j'ai succédé à Rudolph

hectorvugo

J'ai succédé à Rudolph

 

 

Je me souviens. C'était hier encore.

Je m'étais fait une raison. Je n'étais pas comme les autres. Je le voyais dans le regard des passants. Je les effrayais. Ils changeaient de trottoir en nous approchant.

Je dis « nous » parce que je n'étais pas seul. Je formais avec Marie un couple étrange. Une anomalie amoureuse. J'avais 50 ans et elle 155. C'était ma « girl friend ».

J'avais dans  l'idée de le clamer à ces gens-là. Je poussais le vice jusqu'à le faire vraiment. Je leur récitais tel un comédien cabot cette phrase courte et explicite : « c'est ma meuf ».

Puis je prenais ostensiblement la main de Marie.

Geste banal mais si transgressif.

Nous nous aimions en pleine lumière. Je savais que d'autres le faisaient en cachette dans leur garçonnière à l'abri du quand dira t'on.

Le kiff à la mode c'était d'avoir une maîtresse ayant l'âge de sa grand-mère. Cette relation avait de multiples avantages, tous inavouables, comme se faire entretenir, privilégier la tendresse aux rapports bestiaux et éviter le risque de progénitures.

J'aimais Marie pour cela, mais aussi pour sa conversation.

Marie c'était un livre qui parle, un intarissable fleuve d'anecdotes. Je les notais toutes.

Je me souviens c'était hier encore.

Je me disais un jour, je raconterais sa vie. J'écrirais.

Un roman ? Peut-être pas. Une nouvelle ? Assurément.

M'étendre sur elle par écrit semble aujourd'hui au-dessus de mes forces, alors qu'hier mon corps en connaissait par cœur les joies et les devoirs.

J'enterre Marie. Je boucle la parenthèse de cet amour  dans la solitude de ceux qui n'ont personne autour d'eux.

Pas de condoléance possible avec un cortège dont je suis l'unique membre. C'est mieux ainsi.

En quittant le cimetière, j'ai la rage au cœur. J'attendrai un peu pour mettre les points sur les i et réparer la mémoire de Marie.

Les gens n'en gardent que les dernières images, celle d'une folie romantique incomprise. Oui elle a vécu ses deux dernières années avec un homme plus jeune qu'elle. Oui elle s'est entichée de moi parce qu'elle avait envie de se sentir aimer dans tous les sens du terme.

A présent vous savez tout ou presque…

Il me reste à vous narrer l'histoire d'une femme qui avant de finir sur un pied de nez à la morale a su traverser ce siècle avec drôlerie et panache.

 

 

 

Marie naquit sur un bateau au large de l'île de la Réunion le 1er mai 1862.

Son père, Albert était un navigateur de piètre niveau, une sorte de Christophe Colomb pour qui approcher des cotes de Saint-Denis signifiaient découvrir l'Australie. Le pauvre n'avait jamais eu de sa vie un sens aigu de l'orientation. Seul, son talent pour dompter les océans le préservait des malheurs de monde.

Sa mère, Justine, presque à terme, resta allonger les derniers jours de leur voyage. Dans sa cabine, elle sentait la mer jouer les ascenseurs de houles.

Quand elle perdit les eaux, le bateau venait juste d'accoster. Elle accoucha au petit matin après 10 heures de souffrance,  difficile à croire en regardant cette petite crevette rose aux yeux clos poser sur son ventre.

 

5 ans après, la crevette avait déjà un sale caractère. Elle ne supportait pas la moindre autorité. Une injonction et elle braillait. Albert laissait à Justine le soin d'incarner la barrière de la raison.

Duel de femmes que Marie remportait en appliquant la stratégie de la bouderie. Elle savait y faire et avait une ténacité incroyable. La sale gosse !!!

« Une chieuse » pestait Justine à voix basse. Il lui aurait fallu recevoir une soufflante d'Albert. Mais, le pauvre baissait pavillon rien qu'en fixant sa fille.

C'est vrai qu'elle sut jongler avec les hommes très tôt, consciente de son charme.

Petite, elle utilisait ses yeux et son visage mutin d'où émergeait un sourire à qui on ne résistait pas.

Marie c'était une présence, un magnétisme dès son plus jeune âge.

Le jour de ses 6 ans, elle exigea de son père qu'il arrêtât son navire au large de cette terre qu'Albert appelait les indes par envie de faire rêver sa fille

En vérité le bateau approchait de l'île Maurice.

A force de travestir la vérité des cartes, la gamine devint nulle en géographie. Pire, le sens de l'orientation lui fut étranger.

Cette tare, Marie l'avait héritée de son père. A tel point qu'elle n'eut aucun doute d'être sa fille. Pas besoin d'étude ADN.

De sa mère, elle avait récupéré la beauté et cet incroyable don de persuasion.

En résumé, Marie maitrisait le double art de se perdre où qu'elle fût et d'embobiner un homme quel qu'il  fût.

Sa vie se résumerait à  demander son chemin à un inconnu qui deviendrait son compagnon un jour.

La famille de Marie revint sur Paris quelques années plus tard.

N'ayant plus assez d'argent Albert se rempluma en écrivant des livres de voyages que Justine illustra. Un vif succès leur permit d'embrasser à nouveau la fortune. Ainsi pouvaient-ils quitter la France pendant la mauvaise saison pour rejoindre l'océan indien.

