J'ai Faim

mylou32

Lorraine, et d'autres suivront...

JʼAI FAIM, J'ai faim et je ne sais pas le dire, dés qu'il y a quelque chose sur la table , je me précipite pour me le mettre dans la bouche , avant qu'on me l'arrache, car bien entendu, il y a toujours des personnes qui vont me mettre les doigts dans la bouche et m'enlever ce que je viens péniblement , en tractant trois hommes derrière moi, d'arriver à voler sur la table, il y a pourtant mon père, et ma belle-mère qui me regarde avec des yeux horrifiés, ah oui c'est vrai, cela ne fait pas longtemps qu'elle est avec lui, et à mon avis il a voulu la tester! Mais trêve de plaisanterie, il faut que je passe à la vitesse supérieure ils viennent d'amener une pile de tranches de saucisson, je l'avais senti en rentrant , dès le couloir de la porte d'entrée et je me demandais quand est-ce qu'ils allaient l'amener, il a une odeur ce saucisson! Je pourrais presque dire la race , du cochon noir en tout cas! Je réfrène un filet de bave qu'une main essuie discrètement , je calcule tout en secouant la tête ( ils appellent cela des stéréotypies) la distance qui me sépare de mon irrésistible désir, je suis entourée du kinésithérapeute, et du psychologue qui parle, qui parle, et je le vois par intermittence les lèvres qui remuent en un long discours sans fin, mais pas pour moi! Je n'entends pas un mot de ce qu'il raconte tout à l'échafaudage du plan qui va me permettre de me remplir, car quand je passe à l'action , les gens autour de moi sont tellement sidérés de ma célérité que le temps qu'ils réagissent , j'ai le temps d'ingurgiter tout ce que je peux attraper, mais au vu des deux sbires qu'ils m'ont affublé , l'un est occupé à remuer les lèvres mais l'autre il faut que je l'hypnotise, je me lève doucement en tournant sur moi même , dans un geste si lent, que les derviches n'auraient pas mieux fait, j'accélère le mouvement et je me sais si tournante qu'ils oublient le pourquoi je me suis levé . J'attends qu'ils prennent l'habitude de me voir tourner, oh juste quelques tours, un autre plateau arrive et les têtes se tournent vers lui, moi non, d'une pirouette bien calculée , je me retrouve devant la table et sa nappe blanche, bien garnie, des petits gâteaux apéritifs croustillants, des cacahuètes salées, des chips craquantes et surtout le saucisson! le pourquoi de toute cette stratégie ! Je les vénère ces tranches bien ordonnées , étagées, rangées en un ordre qui m'agace finalement ! Et je m'élance tel un avion sur la piste de décollage et j'atterris à plat ventre sur toutes les assiettes remplies de petits fours, de toasts qui ont occupés les petites mains une bonne partie de la matinée , après nos toilettes, il n'y avait pas eu d'activité à cause de cela, mais personne ne m'avait expliqué pourquoi tant d'agitation , pourquoi on m'avait mis ma plus jolie tunique, pourquoi on avait dérangé toutes les chaises et les avoir mis contre le mur, bien alignées, et puis on avait même zappé ma sacro sainte pomme, quand je l'ai demandé dans un effleurement de mon poing sur ma joue par deux fois( c'est comme cela que je l'obtiens habituellement ) l'éducatrice m'a gentiment répondu en signe bien entendu!

(C'est comme cela que je communique car je suis sourde)

"Qu'avec tout ce qu'il y aurait à manger à midi je me rattraperais", sauf que je n'ai rien compris, que le petit déjeuner était bien loin que ce qu'elle me promettait n'était même pas prêt, que je n'allais pas tout manger non plus, car on m'interdisait tout le temps de manger, le pire c'est quand on me disait de manger doucement alors que je n'avais pas mis la fourchette dans la bouche!

Pour l'heure c'était ma pomme habituelle que je demandais et refusée! Je n'arrivais pas à y croire! J'avais un trou à la place de l'estomac, que dis-je un abysse! Et en plus on m'interdisait l'accès de la cuisine ce qui avait un effet dévastateur sur mon moral, non seulement cela m'angoissait terriblement de ne pas voir que cela se prépare, les fumets et autres odeurs me rassurent, m'invitent à la suite, cela me dit en tout cas qu'il y aura une suite et pour peu que l'on me demande d'aider, alors là , c'est mon bonheur que de prouver que je sais faire, oh pas une recette entière mais éplucher de l'ail ou hacher des oignons c'est de mon ressort, à force de regarder j'apprends mine de rien! Et puis touiller ce qu'il y a dans la marmite, avec toutes ces effluves qui m'arrivent aux narines , voir tous les ingrédients mis les uns après les autres , donner le coup de cuillère qui fera remonter ces merveilleuses odeurs, promesses de saveurs patiemment élaborées. Et là plus rien! des prunes! des nèfles! des cacahouètes! donc rien!! on me refoule, je me sens rejetée , même l'arrivée de mon père et de sa nouvelle compagne m'angoisse plus qu'autre chose, rien n'est comme d'habitude, et le trou que j'ai en moi se met à grandir, à grandir! Tellement que je sens l'anéantissement tout proche, si je ne mange pas dans la seconde qui suit c'est ce trou béant qui va m'engloutir! Ce trou qui trop comblé peut m'amener à manquer d'air et ne plus respirer, eh oui! quand on aime on ne compte pas.

L'atterrissage sur la table parmi toute cette nourriture est jouissif, mes mains sont partout, sur toutes les assiettes, quand j'arrive aux tranches de saucissons, on commence à me tirer par les pieds mais j'ai juste le temps de me fourrer quelques tranches dans la bouche et puis des cacahouètes , je sens le sel autour de mes lèvres et de ce trou à combler, ma langue a le temps de lécher l'extérieur des commissures, je redécouvre le craquant des innombrables chips elles aussi salées à souhait.

On ne m'a pas donné ma pomme mais là, je me suis vengée,

en un sens je l'ai croqué, en un interdit sans reproches , pour le coup je n'ai pas manqué d'air!

on me donne un verre d'eau pour faire descendre le tout,

il y a trop de monde pour me serrer les joues et me reprendre sur mon envolée...

Si chèrement gagnée !

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