« It's friday ! »

briseis

Le jour suivant fut nettement moins catastrophique. D'abord, parce qu'elle se réveilla avec la mélodie d'une chaude et suave voix masculine. Ensuite, parce qu'un apollon brun torse nu à la peau mate faisait cuire des pancakes dans sa cuisine. Enfin, parce que dehors brillait un beau soleil dans un ciel bien bleu.

« Tu comptes squatter longtemps chez moi, comme ça ?
- Ça dépend, répondit-il en déposant une assiette de crêpes avec du sirop d'érable devant elle. Ça te dérange ?
- Pas si tu fais le ménage, la vaisselle, la lessive, et des pancakes au petit déjeuner. »

Il sourit avec le sourire parfait d'un dentiste, et Myriam se demanda sérieusement comment elle avait réussi à ramener l'homme de sa vie d'une boite de nuit un peu miteuse du centre-ville. Peut-être que c'était un sans-abri. Ou un chômeur qui préférait augmenter la note d'eau et d'électricité chez les autres. Valère préféra vérifier, juste au cas où.

« Et ... Tu fais quoi, dans la vie ?
- Médecin. Chirurgien pédiatre, en fait. Je suis en vacance. » précisa-t-il.

Myriam en était médusée. C'était incroyable. Elle ne se posa pas plus de question, et décida que ce vendredi, elle allait prendre une journée de congé, et rallonger son week-end. Elle appela son supérieur hiérarchique. Il l'insulta en la menaçant de la licencier si elle n'avait pas fini tout son travail à faire lundi. Elle en conclut qu'il acceptait, mais qu'elle avait intérêt à carburer la semaine suivante. Elle passa la matinée au lit avec l'homme parfait qui lui servait d'amant du moment, et espérait sincèrement que ce moment durerait le plus longtemps possible. Vers onze heures, ils voulurent sortir se balader ; alors ils sortirent, et se baladèrent. Étrangement main dans la main, comme un "vrai" couple - bien que les deux soient assez mal à l'aise quant à ce contact, ils le trouvaient agréable, rassurant même. Pendant qu'ils se promenaient sur la jetée, sous le soleil, avec l'impression d'être dans un décor de carte postale à Miami, Myriam reçut un SMS de Bauvon. Elle l'envoya paître, et puis, culpabilisant un peu, s'excusa. Thomas profita de ses remords pour l'inviter à dîner quelques jours plus tard, et elle refusa. Il insista, et elle accepta. De toute façon, il n'y avait rien de très dangereux à se faire offrir un menu dans un des restaurants les plus chers de la ville. Elle pourrait même emmener Marc, pour embêter son collègue, qui s'attendait sans aucun doute à ce qu'elle lui tombe dans les bras. Mais ... Non, elle ne le ferait pas. Trop gentille, sans doute.
Bref, elle se baladait main dans la main avec Marc. Ils parlèrent beaucoup, et il se trouva qu'ils avaient plus en commun que leur goût pour le club du Black Pegasus ainsi que pour les cocktails colorés et sucrés. Ils sortaient tous les deux d'une bonne université parisienne, avaient même fait un échange en pays anglophone, ils avaient horreur des télés-réalité, des chiens qui bavent, des gens pressés dans le métro, des rayons poissonnerie au super-marché, et vivaient tous les deux mariés à leurs emplois respectifs. Ils aimaient bien la plage - mais pas la sensation désagréable d'avoir du sable entre les orteils - les dessins de Gustave Doré, la marche à pieds et adoraient la musique baroque. Ils étaient francs l'un envers l'autre : pour l'instant, leur relation était basée sur le sexe. Ils pensaient la même chose, étaient absolument d'accord, et parfaitement incapables de se lancer dans une relation sérieuse, de toute façon. A midi, ils déjeunèrent dans un petit bar à salade sympathique, joliment décoré mais loin d'être prétentieux, juste devant les quais du port. Ils mangèrent bien, pour pas trop chers, ils étaient contents. Leur premier point de désaccord fut le choix du film qu'ils souhaitaient voir l'après-midi. L'une voulait voir le dernier film de Marvel, l'autre une rediffusion d'un long métrage avec Louis de Funès. Finalement, ils regardèrent un film d'horreur, et rigolèrent bien. Au milieu de la séance, Marc dut s'absenter au toilette, tellement longtemps que Myriam se demanda s'il ne lui avait pas simplement faussé compagnie. Apparemment, il avait juste reçu un coup de téléphone.