 Le jour de ses 22 ans, au sortir d'un repas chez son oncle (un charpentier incapable de planter un clou devenu banquier par hasard), Marie tomba nez à nez devant un notable. Il rentrait lui aussi d'une soirée. L'homme bedonnant portait un costume noir et une barbe « tendance Jules Ferry ».  Il faisait nuit. Cet homme-là n'était qu'une ombre, précisons une ombre aimable pratiquant un français de haute volée. L'individu se proposa de raccompagner Marie chez elle.

-          Elle accepta toute guillerette :   l'idée de traverser à pieds les grands boulevards en votre compagnie m'est agréable.  

-          L'homme lui rétorqua : nous ne marcherons pas Madame. Nous ferons le chemin avec ceci

Il lui montra un carrosse sans cheval stationnant au bord du trottoir.

Il conduisait ce drôle d'engin : une automobile. Une De Dion Bouton La Marquise. Cela en disait long sur l'importance du personnage.

Ce type devait être riche. Il portait surement un nom à particule. A moins qu'il ne fût un très haut fonctionnaire de l'état. Qu'importait c'était un homme bien puisqu'il transporta Marie jusqu'à chez elle sans être discourtois.

Il avait de ces manières aimables qui vous réconcilient avec le sexe fort. Tout en délicatesse.

A l'aide d'une lampe à pétrole qu'il avait tenu le temps de l'aider à descendre du véhicule et faire les quelques hectomètres jusqu'à la porte de sa maison, Marie aperçut réellement son visage. Mon dieu qu'il était vieux. Quel âge pouvait-il avoir 50, 60 ans ?  L'homme ôta son haut de forme. Marie regarda son font  plus tout à fait lisse. Elle n'eut aucun doute. Le notable était de la génération de son père.

Sa voix, elle, était toujours aussi rocailleuse et douce. Elle l'entendit peu après avoir reçu un baise main.

-          A très bientôt j'espère Madame. Ce fut un plaisir.

-          Plaisir Partagé Monsieur

-          Bonsoir Madame

-          Bonsoir Monsieur

Il remonta dans son carrosse à moteur et s'éloigna. Marie eut le regret soudain de ne rien savoir de lui. Pas même son nom.

Le lendemain, Marie  le découvrit à la une du Figaro. Pas de doute, sur l'identité du gentleman d'hier soir, la photo de son portrait accompagnait ce titre : LE PREFET DES DECHETS.

C'était Eugène Poubelle.

 

Le surlendemain, le même Eugène lui adressait une lettre d'une écriture ronde et sure.   

L'homme voulait la revoir. Il lui proposait un rendez-vous quasi clandestin d'ici une semaine.

 

 

 

 

Avoir une « date » avec un préfet en plein Paris était un risque pour lui, mais pas pour elle. Marie y voyait le moyen de s'échapper, de s'encanailler aussi.

Marie répondit par l'affirmative et par écrit rapidement. C'était nouveau et excitant.

Elle devait se présenter à une adresse prestigieuse, un hôtel, y demander un certain monsieur Edouard. Ce prénom était un pseudonyme utilisé par sécurité.

 

Le concierge de l'hôtel dévisagea Marie. La pauvre faisait tâche de par son apparence et son maintien pas suffisamment fier.

Elle sentait le peuple. Sans avoir indiqué distinctement qu'un Monsieur Edouard l'attendait, elle aurait été reconduite sur le champ.

Sa vie bascula en énonçant ce prénom le 11 mai 1884.

Ce même jour à l'heure du crépuscule, elle perdit sa virginité dans les bras de ce même Edouard. D'ailleurs fallait-il dans le privé d'une chambre continuer à l'appeler ainsi ? Elle s'en voulait d'avoir joui pour la première fois en criant « Eugène ».

Heureusement que tous deux occupaient une suite, personne ne les avaient entendus.

Ainsi commença une histoire d'amour particulière, une histoire sans sentiment, où seule la peau commanda le désir de chacun.

Coucher avec un vieux ne semblait pas une chose si terrifiante.  A l'horizontal, Marie voyait le corps de son amant d'un autre œil. Il n'était pas aussi flasque, aussi ridé. Il avait le double avantage de l'expérience et de la douceur.

Une sorte d'ours en peluche sachant vibrer et pénétrer à bon escient.

Une formule, vous en conviendrez, pas très 19éme siècle, mais si proche de la réalité.

La liaison dura 4 ans et s'acheva comme elle avait commencé : sur une lettre.

Une lettre de rupture.

 

Marie n'en souffrit pas. Mieux, elle remercia la providence d'avoir eu ce sens du timing. Grâce à Eugène, elle était devenue une femme du monde, un électron indépendant dans une société machiste, un mouton noir dont on rêvait secrètement en posséder le cœur.

L'heure n'était pas  à la romance mais au pragmatisme d'une vie que Marie menait déjà à sa guise.

Elle logeait toujours dans l'appartement de ses parents, lesquels étaient partis parcourir l'océan indien. Ces voyages  barbaient Marie. Elle préférait rester en métropole.

