J'aime pas les pigeons
Francisco Varga
Je n'ai jamais aimé les pigeons. Je les ai toujours trouvés répugnants, sales et idiots avec leur démarche ridicule. Un pigeon, c'est comme un rat d'égout qui a des ailes. C'est plein de puces et ça chie partout, surtout en plein effort, au décollage.
Les pigeons m'ont toujours posé des problèmes. Je me souviens de cette fois, où sur ma mobylette, je remontais à Nice le Boulevard François Grosso. J'étais en retard et je savais que Nathalie n'aimait pas ça. L'accélérateur bloqué, à toute allure je remontais les files entre les voitures quand soudain, le trou noir.
Je me suis réveillé une semaine plus tard, plâtré de la tête au pied, des tubes dans chacun de mes orifices. J'ai appris d'un infirmier que j'avais percuté un pigeon qui descendait en rase motte le même boulevard. il n'avait pu m'éviter et ne s'en était pas réchappé. L'affaire avait fait un encart dans les pages intérieures de Nice Matin. Un vétérinaire avait été interviewé, témoignant de l'extrême rareté et surtout de l'improbabilité de ce genre d'évènement qu'il attribuait à un dérèglement du système nerveux de certains sujets, provoqué par l'accumulation de substances toxiques dans leur alimentation. Quant à mon cas, il était évoqué avec ironie, le journaliste se demandant si pour éprouver les probabilités je n'aurais pas mieux fait ce matin de jouer une grille de loto. Nathalie, elle, ne lisait pas les journaux. Elle, n'avait pas trop attendu et avait décidé de me quitter sans même chercher à connaitre ce qui avait bien pu m'arriver...Je n'avais pas attendu cet évènement pour détester les pigeons, mais cette fois j'ai commencé à vraiment éprouver de la haine envers eux et du mépris pour tous ceux qui les nourrissaient, provoquant des agglutinements de plumes grouillantes et roucoulantes... je hais les pigeons.
Plus tard, à Paris, cette fois ci, dans la cour du Louvres, non loin de la pyramide, j'attendais Nathalie, qui n'arrivait pas. Comme à son habitude, elle était en retard. Pas un petit retard qui s'excuse d'un simple sourire... non, un vrai beau retard de presqu'une heure... je savais que quand nous nous donnions rendez-vous elle savait pas etre à l'heure, ses retards étaient presque devenus pathologiques. Elle ne supportait pas d'attendre, pas plus que vingt ans plus tot mais parfois me faisait la surprise d'arriver de sa relative ponctualité, ruinant ainsi toute stratégie de contournement qui m'aurait permis de la prendre à revers en étant moi aussi en retard, mais un peu moins qu'elle... Cette fois-là, j'usais mes chaussure en arpentant le passage couvert du Louvre, comptant et recomptant les pavés entre le trottoir coté Rivoli et l'entrée de la cour. Je n'osais non plus m'éloigner, ne voulant me heurter à l'impatience de Nathalie qui, si elle ne m'avait pas tout de suite apercu serait partie à ma recherche dans une direction aussi improbable que la raison de son délai.
J'en étais à mon dixième aller et mon onzième retour, ou le contraire.... mes pieds me faisaient mal et je me sentais à l'étroit dans mes mocassins quand sortant du Porsche j'entendis un cri. - Attention - je crois... et puis le choc et le noir....je me réveillais sur le lit de camp d'une infirmerie improvisée. Pour la seconde fois de mon existence, je m'étais fait percuter par un pigeon. Éblouit par le reflet d'un miroir de la pyramide astiquée du matin même, il avait loupé son approche et s'était rompu le cou, me plantant son bec dans mon crane. Nathalie, quand elle avait fini par arriver, ne m'avait pas vu et avait passé une bonne partie de la soirée à me chercher arpentant l'avenue de l'opéra comme si j'avais quelque chose à faire dans ce quartier... Le soir, ne me voyant pas rentrer, elle consumait sa colère dans le deux-pièces de sa sœur qui ne m'avait jamais aimé et lui conseillait de faire ce à quoi elle aurait dû se résoudre depuis longtemps.... Pendant ce temps, j'étais évacué vers les urgences de l'hôpital Pompidou..... Incapable de la joindre, Nathalie ne rechargeait jamais son téléphone ou le maintenait presque toujours en position silencieux. Je ne suis même pas certain que quelqu'un ait pensé à appeler mes proches comme ils disaient. Le fait que nous ne soyons pas mariés semblait poser problème au personnel administratif qui avait insisté pour que je leur communique également le numéro de téléphone de ma mère, désormais sourde, dans sa maison de retraite du Périgord.....Quand j'ai ouvert les yeux, et qu'une aide-soignante hilare m'a expliqué ce qu'il m'était arrivé, celle-ci n'a pas compris mon accès de colère envers les pigeons.......
Je suis rentré chez nous au bout de vingt-quatre heures.... Nathalie avait fait changer les serrures et m'avait laissé un mot que le concierge de notre immeuble m'avait remis de façon aussi solennelle qu'un huissier qui ouvre l'enveloppe annuelle du tirage du sweepstake. Elle était partie, me demandait de ne pas la chercher et d'encore moins la poursuivre si je retrouvais sa trace. Elle avait décidé de prendre un peu d'air et déposé trois valises avec les affaires qu'elle estimait me revenir dans le coffre de la voiture.
J'ai quitté Paris depuis bientôt quinze ans, et la France aussi par la même occasion. Le jour où Nathalie ma mise à la porte, j'ai été jouer une grille de loto au café du coin de la rue. Je n'ai pas gagné le gros lot, mais suffisamment pour prendre le large. Bien sûr, à Paris, je n'aurais pas tenu trois ans... mais la..... À l'embouchure de la Somone, tout près du lac Rose, je regarde les derniers pécheurs rentrer, tandis que de l'autre côté de la rive, quelques centaines de flamands prennent ensemble leur envol.
Nathalie m'attend à la maison. C'est pratique ces plains pieds coloniaux, surtout quand on se déplace en chaise roulante. Bien sûr, elle ne peut pas aller très loin... rien n'est prévu pour elle dans ce bled.....Sa sœur ne viendra pas cette année.... elle ne peut toujours pas me supporter.... pourtant, c'est bien elle qui conduisait et qui a voulu éviter ce pigeon stupide, posé sur la route, qui ne semblait pas vouloir décoller......Je n'aime pas les pigeons... non vraiment pas....ce sont des rats avec des ailes......
Un jour sur le marché de Bergerac j'ai pris une véritable claque d'un pigeon maladroit, mais heureusement sans conséquence ! J'ai bien aimé cette nouvelle même si je n'ai nulle haine envers les rats et les pigeons.
· Il y a presque 10 ans ·yl5
Merci.... je connais bien bergerac... où j'ai passé quelques moments délicieusement gastronomiques... je n'ai nulle haine envers les pigeons.... mais leur grouillement un matin à paris m'a inspiré ce texte...
· Il y a presque 10 ans ·Francisco Varga