robert qui doit être aux anges, pour une fois !

 

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