A ceux qui lui demandaient : «  avez-vous des nouvelles de Justine et d'Albert ? », Marie leur répondait avec malice : « ils vont bien. Ils sont à La Réunion depuis peu ».

Leur dernière lettre datait de deux mois. Son père se plaignait de toux récurrentes, sa mère, de manger trop de poissons.

Puis vint le courrier de 15 juin 1888. Un mot court, terrible : Ton père est mort, nous l'avons enterré Saint-Denis hier. Je crois bien que je vais le suivre bientôt. Viens vite Marie

Elle en avait de bonne sa mère. « Viens vite ». Au mieux Marie atteindrait La Réunion après quelques mois de traversée. Et ce en partant du Havre. La cité normande était à quelques jours de cheval de Paris. Question rapidité, c'était presque comique.

Toutefois, elle prit la mer par devoir.

Elle aperçut la capitale de l'ex île Saint-Louis après presque 5 mois de voyage.

A peine posé le premier pied sur la terre ferme, Marie apprit la mort de sa mère de la bouche d'un abbé local  nommé Chamel.

Il usa des précautions d'usage avec tact et humanité.

Pour Marie, ses parents étaient devenus des étrangers. Pour autant, elle n'avait pas imaginé que de les voir enterrés le dos à l'océan lui fit aussi mal.

Elle avait une peine sincère face au fiasco de leur vie.

Qu'avaient-ils fait pour que l'on se souvienne d'eux ? Rien, puisque leur tombe n'était pas fleuri.

Le sel mangeait déjà la croix du christ.

 

Le notaire lui annonça qu'elle héritait d'un appartement à Saint-Denis et quelques arpents de terre à Saint-Leu et d'un pécule rondelet. Ce fut une agréable surprise. Restait le navire qu'elle récupérait aussi. Qu'en faire ? Le vendre ? Non. Qu'en aurait-elle tiré ? Pas grand-chose.

Marie eut une idée folle. Voyager. Comme si elle voulait rendre hommage à ses géniteurs.

Ou aller ? Une évidence s'imposa à elle : rejoindre le nouveau monde. Rejoindre l'Amérique. Les indes de Christophe Colomb.

Avec son sens de l'orientation, le pire était à venir. Heureusement, Marie s'entoura. Elle paya  plusieurs hommes d'équipage dont L'Abbé Chamel (cuisinier à ses heures) et Un portugais (homme à tout faire et navigateur expérimenté) que l'on surnommait Magellan.

Avec lui, tous atteindraient surement l'Amérique.

Direction New York.

 

Elle avait quelques kilos en trop. Marie se disait qu'une longue traversée l'aiderait à perdre du poids. L'océan Indien en antipasti, La méditerranée en hors d'œuvre, l'Atlantique en plat de résistance. Ce dernier fut terrible avec ses tempêtes, ses creux de plusieurs mètres.  Marie et Chamel en furent malades. Seul Magellan et les autres moussaillons résistèrent on se demande comment.

Mystère de la nature. Robustesse des êtres.

Puis un beau jour, ils virent la terre ferme. L'Amérique du Nord.

 

Première vision : cette muse drapée, cette égérie de Liberty island donnant l'impression de marcher sur l'eau quand on l'observait de loin, presque un mirage sur qui Marie et son équipage versèrent quelques larmes.

La statue était bien trop opulente par rapport à ce paysage derrière elle : une ville truffée d'immeubles dont certains n'ayant pas fini leur croissance.

New York était une adolescente confiante malgré ses petits seins, ses rondeurs à peine déterminées et son acné. Dans les yeux de Marie, elle avait l'apparence d'un mannequin à qui l'avenir promettait tant.

Nous étions le 14 septembre 1889.

 

Les jeunes cités ont un avantage sur les vieilles villes : elles n'accordent aucune importance aux réputations. Elles vous donnent une virginité épatante.

New York était une marmite de gens infréquentables, un dépotoir d'individus que l'Europe ne voulait plus. Et plus amusant encore, les gens biens un tantinet aventuriers y plongeaient sans crainte.

Aussi trouvait on normal de voir dans un restaurant à la mode se côtoyer à la fois des gangsters  et des hommes d'affaires venus tout droit de Londres.

Marie avait réservé une grande table. Elle invitait son équipage. C'était un repas d'adieu. Et il fallait le deviner. Car quand vous tendiez l'oreille, rien ne vous poussait à penser que ces hommes et cette femme allaient se quitter bientôt.

Les moussaillons, Chamel, Magellan riaient et parlaient forts. Marie les observaient, amusée et silencieuse. Son esprit était déjà ailleurs. Il prévoyait l'après.

L'après c'était quoi ?

C'était un homme élégant assis à une table en retrait située au fond de la salle. Un homme que Marie avait remarqué à l'instant où il s'y installa.

Il ne ressemblait pas aux autres. Il n'était pas en représentation, un brin sauvage avec cette manie de consulter un calepin et d'y noter frénétiquement quelques mots. Il dînait seul.

Autour de lui, on le regardait comme s'il était quelqu'un d'important, du moins ici dans ce pays.  Marie, elle, ne le connaissait pas. Et quand elle demanda au serveur l'identité de ce moustachu ténébreux, on lui ria au nez. «  Comment Madame !!! Mais c'est Mark Twain. Vous n'avez pas lu Tom Sawyer ».

