Une histoire particulière, embringuée dans le sillon d'un cercle paradoxal et sans fin, d'une relation débordant de contradiction sentimentale.
Je la vois, marchant dans la rue. Elle a changé. Je l'ai fait changer. Elle a perdu son sourire. Je l'ai meurtrie, je l'ai blessée, je l'ai aimée. A quoi bon la regarder maintenant ? Je n'arrive pas à détacher mon regard de sa longue chevelure noire. Elle me fascine. Les souvenirs que j'ai d'elle m'enivrent, ils m'appellent.
« Leyan. »
Un sourire. Cette femme, belle, rayonnante, et surtout auprès de moi. J'ai tellement raté de choses. Elle était un trésor que j'ai brisé. Elle était comme un diamant, trop fragile pour rester intact entre mes mains, trop rayonnante pour ne pas se briser. Elle a de la chance d'avoir encore tous les morceaux d'elle-même en sa possession. Elle trouvera quelqu'un qui les lui recollera, qui l'aidera à oublier.
"Leyan ! Aller viens, on risque rien. ~"
Elle m'appelle. Les souvenirs que j'ai d'elle m'appellent. Laisse-moi disparaître, je t'ai fais trop de mal. Laisse-moi rester seul, dans l'oubli. Une éternité de malheurs et tu en redemandes.
"Viens.."
Un murmure, encore. Un frisson, cette voix... Si douce, si inhumaine, si cassée. Je l'ai rendue comme ça, et malgré tout elle m'appelle encore. La tentation. Vais-je à nouveau la briser si je m'approche d'elle ? L'envie d'être à nouveau près d'elle, mais la peur qu'elle ne le supporte pas. L'hésitation. Un sentiment dominant chez moi. Je reste ainsi paralysé et la perd de vue. Elle passe souvent ici, mais j'ai l'impression de l'avoir perdu pour toujours, d'avoir perdu ma seule chance de me rattraper. La seule chance de changer, celle de lui montrer le meilleur de moi-même.
"Je t'aime..."
Je l'entend. Elle résonne dans ma tête, sa voix. Arrête. Stop, j'en peux plus. Qui de nous deux est celui qui souffre le plus ? Qui de nous deux est le plus méchant ? Pourquoi je m'en veux alors que même brisée tu arrives à m'atteindre, et pourquoi j'ai l'impression d'être aussi brisé que toi ? Pourquoi j'en redemande ? Pourquoi je veux être à tes côtés ?
"Ravie de vous revoir, je n'espérais pas que ce serais aussi tôt. ~
De même, ma demoiselle."
Sors de ma tête, laisse-moi t'oublier. Ne reviens plus dans cette rue. Je culpabilisais mais tu es pire que moi. On s'est brisés l'un l'autre et on reviens, pourquoi ? Laisse-moi partir. Va-t'en. Ne m'approche plus.
"Adieu monsieur, ce fut une agréable journée passée en votre compagnie. ~"
Sa voix si douce, si joueuse, si heureuse. Je t'ai brisée et tes souvenirs se vengent. Je t'ai brisée et tes morceaux se recollent. Je t'ai brisée et aujourd'hui je te regarde partir. Demain j'irais mieux. Tu m'as brisé et tu devras me regarder m'éloigner à mon tour. Une mélodie d'atrocité se joue dans ma tête, mélangeant tes paroles, tes sourires, nos rencontres, nos meilleurs moments passés ensembles. Cette mélodie mortelle me tue à petit feu. Je ne serais peut-être pas capable de m'éloigner tout compte fait.
"Oh, excusez-moi je ne vous avais pas vue. Vous allez bien ?
Oui.
Attendez, je vais vous aider à vous relever.
Quelle délicate attention monsieur."
Je l'ai aidée à se relever. Et elle me traîne désormais la tête contre le bitume. Mes émotions se mélangent pour ne devenir qu'un tumulte de haine. Je n'arrive plus à respirer. L'oxygène est source de gêne lorsque quelqu'un ignore notre main. Elle a refusé de saisir ma main et de m'aider à me relever.
"Que diriez-vous de danser ? ~"
Toujours ce même air amusé, ce même air joueur. Où avais-je donc la tête ? Quel amour ! L'horreur de ma vie, le poison de mon existence, le parasite de mes nuits. Cadavre de mon doux rêve, je vais apaiser ma souffrance et vous forcer à en endurer une bien pire. L'amour est une vengeance exquise qui nous permet à la fois de profiter des bons comme des mauvais moments. Dis-moi... Quand as-tu remarqué que je m'étais relevé sans ta main, sans ton aide ?
"Voyons, ne réagissez pas comme cela, il s'agit simplement d'un mal entendu. Nous trouverons une solution."
Ah ce sourire si je pouvais vous l'enlever j'en serais bien heureux. Je vous détruirais autant que vous m'avez brisé. Je vous haïrais pour l'éternité. Vous m'avez tendu une main alors que vous saviez que vous étiez en position de faiblesse. Maudite joueuse, je ne vous montrerais aucune pitié, ni plus aucune affection. Notre amour s'achève à vos dépends. Vous qui n'avez cessé de m'apporter souffrance, lorsque je vous ai fais sortir de ma vie cela ne m'a apporté que délivrance. Alors pourquoi diable ais-je toujours une image pure de vous ? Pourquoi malgré tant de trahisons je n'arrive pas à vous oublier ?
«Faites selon vos souhaits mon chère, mais j'ai souvent entendu dire que la haine ne dure pas longtemps, aux dépends de l'amour.»
Quelle arrogance. Quelle défiance. Ma vie n'a donc t-elle aucun sens, pourquoi a-t-elle tant de démence ? Pourquoi tant de souffrance ? Je me perd dans un labyrinthe de Jacinthes(1). Adieu Miss, aujourd'hui je ferme les yeux, demain je les rouvrirais, uniquement pour regarder ailleurs.
« Adieu, j'aurais voulu ne pas en arriver là. »
Ce sourire... Effacé. Cette voix joueuse et charmeuse... Effacée. Ce visage si expressif de ta joie... Effacé lui aussi. Tout effacé, tout oublié.
J'approche alors cette dame dans la rue, je la vois souvent passer par là. Ses longs cheveux noirs me fascinent.
« Qui êtes vous madame ? Je ne vois en vous qu'une inconnue, mais quelque chose en vous m'appelle...
Bon retour Leyan... Tu m'as tellement manqué... »
Sa voix m'hypnotise, autant que son regard qui m'envoûte. Qui est-elle ? Je ne la reconnais pas, pourtant elle semble me connaître.
« Que veux-tu faire aujourd'hui ?
Tout ce que vous voudrez. »
Son sourire à ce moment-là me paralyse. Elle m'a à nouveau piégée, les souvenirs me reviennent. C'est digne d'elle.
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(1) = La jacinthe blanche veut dire « je suis heureux de t'aimer » et dans le même style la jacinthe jaune veut dire « mon amour te rendra heureuse », alors qu'au contraire, la jacinthe pourpre exprime le chagrin. L'amour au sens d'heureux et au sens de chagrin représentent bien le texte.
©Starlight.