J'aime les lundis

praline

Aujourd'hui on est lundi. Je me lève soulagé. Sur la table de la cuisine tout est prêt pour mon petit déjeuner. Les corn flakes, le lait, le beurre et la confiture sont joliment posés sur la table. Comme d'habitude, maman s'est levée très très tôt pour tout préparer. Je l'entends parfois descendre tout doucement, j'ai envie de l'appeler mais ça ferait trop de bruit.

Là, elle doit être en train de dormir ou de faire semblant. J'espère qu'elle va bien et qu'elle respire encore. Papa dort à ses côtés, j'espère de tout mon coeur qu'il ne respire plus et qu'il est mort.

Sous mon bol, Maman m'a laissé un petit mot : "Je t'aime mon petit chéri. Passe une très bonne matinée. Je t'aime très très fort. Maman". J'ai envie de pleurer mais je me retiens.

Depuis ma rentrée au CE1, elle n'a plus le droit de se lever avec moi. Il a peur qu'elle me transforme en mauviette ou en tapette.

Plus que 4 heures et je vais pouvoir voir maman et la serrer fort dans mes bras. Elle est si belle et si gentille. J'adore son parfum qui sent si bon.

Heureusement il travaille beaucoup et ne rentre pas manger à midi. Il est médecin et tout le monde l'aime beaucoup. Mes copains adore aller chez lui pour se faire soigner d'une grippe ou ce genre de choses. Il les fait rire. Nathan m'a même dit que j'avais de la chance d'avoir un papa comme lui. Je n'ai pas répondu. Ca m'étonnerait qu'il veuille voir sa maman pleurer, voir un fou taper sur elle, avoir des claques sans faire aucune bêtise ou juste parce qu'il respire trop fort.

Maman m'a dit que pour les prochaines vacances, j'irais passer quelques jours chez mémé. Mémé, c'est la maman de maman. Elle est aussi gentille qu'elle sauf en plus vieille. J'adore allez chez elle mais je n'aime pas trop quand maman est seule avec le monstre. J'ai peur qu'elle ait peur, ou qu'elle ait mal, ou qu'elle meure. Et moi si elle meure, je veux être avec elle parce que Nicole, la dame qui nous donne les cours de religion à l'école, nous a expliqué que si on meure, on va au paradis. Je veux y aller avec elle parce que là-bas, je suis sûr qu'il y sera pas. Les méchants, ils vont en enfer.

A l'école, la maîtresse nous donne un devoir sur Charlemagne, elle nous dit de ne pas nous inquiéter, qu'on a vu toutes les questions en classe. Moi, je m'inquiète tout le temps pour maman. Charlemagne, je m'en fous.

J'aimerais bien tout raconter à mémé. Mais maman m'a dit de ne rien lui dire pour ne pas lui faire de la peine et l'inquiéter. Et si il y a bien une chose que je déteste c'est faire de la peine aux gens que j'aime. Peut-être que mémé me croirait pas, il est si gentil et souriant avec elle.

A l'école, je suis très copain avec Nathan et Jules. Nathan, il est un peu gros alors tout le monde se moque beaucoup de lui et Jules, il est souvent habillé comme l'as de pique parce que sa maman l'élève seul et n'a pas beaucoup d'argent. La chance.  J'aimerais bien pouvoir mieux les défendre mais j'ai beau manger de la soupe, je ne suis pas costaud. De toute façon j'aime pas la violence, j'en vois trop.

Ce soir on mange du poulet. Moi, j'essaie de me faire oublier. Maman aussi. Le monsieur à la télé nous donne toutes les nouvelles du monde et c'est pas gai. Lilou m'a raconté à l'école qu'on pouvait mourir étouffé en avalant les petits os du poulet. Alors chaque fois, j'espère, mais au dessert il est encore là. Et quand il est là, c'est comme si maman et moi, on s'arrêtait de respirer. On ne sait jamais quand il va se mettre en colère.  Très souvent, après nous avoir tapé et insulté, il fond en larmes, s'excuse et dit qu'il nous aime très fort. Au début je le croyais. Maintenant quand il fait ça, je le déteste encore plus et j'ai envie de lui cracher dessus.

Hier soir, il m'a tapé un peu plus fort que d'habitude. Ma tête a cogné le coin de la commode que mémé a offerte à maman. Je me suis évanoui. Maman a eu très peur et a beaucoup pleuré. Lui aussi. Le docteur de l'hôpital qui m'a recousu la tête a été très gentil. Peut-être que lui aussi, quand il rentre chez lui, il se transforme en monstre ? En tout cas, j'ai vu dans les yeux de maman quelque chose que je n'y avais encore jamais vu. De la colère.  D'habitude dans son regard, je ne vois que de l'amour ou de la peur.

Ca fait quelques mois que maman et moi on est parti de la maison. Maintenant on vit dans un petit appartement près de chez mémé. Je suis très très content. Maman a recommencé à travailler, elle dessine des sacs pour les dames et elle m'a expliqué qu'ils se vendaient dans plusieurs grands magasins. Je suis très fière d'elle. Tous les deux, on apprend à ne plus avoir peur, on apprend à être heureux. Maintenant j'aime les vacances et les week-ends, tous les jours de la semaine.

Je n'ai vu mon père qu'à deux occasions et j'étais accompagné par une dame. Je ne lui ai pas parlé. Il a pleuré. Je l'ai regardé sans bouger. Depuis il a déménagé son cabinet dans une autre région et ne demande plus à me voir. Pour moi de toute façon, il est mort.

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