Non. En mer elle avait lu seulement Victor Hugo.

Pendant le reste du repas, elle se détacha de ses voisins de table. Plus rien ne comptait pour elle que cette écrivain là-bas mangeant son potage et son quignon de pain avec une lenteur incroyable, scrutant parfois par la fenêtre la rue et son spectacle nocturne, notant fiévreusement le fruit de ses observations comme s'il avait peur de les oublier.

Mark Twain n'avait pas la jeunesse pour lui. Mais Marie s'en moquait. Elle aimait la maturité.

-          Magellan l'apostropha : Madame, cela fait un moment que vous n'êtes plus avec nous. Qui occupe vos pensées ?

-          Chamel un brin moqueur : je crois mon cher que c'est cet homme là-bas

-          Tout juste Messieurs. Le serveur m'a confié tout à l'heure que c'était un écrivain célèbre.

-          Ah bon !

-          Oui Monsieur Chamel. Il paraît que c'est Mark Twain

-          Magellan s'exclamant : pas possible ! J'adore ses livres

-          Marie surprise : Vous l'avez lu ?

-          Oui.

-          Il serait temps que je me mette à jour

 

 

Marie en avait l'intention. Mais à sa manière. La lecture ne l'intéressait pas. Elle préférait  l'homme à l'écrivain, la chair aux mots.

L'équipage se dit au revoir sur le trottoir de l'avenue, chacun allant vers son destin. Elle aurait pu verser une larme, être étreinte par un instant de nostalgie. Mais non. Marie pensait au futur proche, quand elle et Twain se retrouveraient face à face. Elle avait calculé son coup, s'était placée près de la porte dans l'attente de le voir et de mettre en place son stratagème.

Au moment où Twain sortit du restaurant, Marie fit tomber un mouchoir, se pencha pour le ramasser.  L'homme fut plus prompt qu'elle et plus galant.

La rencontre avait lieu. Contact presque physique. Ils étaient si proches qu'elle eut le loisir de sentir son parfum. Aucune déception hygiénique. En revanche Marie était déçue par un détail. Twain était plus petit qu'elle ne l'imaginait. Elle n'eut pas à baisser la tête pour le regarder dans les yeux. Agréable sensation d'égalité.

Lui d'habitude si peu disposé à se laisser désarçonner par les yeux d'une femme, abandonna son rôle d'homme bourru. Twain s'ouvrit à Marie. Et elle profita de la faille.

L'amour nait parfois dans l'opportunisme. Or, ici c'était le cas. Il avait suffi d'une seconde pour tout changer.

Marie était experte en la matière.

Elle mit son charme en pilotage automatique.

Quand un écrivain cherche ses mots, c'est qu'un trouble le prend.

Twain était en panique car en manque soudain de vocabulaire. Il opposait devant le minois de Marie, un curieux silence plus bavard sur ses sentiments qu'un poème bien senti.

Elle prit les rênes de la conversation avec un savoir-faire étonnant, appelons le diplomatique.

Elle fit en sorte de mettre Twain sur un piédestal pour qu'il recouvrât la confiance.

-          Une phrase avait suffi.  Une demande.  Vous qui connaissez New york mieux que moi, savez-vous ou je peux vous offrir un verre pour vous remercier ?

-          Vous remerciez de quoi Madame ?

-          D'avoir si gentiment ramasser mon mouchoir

-          Je ne sais pas si je dois accepter votre invitation. Une femme ne convie jamais un homme. C'est contraire aux convenances et ce n'est pas galant

-          Je vous sais galant homme, monsieur. Inutile de faire vos preuves. Aux diables les convenances, laissez-vous faire. Marie finit sa phrase par une sensuelle chorégraphie. Elle caressa la main droite de Twain.

-          Deux secondes de silence et Twain se rendit : comment vous désobéir madame, devant le charme qui est le votre

Connection établie.

 

Pour autant, aucune biographie sur l'auteur américain ne fait état de cette rencontre. Twain n'en a jamais parlé.

Comment croire Marie ? Affabulerait-elle sur cette histoire ? Non, Chers lecteurs. J'ai en ma possession un élément matériel qui le prouve : une chemise ayant appartenu à Mark Twain, la même qu'il porta le soir ou ils se connurent.

Ils burent un verre dans un bar de Manhattan, discutèrent, se plurent et finirent la nuit dans l'appartement de l'écrivain face à la mer.

Pour la première fois de sa vie, Marie vit un océan sans avoir la sensation de tanguer.

La peau de Twain était plus lisse que celle d'Eugène Poubelle, moins flasque, de sorte qu'elle ne la pensait pas aussi proche de la cinquantaine. L'écrivain avait su rester jeune par  le soin qu'il avait à le rester. Il faisait du sport, suivait une alimentation, pas trop grasse et, plus important que tout : il voyageait.

Il connaissait les Etats-Unis comme sa poche et se targuait d'être un guide touristique vivant.

-          Si tu as le temps, je te ferais visiter le pays par le train

-          Est-ce qui nous y ferons l'amour Marc ?

-          Je crains que la promiscuité des voyageurs nous y empêche.

