Je m'appelle Marceline

praline



Je m'appelle Marceline, j'ai 57 ans et je suis insignifiante, transparente, absente. Mais cette semaine, pour la première fois depuis que  Maman est morte, ça va faire 44 ans 4 mois et 12 jours maintenant, je me sens vivante, ardente, mordante. Et ça grâce à Madame Munsch du 3ème.

Maman est partie un mois de mai. Depuis, je survis. Je me suis mariée très vite à 17 ans parce que Papa a suivi Maman 3 ans après elle et je me suis retrouvée seule. Elle était notre soleil et sans elle, c'est comme si tous les jours étaient recouverts d'un épais brouillard triste. Comme si cette tristesse sur mon cœur ne voulais plus jamais partir.

Mon mari est là sans l'être. Pour lui, je suis un meuble. Il n'est pas méchant mais comme tous les autres, il sait que je ne me mets jamais en colère, que je suis gentille. Oui c'est ça, gentille. Et il en profite, comme tout le monde. Alors de femme, je suis surtout devenue sa bonne.  Au travail, c'est pareil. Je travaille dans l'administration où la concentration d'imbéciles pourrait faire l'objet d'une étude scientifique.

Tout le monde le sait, que je ne dirais rien, même si c'est injuste que j'ai à traiter ces dossiers et que mes collègues en face ne le font pas parce qu'elles estiment que ce n'est pas dans leur attribution. Ces collègues et mes responsables qui me prennent pour une gentille idiote. Certaines sont méprisantes. Normal, forts avec les faibles, faibles avec les forts.  Je m'en fiche, elles sont tellement bêtes.

Maman n'a pas eu le temps de m'expliquer comment réagir en cas de conflit ou d'injustice. Elle ne m'a pas appris à me mettre en avant, à m'affirmer. Elle n'était qu'amour. Par contre, je n'ai jamais oublié de bien me brosser les cheveux comme elle me l'a appris. Ils sont longs et beaux comme les siens. Je porte le même parfum qu'elle comme ça elle est un peu avec moi. Et mes collègues, celles qui sont bienveillantes, me disent que je suis vraiment une belle femme. Ca me fait sourire. Ca me rappelle maman qui me disait tout le temps que j'étais jolie. J'aimerais tellement la réentendre et je donnerais tout pour qu'elle me serre encore une fois dans ses bras.

Tout a changé au début de cette année quand Mme Munsch s'est installée dans notre petite résidence, au 3 ème juste au dessus de chez nous. Et Mme Munsch, c'est un vrai personnage. Au début, elle m'intimidait beaucoup parce que je n'ai pas l'habitude qu'on s'intéresse autant à moi. Je me suis rapprochée d'elle, je l'ai emmenée au marché, je me suis promenée avec elle le dimanche, et c'est devenue une amie. Pour moi c'est difficile de me lier avec les gens parce que Bernard ne veut pas que je ramène du monde à la maison et n'aime pas sortir. En fait il n'aime rien faire sauf regarder la télé. Alors l'arrivée de Mme Munsch  a été comme une petite révolution dans ma vie. Mme Munsch a l'âge qu'aurait eu Maman et c'est comme si elle avait un pinceau dans la main et qu'elle remettait de la couleur dans ma vie, qu'elle dissipait tout le brouillard qui s'était accumulé. Elle m'a appris ce que Maman n'a pas eu le temps de m'apprendre.

Depuis son arrivée, c'est comme si le sang coulait à nouveau dans mes veines. Et que cette colère, cette fichue colère qui habitait en moi trouvait enfin une porte de sortie. Et depuis, j'ai quitté Bernard, j'ai dit merde à mes collègues et à mes responsables, je vis, je suis VIVANTE, HEUREUSE et même AMOUREUSE pour la première fois de ma vie.

Ma petite maman, je pense toujours autant à toi mais maintenant j'ai envie de vivre le plus intensément possible avant de te rejoindre. Merci de m'avoir envoyé Mme Munsch. Je t'aime.






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