Lorsqu'il revint dans la salle, Myriam fut tentée de lui demander qui l'appelait au milieu de leur séance de cinéma. Elle n'en fit rien, trouvant cette question un brin possessive, et elle n'était pas du genre possessive. Elle n'était pas du genre jalouse, ni même du genre à vouloir garder un homme dans sa vie plus d'une semaine ou deux, en fait. Sa seule relation durable avait lamentablement échoué. Deux ans de vie commune, une demande en mariage, et le fiancé s'était barré à l'autre bout du monde deux semaines avant la noce. A défaut d'en être véritablement détruite, la rouquine avait été surprise, et très en colère. Mais surtout triste. De longues semaines de doutes et de questions existentielles avaient suivies, mais elle s'en était bien remise. Elle avait fini par décrété que Benjamin était un con fini. Depuis, elle collectionnait les aventures, parce que ce n'était pas plus mal. Il y en avait des bonnes. Marc, assis près d'elle, un bras autour de ses épaules, en était la preuve vivante. Il y avait encore des hommes dignes de cela. Elle trouvait égoïste de le garder rien que pour elle, aussi elle le laissa rentrer seul à la maison. De toute façon, il avait toujours son numéro de téléphone. Ou pas. Le lui avait-elle donné ? Elle ne s'en souvenait pas. En tous cas, il ne lui avait toujours pas rendu ses clefs. Donc, il pourrait revenir lui préparer le petit-déjeuner quand il lui plairait. Elle trouvait l'idée sympathique. Un peu comme un sex-friend, mais en mieux.
Lorsqu'elle rentra chez elle, la petite diode rouge de son téléphone clignotait furieusement. « Ecoute tes messages ! Ecoute tes messages ! » semblait-elle lui hurler. Elle appuya sur le petit bouton. Elle avait trois messages. Un de sa mère, qui se plaignait de ses voisins, et de son père, et de sa maison, et de sa trop petite retraite. Un peu de tout. Et il y en avait deux autres de Thomas Bauvon. Le premier l'invitant cordialement à un dîner du bureau, sous-entendant subtilement – ou peut-être pas tant que ça - qu'ils pourraient finir la soirée autour d'un verre, ou chez lui – elle avait compris cette partie là dès qu'il avait dit « l'air de rien » que sa femme était absente. Le second message, était probablement un pari perdu avec ses amis au bar du coin : il avait la voix vibrante d'alcool et ne prononçait que des phrases peu ou pas du tout intelligibles. Il parlait probablement d'un shtroumpf bleu géant qui lui tirait la langue en se moquant de sa coupe de cheveux, ou quelque chose comme ça. Il semblait avoir besoin de réconfort. Elle n'avait manqué l'appel que d'une dizaine de minutes. Elle hésita quelques secondes et décrocha le combiné. Elle était bien trop gentille.

« Allô ? Bauvon ?
- Noooon ! répondit une voix qui aurait pu être celle de son collègue, mais en un peu plus … ivre.
- Je suis rassurée. J'ai cru que ça n'allait pas.
- Mais ça ne va pas.
- Tu es sûr ?
- Pourquoi as-tu appelé ?
- Parce que je me faisais du souci. Enfin, presque. Tu es avec du monde ?
- Plus maintenant. J'suis tout seul dans mon canap' à boire comme un trou.
- Tu ne veux pas de compagnie ?
- Çà dépend. Tu te propose de venir me rejoindre ?
- Ne rêve pas.
- Viens me faire un câlin, Myriamounette ! »

Elle raccrocha. Et puis elle rappela.