-          Quoique… La nuit tombée les autres dorment

-          C'est vrai. Blague à part, as-tu les moyens financiers de cette folie ?

-          Faire l'amour avec toi dans un train ?

-          Non… Traverser le pays par le train

-          Je suis presque rentière Mark. J'ai hérité de mes parents

-          Soit. Alors partons dès demain, tu veux.

-          Et ton métier ?

-          J'écrirais des récits de voyages à la place d'articles, voilà tout

 

Bien avant Kerouac et la route 66, Marie visita l'Amérique d'Est en Ouest par le rail. Aucun livre de Mark Twain ne relate cet épisode, ce qui m'amène à penser que la caresse du papier n'a pas été sa principale obsession.

San Francisco n'était pas encore connu grâce à ses hippies, ses routes en descentes, encore moins son golden gate.

Marie et Mark s'installèrent dans une maison bleue adossée à une colline, pas ouvertes pour autant à n'importe qui.

Ils vécurent en union libre sous le regard courroucé d'une société accrochée à ses traditions. La cité californienne sentait la vieille Europe.

Marie devint journaliste sous le pseudo de Caliminity Pen.

Twain lui trouva une place grâce à ses relations.

Elle s'imposa comme chroniqueuse mondaine, spécialiste pour faire et défaire les réputations.

Marie était connue à la fois pour sa plume et son carnet d'adresses.

Elle allait de fêtes en fêtes, adoptant une technique personnelle. Elle savait être proche sans être intrusive dans une distance amicale comme une chatte imposant sa compagnie quand elle le désirait. Les gens de la haute, les artistes, les diplomates étaient heureux et effrayés de l'avoir sous leur toit.

Aussi passa-t-elle le nouveau siècle et la première décennie avant la grande guerre en observant cette société de près. C'était un métier si prenant que Marie mit sa vie femme entre parenthèse. Twain l'avait quitté à l'aube de l'année 1900.

Elle se retrouva sans homme pour la première fois de sa vie. A presque 40 ans.

Le jeûne de l'amour.

Le Ramadan des caresses dura quelques années. A sa grande surprise Marie sut faire sans. Comment ? La recette fut simple. Tuer le temps. Elle enchaîna les activités mondaines et autres,  avec une boulimie folle. Ses détracteurs pensaient qu'elle se droguait même. La rumeur circulait : « Calimity Pen prend de la coke ».

Les racontars remontèrent jusqu'aux propriétaires du San Francisco Chronicle. On faillit licencier Marie.

Heureusement le rédacteur en chef avait horreur des « on dit ». Il n'en tenait jamais compte.

Elle tenta d'oublier les années noires 14-18, ces lettres qu'elle recevait de France sentant le sang, la mort, la souffrance et les larmes. La guerre, même si loin d'elle, l'avait détruite. Sournoisement. Comme un poison. Au début, Marie avait cru à un conflit rapide, une formalité. Puis, elle se rendit à l'évidence. La chose s'enlisait. Le vieux continent se suicidait. L'Amérique allait s'en mêler. Des yankees partaient vers le front. C'était donc gravissime.

Sur la côte Ouest, seuls les gens cultivés en parlaient. Cette guerre semblait lointaine, presque irréelle. Parfois un journaliste reporter revenant de France relataient les événements. On le prenait pour un illuminé. Ce qu'il disait était dément. Quoi ? Des tranchées ? De la chair explosée ? Des cadavres par milliers ? Ça fait 3 ans que ça dure ? Et ce n'est pas fini ?

Des dingos venus d' Hollywood voulaient s'emparer du sujet. Certains esprits retors imaginaient déjà des projets de films. On s'interrogeait à mot couvert. Le public était-il près ? Pour les plus optimistes : oui. A condition d'avoir une histoire avec une fin très heureuse, comme ces scènes de liesse à New york ou une foule immense fêtait l'armistice.

Marie ne croyait pas à cette folie. Un film ! Depuis quand cette chose-là existe ? Elle n'avait jamais été convaincue par cette invention. La photo c'était déjà hallucinant.

Pourtant autour d'elle, on en parlait très sérieusement.

-          Viens dans une salle et tu changeras d'avis. Le cinéma c'est l'avenir ! lui glissa un bon ami.

Le 20 novembre 1918 Marie découvrit dans une salle de San Francisco les images de Time square fêtant la fin de la guerre ivre de bonheur. Elle vit pour la première fois des images bougées sur un grand écran.

Vinrent Les années 20.

Elles frappaient à la porte et on ne les avait pas vues entrées dans le monde. Marie avait l'âge de la retraite. Impensable en la voyant.  Son visage et son corps trichaient si bien et sans user d'artifices.

Elle écrivait encore, mais son venin s'adoucissait. Elle n'avait plus la dent aussi dure, seule une ironie mordante restait présente dans ses papiers.

Marie écrivait quelques articles sur le cinéma. Elle en était une groupie.

C'était devenu une industrie avec ses codes, ses vedettes. Marie entretint des relations amicales avec Charlie Chaplin, Harold Lloyd.  Elle n'avait plus couché avec un homme depuis plus de 20 ans. La tendresse épidermique était presque un vieux souvenir. La nature reprendrait elle le dessus ? Marie en doutait. Son corps hibernait souvent. Il fondait parfois à l'évocation de quelques aventures sexuelles lointaines.  Mais aucun homme n'avait su réanimer la flamme….

