J'aime les silences
aile68
J'aime les silences précieux des poèmes, le silence de Beethoven après une pure diction inspirée et généreuse, les feuilles mordorées de l'automne, c'est une saison qui sent bon l'eau de toilette des bonnes mamies et le talc à la violette. A l'heure du thé, on se réunit tous autour de la table ronde, dégustation de petits beurres, d'un Testley ou d'un Lipton avec un nuage de lait s'il vous plaît, un disque tourne sur la platine, il est loin le temps des chaînes-hifis, comment ça s'écrit au pluriel? Dehors la pluie a envie de s'inviter dans le petit salon bleu, on joue les donzelles, on joue les damoiseaux, on prédit le beau temps, la date des prochaines fiançailles, le bal de fin d'année. Et si on faisait tout coïncider, beau temps, fiançailles, bal de fin d'année, tous dans la grande salle au parquet si bien ciré, déambuler avec de longues robes apprêtées, utiliser le vocabulaire poli du dimanche, celui qu'on utilise devant les gens importants, les belles personnes, les invités d'honneur.
J'aime les silences précieux des chants lyriques, les instruments rares qu'on ne voit que pendant les concerts d'exception, j'ai toujours en tête des airs romantiques, sentimentaux, drôles de symbiose avec les courants d'air dans les coulisses des plateaux et des théâtres. Violes de gambe et autres trouvailles surprenantes, voix de contre-ténor, alto, contralto, toutes se mêlent savamment entre elles pour une chorale qu'on apprivoise comme le renard du Petit Prince, et la rose, doucement l'arroser avec soin. Je veux vous raconter une belle histoire qui ne se terminerait jamais, ce serait comme dans un beau rêve, une réalité teintée, opaque telles les vitres des voitures de luxe. Mais le luxe se cache aussi derrière des tenues simples, il n'en a que plus de succès, le luxe c'est un contre-ténor qui chante en plein été, en baskets et en bermuda, c'est véridique, allez voir je vous prie, Orlinski qui interprète à merveille un chant que je ne maîtrise pas mais qui m'épate au plus haut point, hiver comme été tandis que l'automne ressemble de plus en plus à un écrin doré, du même doré que mes sommeils qui s'assoupissent lentement au soleil de l'année qui se terminera bientôt sous les ors des anges et des présents lumineux des étrennes.