3 - Le poulet
metis
« Le mouvement des Gilets Jaunes s'intensifie. Organisés depuis une semaine sur la toile et dans les rues, nous assistons à une diminution des chiffres de dégradations et de débordement à Paris comme en Province . »
[des grésillements de changement de station de radio]
« Déjà rejoins par de nombreuses associations, la rumeur se répand qu'une ouverture encadrée aux syndicats est en pourparlers. »
[une Gilet Jaunes interviewé dans la rue ] « Les Gilets Jaunes font peur, les médias, le gouvernement, ont brandi les menaces d'insurrection violente liée à un mouvement désorganisé mais aujourd'hui c'est fini, un vrai pouvoir d'opposition se construit pavés après pavés. Les pavés n'ont jamais été là pour casser les vitrines mais bien pour renforcer et solidifier notre mouvement. La France et un pays de pavés, rien ne pourra nous arrêter. »
Les témoignages, reportages, analyses, décryptages, tournent en boucle sur les médias de France et du monde depuis des mois. Sujet unique qui implique et/ou inquiète le peuple tout entier.
Je coupe le son de mon poste radio, j'ai besoin de faire le vide avant de descendre de mon véhicule banalisé. Derrière ma vitre teintée j'observe une sublime villa qui surplombe une gigantesque piscine à débordement. Je roule depuis 3h du matin, heure à laquelle j'ai dû me séparer de mon dieu du stade pour être une des premières sur les lieux. L'architecture moderne et design du bâtiment contraste avec l'allée boisée et ornementée de statues du XVIIIème, ambiance châtelain.
La boite de Tic Tac avalée en chemin cachera les vapeurs d'alcool mais il faudra une concentration immense pour faire disparaître celles qui voilent mon esprit. Dans quelques heures ils seront tous présents et j'ai plutôt intérêt à être convaincante. Ils se foutent de savoir qu'une enquête prend du temps et de la patience, ils voudront un coupable et vite clore, cette sombre affaire avant que les médias ne s'en empare. Ma respiration s'accélère et l'oxygène apaise mon cerveau, je viens d'apercevoir Lucas, mon officier. Ses compétences n'ont d'égal que ses qualités relationnelles. Il est ma vitrine. Il gére le politiquement correcte et le publiquement acceptable, toutes ces fadaises qui m'empêche de mener mes enquêtes. Et quand ce taf est fait, il a l'œil aiguisé de l'analyste aguerri. Consciencieux, il dépouille les preuves et les témoignages avec rigueur, objectivité et une expérience redoutable. C'est le privilège de travailler à la division criminelle, on est forcément entouré des meilleurs.
« Bonjour Directrice, vous êtes rayonnante pour un samedi matin.
_ Tu n'essaie même plus de cacher ton ironie Lucas, notre relation s'encroûte.
_ Disons que je n'ai pas beaucoup dormi cette nuit et que ça me rend grincheux.
_ Grincheux et négligent, où est mon café ? Toi qui es si prévenant habituellement.
_ Ava, je préfère te prévenir, ils sont tous à couteau tendu à l'intérieur, et ce n'est pas un mauvais jeu de mot, il n'y a pas une minute à perdre.
_ Ok, ok, j'ai compris, je vais poser mes lunettes de soleil, je joins, le geste à la parole, lorsque Lucas arrête ma main qui déposait mes Ray Ban entre mes boucles de cheveux noués en chignon arrogant.
_ J'éviterais si j'étais vous, les valises sous vos yeux portent toutes la culpabilité de votre folle nuit.
_ Dans ce cas, jouons-là Women in Black. »
Je sers des mains, des mains et encore des mains. Que d'hommes en costume au mètre carré. Tous y vont de leurs ordres, remarques, conseils et avertissements superflus. Se montreraient-ils aussi oppressants et autoritaires face à un homme ? Éternelle question que j'ai arrêté de me poser il y a des années. Pour devenir, mais surtout rester responsable de la Direction inter-régionale de la Police Judiciaire d'une puissance telle que la France, il faut être aussi puissante quelle. Et, ne leur déplaise, la puissance n'a pas de sexe. Pour dominer, il ne faut craindre rien ni personne, et ça mon maître me l'a déjà enseigné en me volant ce que j'avais de plus cher.