« Tu habites où, déjà ? »

Elle nota l'itinéraire sur un post-it collé sur le plan de travail de sa cuisine. Sur la route, elle se demanda ce qu'elle allait faire chez le beau-fils de son patron. Elle se demanda également s'il était vraiment infidèle à sa femme, ou en avait seulement l'air. Lorsqu'elle sonna chez Bauvon, elle eut la réponse à sa dernière question. En guise de salut, il lui roula une pelle magistrale. Il puait le whisky, ne titubait pas mais avait un peu de mal à rester sur ses pieds : elle n'eut pas trop de mal à le repousser. Cependant, elle ne put se retenir de penser : « même beurré, qu'est-ce qu'il embrasse bien ! ». De toute façon, il était probablement bien trop cuit pour faire quoi que ce soit de plus. Elle soupira et l'entraina dans la chambre à coucher, le déshabilla, frappa sans scrupules les mains baladeuses de Thomas, et l'allongea sur le lit en priant pour qu'il ne lui vomisse pas dessus. Elle lui retira en soupirant ses chaussures hors de prix, et le recouvrit d'une couverture en daim. Elle avait fait sa part du boulot. Avant de partir, Thomas la retint d'une main agrippée au bas de la chemise de la jeune femme. Il avait l'air pitoyable. Forcément, elle eut pitié. Elle rapprocha une chaise près du lit et croisa les jambes, assez proche pour écouter le blond, mais assez loin pour ne pas avoir à subir ses attouchements intempestifs.


« Bon … Pourquoi tu t'es mis à ce point à l'envers ? demanda-t-elle doucement, quasi compatissante.
- J'ai l'air si minable que ça ? demanda-t-il ; elle hocha la tête.
- J'ai bien peur que oui. Vanessa n'est pas là, alors c'est le bordel dans ta vie ? proposa-t-elle, pas vraiment convaincue.
- Pas vraiment. Elle revient la semaine prochaine. Je ne sais pas … Je crois que c'est la crise de la trentaine. Myriam soupira. J'aime pas mon boulot, j'aime pas ma femme plus que ça, j'aime pas ma baraque, j'aime pas cette putain de ville. Quoique si, j'adore cette ville. Le pire, je crois que c'est ce con de Dérette. Je ne peux plus le supporter …
- Tu le provoques bien, aussi. »

Malheureusement, Myriam n'avait la solution à aucun de ses problèmes. Bien qu'elle lui aurait volontiers dit quelque chose comme « Quitte ta femme, déménage, et démissionne. ». Elle se contenta de lui tenir un peu la main, jusqu'à ce qu'il s'endorme, ce qui ne dura pas bien longtemps. Se sentant d'humeur généreuse, et comme elle n'était vraiment pas fatiguée, elle décida de faire un peu de ménage. Elle fit aussi la vaisselle, mais n'osa pas toucher au linge sale des Bauvon. Elle joua à être Marc, en gros. Et puis comme elle n'avait pas envie de rentrer à la maison, en profitant de l'absence de Vanessa, elle s'installa sur le canapé en cuir rouge du couple et regarda des émissions débiles sur leur écran plat de deux mètres. Elle s'endormit aux alentours de deux heures du matin, se réveillant à huit heures pile pour préparer le petit-déjeuner. Elle devenait vraiment comme Marc. Bien qu'elle n'ait pas couché avec Bauvon. Bref. Le poivrot se leva un peu plus tard dans la matinée, et comme prévu, il avait la tête dans le coltard. Il sourit, un peu embarrassé devant Myriam dont il avait oublié jusqu'à l'existence durant son long sommeil.

« Bonjour … dit-il d'une voix à peine réveillée.
- Bonjour ! répondit joyeusement Myriam, déposant sur la table de l'immense salon un plateau garni de tartines, de confiture, de café et de jus d'orange fraichement pressé. Comment a dormi la belle au bois dormant ?
- Bien, bien … Mais, comment dire … Qu'est-ce que tu fais chez moi ?
- Oh … Tu ne te souviens pas d'hier soir, je suppose ? »

Il la regardait avec perplexité, et elle se contenta de sourire tranquillement. Elle avait l'intention de s'amuser un peu.