Jusqu'à la rencontre avec un fameux acteur. Un phénomène. Osons le mot : un « sex symbol ».

 

Elle fit sa connaissance en 1922 dans une villa d'Hollywood lors d'une soirée de lancement pour le film «  Arènes sanglantes ».

A l'instar de l'Aurélien d'Aragon qui n'avait pas considéré Bérénice à son goût, Marie trouva Rudolph Valentino quelconque de loin, pire, pitoyable de prés. Surmaquillé, sentant la cocotte à 10 mètres, le bellâtre italien l'avait déçu.

On lui avait tellement venté son charme que Marie se l'était imaginé. La réalité avait tué le fantasme avant même que les présentations furent faites.

Marie dut se plier à l'exercice qu'elle détestait le plus : être diplomate, simuler la déception.

Le producteur, le maître de maison joua les entremetteurs entre Marie et Rudolph.

L'italien sortit son plus beau sourire. Marie reconnut qu'il eût de belles dents. Puis Valentino se plia au baise main.

Des lèvres incroyablement douces se posèrent sur la presqu'île de son poignet. L'homme avait un savoir-faire indéniable. Il lui rappelait Eugène Poubelle dans son art d'embrasser. Délicieux souvenir qui eut le don d'adoucir l'opinion de Marie. Ce Valentino méritait une nouvelle étude.

Le regard sur lui fut moins dur, plus flou.

Et l'oreille….

L'oreille resta en sommeil jusqu'à l'ouïe d'une voix. La voix du comédien. Jusque-là Marie n'avait jamais imaginé que le charme de l'italien passât par ses cordes vocales.

Comment penser un instant que lui l'homme d'image, lui l'icône du cinéma muet put la déboussoler par quelques mots lancés en anglais avec un petit accent transalpin.

La défiance disparut avec la conversation.

Et l'alcool aidant, Marie eut des retrouvailles étonnantes avec un sentiment dont elle se croyait guéri pour toujours.

L'amour fut de retour par effraction. Elle le reconnut d'emblée par un frisson qu'elle n'arriva pas à contenir.

Elle tremblota.

Rudolph lui donna sa veste pour la réchauffer un peu.

La cité des anges brouillait les cartes avec les saisons. On ne savait plus si l'on était au zénith du printemps, à l'été naissant ou à l'aube d'un automne clément. Il faisait doux. La nuit posait un souffle chaud sur les plantes, les murs des maisons et les routes.

Rudolph grilla une cigarette dehors, Marie l'accompagna. Elle ôta la veste de l'italien, dévoilant théâtralement sa robe décolletée. Un jeu de pénombre gomma les imperfections de sa peau. Il rajeunissait Marie. De sorte que son âge ne se voyait pas. C'est vrai qu'elle s'entretenait, faisait du sport, suivait un régime biotox avant l'heure.

On lui donnait 40 ans à Marie.  40 ans. L'âge de toutes les passions, de tous les fantasmes, l'âge ou la maturité et la jeunesse forment un alliage auquel le désir ne résiste pas.

Valentino craqua littéralement devant Marie. Il tomba en amour.

Comme Eugène, il écrivit le lendemain à Marie. Comme Eugène, il lui proposa de la rejoindre dans une chambre d'hôtel.

Le 11 mai 1922, 38 ans jour pour jour après avoir perdu sa virginité, Marie se donna à Rudolph dans un abandon dont elle ne se croyait plus capable.

A presque 60 ans elle plaisait encore et connaissait de nouveau le plaisir.

Une liaison clandestine de 4 ans s'ensuivit au cours de laquelle, Marie s'installa à New-York, abandonna son activité de journaliste pour écrire des romans.

Ses voisins aperçurent quelques fois, un homme élégant à la tempe grisonnante lui rendre visite. C'était Rudolph grimé à la perfection par une maquilleuse du tonnerre que le studio payait une fortune. Personne ne l'avait reconnu.

Il se faisait passer pour un certain  Monsieur Taylor quand il réservait une table pour deux dans un restaurant près de Broadway.

Marie aimait et détestait à la fois ces diners aux chandelles. Elle avait si peur que l'on remarque la supercherie, que l'on démasque son chevalier servant. Les gens étaient donc aveugles, ils ne voyaient que l'homme d'affaires et son costume noir.

Marie était bluffée par cet accent anglais que Rudolph maitrisait parfaitement. C'était un acteur rare. Un maître dans le mentir vrai, au point qu'elle ne sut jamais si son « je t'aime » fût sincère ou non.

Le 23 août 1926, le bel acteur décéda d'une septicémie laissant Marie incrédule et ivre de chagrin.

Comment pouvait-il mourir ? Lui qui était certain de vivre au-delà de 100 ans. Il s'en était confié à elle lors d'un dîner. Il était fou de partager ce secret avec Marie, ce secret dans cette fiole qu'il avait acheté à un pharmacien chinois de Times Square.

Nous étions le 1er août 1926. C'était la dernière qu'elle le voyait.

-          C'est un traitement révolutionnaire ma chérie. Avec, on peut vivre 150 ans

-          Mais c'est impossible ?

