J'avais six ans, c'était à Verdun...
versenlaine
C'était une de ces interminables journées de juillet, où le ballet des vacanciers impatients donnait aux routes l'illusion du chaos. Les heures défilaient, suivant les lignes blanches, au compteur du passé. Comme chaque année, le véhicule familial nous tractait, mes parents, mon frère et moi, vers de nouveaux horizons. Où allions-nous ? Je n'en avais pas la moindre idée. Coincé dans mon siège, je me contentais d'épier un paysage qui se creusait, peu à peu, de douces vallées. C'est alors que nous nous perdîmes dans des chemins étroits, parcourant les champs, jusqu'à un petit bourg à l'église austère, entourée d'un cimetière aux tombes plus usées que leurs propriétaires.
Mes yeux se portaient sur une bâtisse de pierre, datant d'un autre âge, et portant sur la porte le sigle « gîte de France ». Au vu des mines, peu réjouies, qu'affichaient mes parents, je compris qu'il s'agissait là de notre maison de vacances. À l'heure où d'autres brûlaient sous le soleil du midi, j'étais catapulté en pleine Meuse, au cœur d'un village désert, avec quelques renards et corbeaux pour seuls voisins !
De nouveau, le programme était chargé de marches, de visites, et d'histoire. De Saint - Mihiel à Verdun, en passant par Vaucouleurs et Domrémy, nous nous promenions à travers le temps, de Jeanne d'Arc aux poilus. Du haut de mes six ans, cette « Meuse endormeuse » que me décrivait Péguy, semblait paisible et agréable, sculptée de généreuses courbes peintes aux couleurs des saisons. Une délicate impression qui me quitta par un bel après-midi.
Je me trouvai alors en face d'un champ de croix, où germaient des pétales de regrets. En toile de fond, un épouvantail de béton veillait à faire fuir les haines, et conservait en son sein un horrible spectacle … Derrière des vitres salies par le temps, des visages sans chair, fracassés, me fixaient sur un lit de fémurs. Des nuits durant cette scène m'a hanté. J'avais six ans, lorsque, pour la première fois je découvris Verdun. Je n'avais alors qu'une question en tête, comment avions nous pu en arriver là ?