« Tu avais un peu trop bu hier soir et … Tu m'as appelée. Jusque là, tout était vrai.
- Ah bon.
- Et tu m'as demandé de venir.
- Ah. Ça ne m'étonne pas trop …
- Alors je suis venue.
- Ça, c'est déjà plus étonnant.
- Enfin, je suis venue quoi …
- Et on a ... ? il n'osait pas trop poser la question à haute voix.
- Quoi ? Couché ensemble ? Elle n'avait pas peur des mots. Oh … Oui. Presque plusieurs fois mais ... Je pense que tu avais un peu trop bu.
- Ah. »

Il n'avait pas l'air dégouté, ou quelque chose comme ça. Juste un peu déçu de ne pas avoir plus de souvenirs de cette soirée visiblement exceptionnelle. On ne se tapait pas une femme comme Myriam Valère tous les soirs. Du moins, pas quand on s'appelait Thomas Bauvon et qu'on essayait de la charmer depuis environ deux ans. Peut-être qu'il était plus doué en drague avec deux grammes d'alcool dans le sang.
Elle le gratifia d'un sourire angélique. Il déjeuna sans la quitter du regard, regrettant de ne pas pouvoir la garder avec lui encore un peu. Lorsqu'il était saoul, il pouvait faire passer cela pour une erreur ... Nettement moins après avoir décuvé. Et puis, c'était samedi. Le samedi, il avait rendez-vous avec son beau-père pour aller jouer au tennis. Il valait mieux garder la venue de Myriam un peu plus discrète.

D'ailleurs, elle quitta le domaine des Bauvon aux alentours de dix heures, contente d'elle, et plutôt de bonne humeur. Elle avait l'intention de profiter de son week-end, et appela quelques amies pour aller faire la fête. Sauf que. Noémie était en cloque : laisse tomber. Barbara était occupée à emménager avec son nouveau mec : idem. Sarah déprimait et était partie quelques jours chez sa mère, à quelques centaines de kilomètres de là : n'y pense même pas. Alice, elle, aurait bien aimé, mais avait beaucoup trop de boulot pour sortir : bref, elle se retrouvait toute seule. Et faire la fête seule, ce n'était vraiment pas marrant. Myriam s'ennuya ferme tout le reste de la journée, jusqu'en fin d'après-midi, où elle décida de sortir de chez elle, quand même. Elle se balada un peu en ville, lécha quelques vitrines - toutes hors de son budget fringues - et dîna au comptoir d'une brasserie très médiocre. Elle était prise d'une envie de danser, mais sa poisse du jeudi semblait la poursuivre : le Black Pegasus était exceptionnellement fermé, le Lapin Rose aussi, et son dernier espoir, le Squatte, était plein à craquer. La queue pour l'entrée n'en finissait pas, et cela la découragea. Toutes les autres boîtes de nuit de la ville, étaient les repères de toutes la pouffiasses, chiens de talus, et dealers du coin. Ou alors, c'étaient des bars gays, ou pire, des boîtes pour jeunes. Elle fut bien obligée de rentrer à la maison, dépitée et découragée. Le lendemain, c'était la même chose. Elle fut tentée d'appeler Marc, mais de ce qu'elle avait compris, il avait accepté une garde ce week-end et n'étais pas disponible. Elle faillit appeler Bauvon, aussi, mais se rappela de justesse qu'elle lui avait fait croire qu'ils avaient couché ensemble, et ce n'était vraiment, vraiment pas bon de retourner le voir. Elle avait envie de coucher avec lui, il avait envie de coucher avec elle, ils l'auraient fait pour de vrai, ça aurait mal tourné. Cependant, il pensait qu'ils l'avaient déjà fait. Elle se demanda ce que cela impliquait. Cela modifiait-il leur relation de travail ? Oh, non. Myriam n'avait pas l'intention d'accorder plus d'importance à Thomas parce qu'ils étaient "amants". Il n'avait pas intérêt à l'appeler pour venir tirer son coup ou quelque chose du genre. Plus elle y réfléchissait, plus elle était persuadée de devoir dire la vérité avant de s'enfoncer dans une galère impossible. Mais l'envie de jouer fut la plus forte, et elle n'appela personne. Elle resta en pyjama dans son appartement, à regarder des films et manger du pop-corn. En plus, dehors, il pleuvait. C'était le week-end le plus nul qu'elle n'avait jamais vu. Elle se coucha très tôt, et dormit au moins douze heures d'affilées. Au moins, elle avait récupéré son sommeil en retard.

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