-          Marie. Si tu voyais la tête de ce pharmacien. Il a plus de 100 ans et il en paraît 40 ans.

-          Et tu le crois ? Voyons.. Il est peut être maquillé.

-          Non je l'ai vu de prés. Et j'en connais assez sur le sujet…

-          Mais voyons Rud…

-          Marie. Je veux saisir cette chance.  Je commence le traitement début septembre. Tu devrais essayer. Je te laisse son adresse.

Rudolph Valentino ne le commença jamais. Il mourut dans cette jeunesse éternelle qu'il caressait de connaître. Quelle ironie.

Marie n'assista pas aux obsèques. Elle détestait la foule et son hystérie. Elle en lut le compte rendu dans la presse.

Le 30 aout 1926, le pharmacien frappa à la porte de Marie.

-          Un homme a laissé ceci pour vous. Je devais vous le donner au cas où il lui arriverait malheur.

Il tenait dans sa main une mallette de médecin. A l'intérieur dix fioles d'huiles essentielles, un livret de posologie et un mot de Rudolph.

Les paroles s'envolent et les écrits restent. Cette lettre était une déclaration d'amour. L'italien n'avait pas triché avec Mairie. Il l'avait aimé vraiment. Ultime preuve de ce sentiment : il lui léguait son traitement et lui demandait qu'elle le suive.

Avant de remercier le chinois, elle l'observa attentivement. I 'homme affichait une jeune maturité sur son visage. Seule sa barbe laissait planer un doute. Elle était aussi blanche que celle d'un vieillard.

Ce détail eut raison de son scepticisme. Elle commença le traitement début septembre. Pour la mémoire de Rudolph.

Revenir sur la côté Ouest s'imposait à elle, parce que  Marie ne  supportait plus  New York et que la tombe de Valentino était au Hollywood Forever Cemetery.

Elle mourrait d'envie de se recueillir auprès de lui, mais comment faire avec ces admiratrices dont beaucoup s'écroulaient de chagrin au pied de sa sépulture.

Rudolph ne lui avait jamais appartenu officiellement. C'était mieux ainsi pour Marie. On l'aurait tué de jalousie en ayant su leur histoire.

Il fallait être patiente. Laisser le temps au temps. Les premiers mois furent durs parce qu'elle devait tricher sur son état, faire l'actrice, demeurer la mondaine, l'ex journaliste, l'écrivain éveillant une certaine curiosité.

On lui demandait : « sur quoi écrivez-vous ? ». La question n'était pas anodine. On avait  peur qu'elle dévoile des indiscrétions sur untel ou untel. Marie faisait encore grincer des dents. Elle savait tant de choses sur tant de gens.

Elle rassurait son monde en disant : «  j'ai l'intention d'écrire un roman ». Les visages se décoinçaient d'un coup, une décompression faciale à la mesure de la trouille qu'aurait engendrée une biographie.

Calimity Pane ferait donc dans le roman. En attendant on la trouvait sacrément bien conservée pour ses 64 ans. Peu de rides, la peau sucrée, la ligne svelte et les yeux toujours veloutés d'un vert émeraude. Des hommes tournaient autour d'elle comme des abeilles autour d'un pot de miel. Aucun n'obtint l'autorisation de s'y poser. L'amour, elle n'en voulait plus. Marie se contentait des regards d'envie.

 

Savait on que tard le soir, chez elle, elle s'écroulait dans son lit, laissant du rimmel et des larmes sur les draps ? Non. Marie partageait le lot des veuves silencieuses, des maitresses à qui la perte d'un amant n'intéresse qu'elles.

Puis les larmes s'étaient taries peu à peu laissant place à une nostalgie douce et amère.

Marie continua d'écrire et signa avec un éditeur avant même d'achever son manuscrit. La sortie du bouquin était prévue fin août 1927.

Un an tout juste après le décès de Rudolph.

Sa tombe recouverte de fleurs fit la une des journaux. On ne l'oubliait pas. Des femmes par centaines défilèrent ce jour-là pour déposer une rose sur sa stèle.

Elles furent moins de moins nombreuses les années suivantes. Pas suffisamment pour que Marie se joignît à elles.

Il fallut attendre 20 ans. Le 23 aout 1947.

Le mémoire de l'acteur ne déclenchait pas autant d'hystérie.

Marie sortit habillée d'une robe sombre, le visage caché par un voile. Elle laissa une orchidée sur la dalle de son bien aimé.

Elle perpétua ce cérémonial pendant des décennies, créant la légende de la femme en noir.

 

23 aout 2016. J'étais en villégiature à Los Angeles. Par curiosité, je visitai le Hollywood Forever Cemetery. Je cherchai la tombe de Rudolph Valentino. Je demandai mon chemin à une femme. Son visage était caché par un linge transparent de couleur noir. Elle portait une toge tout aussi noire, très près du corps. Belle ligne, courbes parfaites. Surement une de ces créatures refaites aux bistouris.

-           Avec un fort accent franglais. Excuse me, Do you know where is the Rudolph Valentin tomb ?

-          Elle me répondit :   vous monsieur, vous êtes français 

-          Vous aussi. Vous le parlez sans une pointe d'accent, madame.

-          Normal. Je suis française

-          Parisienne ?

