J’ai fait mon Service Civique
Camille Aime
Mon expérience débute en hiver 2012. Suite à l'obtention de mon diplôme, j'enchaîne les entretiens d'embauche et les refus quasiment inévitables qui suivent : « Votre profil est très intéressant mais vous manquez d'expériences ». Tiens donc ! Moi qui me suis farci des tas de stages cumulant ainsi plus de deux ans d'expérience pour ne pas entendre cette phrase…
Bref, j'ai un diplôme qui ne sert à rien quand on n'a pas la gueule de l'emploi.
Par gueule de l'emploi, je veux dire « jeune homme sympathique, intelligent mais pas trop car il ne faut pas poser de questions trop dérangeantes, issu d'une famille votant plutôt à droite (oui, oui, ça se voit au premier coup d'œil !) étant prêt à sacrifier sa jeunesse au nom du libéralisme ». C'est dommage pour moi car je suis « une jeune femme, parfois un peu chieuse, qui ne se contente pas des apparences, qui cherche toujours (c'est plus fort que moi) à aller plus loin pour comprendre dans quoi elle met les pieds (ce qui par certains peut être considéré comme un crime contre l'humanité capitaliste…) et qui est issue d'une famille votant plutôt à gauche (et oui, ça se voit aussi au premier coup d'œil) n'étant pas prête à sacrifier sa jeunesse au nom du libéralisme (à la limite au nom de valeurs humanistes, et encore ça peut se discuter…)».
Au bout de six mois, lassée des refus à répétition, j'ai cherché une manière de mettre à profit mes compétences (car j'en ai, Messieurs les employeurs !) au service de ceux qui pourraient être intéressés. J'ai alors atterri sur le site du Service Civique. Après un rapide balayage des offres publiées, je tombe sur une annonce proposant une mission pour mettre en œuvre la politique de développement durable d'un site en région parisienne. Là sincèrement, je me dis que ce n'est pas que du bénévolat mais quasiment un « emploi ».
Je prends le temps de faire un petit détour par la FAQ du site web du Service Civique pour regarder de plus près à quels avantages je peux prétendre : un peu plus de 500 euros par mois, la sécu et la retraite… En fait, le Service Civique est grosso modo la même chose qu'un stage sauf que les « volontaires » ne sont plus/pas étudiants et que l'expérience est plus longue qu'un stage.
Une remise en question s'impose : quel est l'intérêt pour moi de faire un énième « stage » qui ne sera pas considéré par les employeurs comme une « vraie » expérience ?
Partisane d'une agriculture plus respectueuse de l'environnement et des Hommes, je cherchais à ce moment-là un poste dans un secteur qui ne défend pas une agriculture industrielle - ce qui est aujourd'hui quasiment impossible en Ile-de-France. Alors finalement, le développement durable pourquoi pas, c'est en lien avec mes valeurs et puis j'aurais au moins l'impression d'être utile à la société. Alors, je me fais une raison en prenant cette occasion comme une possibilité de prouver mon engagement (qui est tout sauf financier à ce prix là !).
La suite s'enchaîne rapidement avec l'écriture et l'envoi de ma candidature puis la rencontre avec mon futur « tuteur ». Il me reçoit dans son bureau atypique et il me raconte la vie du site pendant deux heures. Je n'écoute pas tout mais il est évident que j'ai à faire à une vraie personnalité. J'ai un bon pressentiment. Il ne ressemble pas à ceux que j'ai pu rencontrer en entretien d'embauche. Rien que pour ça, je croise les doigts pour être « embauchée ».
Je commençai une semaine plus tard. Trouver ma place n'a pas été simple. D'abord, il a fallu que j'affronte les regards pessimistes des collègues mais aussi ceux de mon entourage. Malgré l'argument de l'engagement personnel pour une cause d'utilité publique, l'indemnisation à hauteur d'un demi smic par mois a du mal à passer. D'autres sont séduits car « c'est mieux que d'être chômeur aux frais de la princesse» (celle-là, elle est dure à encaisser). Quoi qu'il en soit, il est vrai que parfois je me sentais un peu comme un travailleur qui n'est pas payé comme un salarié.
Mon tuteur aussi a eu du mal à assumer ce statut, la frontière entre bénévolat et travail n'étant pas si évidente. Alors, je crois qu'il a compensé comme il a pu en s'investissant dans mon accompagnement et en me trouvant des missions intéressantes et « valorisables ». Et surtout, il m'a fait confiance.*
*Note aux employeurs : un jeune qui débute dans la vie active a un besoin ÉNORME de reconnaissance, soyez indulgents ! Il aura toute la vie pour se prendre des murs dans la tronche et pour se frotter à des connards…
Finalement, ce qui a donné du sens à mon Service Civique n'est pas uniquement l'implication dans une mission d'utilité publique mais bien les rencontres humaines que j'ai pu y faire et les réflexions sur mon engagement personnel. Et c'est en cela que le Service Civique est différent d'un stage. Mon tuteur ne s'est pas contenté de faire son travail, il s'est impliqué dans la démarche par choix.
Forte de ce constat, j'estime que rendre obligatoire aux jeunes la réalisation d'un Service Civique ou d'un « service nationale » est une aberration. La valeur du Service Civique tient principalement à la volonté de chacun de s'y investir. Dans mon cas, il est possible de parler de choix « forcé par le marché du travail » (et ce sera aussi le cas de tous ces jeunes à l'écart de la société). Cependant, j'ai eu le choix de le faire ou non et ça change tout... Au travers de cette expérience, j'ai pu interroger mon engagement personnel par rapport aux valeurs que je fais miennes. Elle m'a permis de mieux me connaitre. Si elle avait été forcée, il est difficile d'imaginer que j'en aurais tiré le même bénéfice. Au lieu de favoriser l'introspection, il me semble qu'une telle mesure favoriserait une pensée unique… anti-système !
Un texte très intéressant ! Merci d'avoir partagé ton expérience.
· Il y a presque 10 ans ·veroniquethery
Oui c'est un sujet d'actualité en ce moment alors je voulais donner mon point de vue. Merci de l'avoir lu!
· Il y a presque 10 ans ·Camille Aime