J’ai un caillou dans la tête.
Elsa Phoebe
Cher Autre,
Je me confie à toi parce que j'en éprouve le besoin. Je pense qu'il y a un énorme problème dans notre vie psychique. Une chose avec laquelle nous vivons depuis des années, sachant pertinemment que c'est là, mais ne faisant rien pour changer la situation. Non, non, non, ce n'est pas une autre “personne” ou un quelconque dédoublement de personnalité. Je t'entends déjà dire et répéter ce genre de conneries. Ne tombons pas dans la banalité, ni dans un vulgaire courant de mode souhaitant que les trois quarts des jeunes citadines soient habitées de tendances schizophrènes… Je vais te dire quel est mon problème: j'ai un caillou dans la tête.
D'abord formé de fils, puis de noeuds, la masse dense s'est durcie avec le temps et s'est transformée en caillou... Il rend difficile la connexion de mes cellules grises et me transforme en être timide, triste et terne. Le caillou bouche tout accès aux liaisons reliant le coeur et l'esprit, il nous empêche parfois de parler, de nous exprimer convenablement, de faire la conversation... de communiquer, simplement. Et puisque la marginalité réside dans l'incapacité de communiquer, nous devenons fous aux yeux des autres. Toi, moi, vous autres, nous sommes dans l'incapacité de nous connecter avec le reste du monde. Nous avons un caillou dans la tête.
Nous sommes intelligents. Ce n'est pas de l'orgueil mal placé, ni une démonstration maladroite de mon ego surdimensionné. Seulement, depuis l'apparition de notre caillou, notre cerveau ne fonctionne plus. Notre esprit critique nous fait défaut, notre éloquence foireuse nous fait vivre des situations délicates. Nous sommes pris de bégaiement, disons des choses que nous devrions taire et cachons des informations qu'il serait pourtant judicieux de dévoiler.
Alors quoi?
Comme toi, le matin, je me réveille tôt et je me lève tard. J'ai peur de sortir du lit, de combattre le poids des heures, d'affronter un visage, mon visage. Alors, je reste à macérer dans ma crasse et laisse le temps disparaître. Aujourd'hui, seulement deux heures. Je suis fière : c'est mieux qu'hier. Néanmoins, je n'ai aucune hâte à savoir si je ferais mieux demain.
Il faut rester philosophe. Qu'est-ce que la solitude, si ce n'est qu'un avant-goût de la vie ultérieure ? Malgré le poids de cette masse étrangère, restons placide : il faut vivre intensément. Adopter une démarche réflexive face à ses problèmes. S'accrocher à sa capacité d'émerveillement tant qu'on l'a et tout faire pour la retrouver s'il nous est arrivé de la perdre.
Alors voilà, voilà pourquoi nous avons l'air mal à l'aise en soirée. On nous regarde, on nous juge trop aphasique pour être sympathique.
“Elle bizarre, elle parle pas”.
S'ils savaient... Eux... Les biens pensant... S'ils savaient qu'en soirée, sur ce sofa, avec un verre dans chaque main et les lèvres scellées, nous ne jugeons pas. Nous lutons contre la culpabilité, le désespoir et le dégout de nous-même. Après nous avoir fait ingurgiter l'alcool, le caillou nous fera vomir, puis recommencer.
Cher autre, j'ai un caillou dans la tête, et je compte bien le voir se dissoudre. Si tu avais su, au lieu de me juger, peut-être que tu m'aurais parlé du tien.
Elsa, puisque en introduction tu demandes l'avis du lecteur donc mon avis, je trouve ce texte d'une très grande originalité dans le thème et d'une belle qualité d'écriture Quand à le présenter à l'orale, une chose est certaine: il engendera un grand sentiment de malaise. ce qui est sans doute ton but
· Il y a presque 8 ans ·Christian Le Meur
Merci beaucoup Christian, le texte a surtout un but réflexif. Je souhaite pousser l'autre à être plus compréhensif avec ceux qui l'entourent. Ceux dont il ne connait pas l'histoire.
· Il y a presque 8 ans ·Elsa Phoebe
ils font d'excellent traitements à base d'ultrasons. cela respecte la matière, les ondes épousent le caillou selon les lignes d'écoulement aero-dynamiques.
· Il y a presque 8 ans ·après, le caillou est tout propre et comme neuf.
je recommande vivement.
Hiwen