-          Oui. Même je n'y suis pas née. Ah Paris. Ca fait plus d'un siècle que je n'y suis plus allée

-          Elle enleva son voile et me regarda fixement. Elle avait un visage étonnant. Pas retouché pour un sou. J'osai la flatter : un siècle ? Mais vous ne faites cet âge

-          Détrompez-vous

-          Vous blaguez !

-          Vous me donnez combien ?

-          A vue d'œil.. 45 ans, 50 ans

-          Vous êtes loin du compte mon pauvre

-          Je détournai la conversation.  Mais dîtes moi, vous n'avez pas répondu à ma question

-          Laquelle ? Je l'ai déjà oubliée. Pardon c'est l'âge

-          Savez-vous ou je peux trouver la tombe de Rudolph Valentino ?

-          Suivez-moi, j'y vais

-          Elle tenait dans sa main droite une orchidée. Je me risquai : cette fleur c'est pour lui ? Vous êtes de sa famille ?

-          En quelque sorte. A vous je peux le dire. Il y a prescription depuis. J'ai été sa dernière maîtresse

-          La révélation me scotcha : vous avez plus de 100 ans ! C'est impossible.

-          Bien des choses vous dépassent jeune homme. Maternellement, elle me prit la main.

-          Oh pardon, je n'aurais pas dû. Nous ne nous connaissons pas

-          Pas encore (tout en lui touchant aussi sa main)

Qu'avais-je fait en lui caressant l'index, en plongeant mon regarde dans le sien ? J'avais créé une proximité étrange. J'avais retissé l'histoire d'un désir qu'elle n'avait plus senti depuis le milieu des années 20, presque 100 ans s'était écoulés avant que Marie n'acceptât qu'un homme ne la touche de nouveau.

Et cet homme c'était moi. Un petit français paumé dans Los Angeles. Un journaliste à la noix que son rédac chef' avait envoyé sur la côté ouest pour faire un papier sur la dame en noir.

Ce même rédac'chef m'envoya un sms. Il était 16 heures ici, 1 heure du matin à Paris.

Alors la vieille tu l'as trouvée ?

Comment lui dire en trois mots que j'avais vu la vieille en question, qu'elle avait plus 100 ans au compteur, qu'elle en paraissait 45 ou 50 et qu'elle m'avait invité à boire le thé chez elle, et cerise sur le gâteau, qu' elle me plaisait. Physiquement (osons aller jusqu'au bout).

Je pianotais sur mon smartphone

Oui

Mon rédac' toujours aussi curieux

Et alors ?

Moi

Elle mérite deux B. Bavarde et bandante

Le rédac' furax et curieux

Sans blague, tu déconnes ?

Moi

Non

Le rédac

Tu me dégoutes. Je te laisse. T'as intérêt à pondre un papier du tonnerre

 

J'ai gardé cette conversation secrète. Je n'ai jamais montré ces textos à Marie. On ne tue pas une histoire d'amour avec un dialogue de « mâles ».

Me croyez-vous si je vous dis que je l'ai laissé parler le premier soir, le second, le troisième, que Marie ne m'a pas lassé. Quel talent de narratrice elle avait ! Une sorte d'Alain Decaux en jupon avec la même vivacité dans le verbe, la même passion dans l'art de raconter.

Pas un instant je n'ai cru à un mensonge. Ca sentait le vrai, l'authentique. Même si l'idée qu'elle avait plus de 100 ans me paraissait folle.  Plus encore, son visage et son corps étonnamment juvénile m'incitait à aller plus loin que la bienveillance de mes oreilles et de mon regard.

L'envie de consommer et de consumer sa peau me titilla au quatrième soir.

Seulement je sortais d'une histoire douloureuse. Cela faisait 6 mois que je n'avais pas côtoyé intimement une femme. J'avais l'air de quoi avec mon abstinence d'une demi-année à côté de Marie et de son presque siècle de silence sensuel. D'un petit joueur. D'autant que son dernier amour c'était le Picasso  du coït et du « fall in love ».

Je voulais succéder à Rudolph Valentino. Et puis quoi encore !!!

Ca va les chevilles mon vieux en ce moment ?

J'étais en questionnement interne. Mon cerveau turbinait à fond. J'oubliais l'essentiel. Le moment présent.

Les femmes nous sont supérieures dans plusieurs domaines dont celui-ci : profiter de l'instant quand elles en ont décidé.

Marie avait décidé et se jeta sur moi. Pourquoi moi et pas les autres ? Pourquoi aujourd'hui et pas avant avec un autre homme ? Parce que je parlais le français, parce que j'avais cette fraîcheur, cette spontanéité ?

Parce que j'avais su m'intéressé à elle sans calcul au départ et qu'après, pris dans mes mathématiques personnels, elle s'amusa à brouiller mes émotions ?

Parce que le temps n'était plus au deuil mais à l'amour ?

Parce que le gel des passions ne pouvait durer une éternité ?

Parce que…. Parce que… Parce que ?

J'étais nu sans m'en rendre compte, allonger près d'elle. Marie exigea : cesse de te poser des questions et embrasse-moi. Embrasse-moi idiot !

La succession de Rudolph Valentino commençait et avec elle, la plus histoire d'amour de ma vie.

 

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