Je me demande
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Il faut vous féliciter d'avoir été diagnostiquée aussi jeune, car il faut en moyenne huit à dix ans pour poser le bon diagnostic, sachant que quarante pour cents de dépressifs sont des personnes atteintes de troubles bipolaires qui s'ignorent, et qu'un trouble bipolaire sur quatre non soigné mène au suicide, sans parler des ravages familiaux et socioprofessionnels.
"On ne guérit pas d'un trouble bipolaire", me dit-elle en me tendant un mouchoir. "Il faut bien vous mettre cela dans la tête. Il vous faut suivre un traitement à vie, sinon vous ne pourrez éviter les rechutes et leurs dommages collatéraux de plus en plus sévères."
Dans ma tête c'est le chaos. Malgré un certain soulagement de pouvoir nommer cette lutte, je réalise que j'aurai besoin de béquilles ma vie durant. Il n'y a pas une victoire, ni même une défaite. Ma vie sera ponctuée de victoires et de défaites, un vaste champ de bataille où il me faudra combattre sans cesse.
J'ai choisi la vie – Marie Alvery et Hélène Gabret
22/11/14
Je me demande comment serait la vie, sans.
Je me demande quel serait mon caractère, ou, disons plutôt, quel est le vrai parmi tous ces masques ?
Je me demande sur quoi on se disputerait. Tout comme je me dis que si un jour, on parvient à m'aider à réguler ces humeurs vives et violentes, alors on ne se disputera plus. On vivra heureux, tout nous semblera bien insignifiant comparé à mes crises, l'angoisse ou la haine, les objets qui volent et mon corps de jeune femme pas épaisse, ce corps gonflé d'adrénaline qu'il peine à maîtriser tant le fauve est vil.
Oui, c'est certain, si un jour je vais "mieux", alors on sera bien, car outre ce trouble, nous ne nous disputons pas.
On a prit cette habitude, les crises étant si intenses, que le reste ne nous semble alors que peu important : voiture, ménage, nourriture. Oui, sans... on serait heureux, très probablement.
Je me dis que sans cela, et sans mon agressivité, on serait bien. Je me le dis pour oublier qu'il y a l'autre face.
Le fait qu'un couple ne peut survivre éternellement ainsi.
Notre couple.
Je sais qu'il fait ce qu'il peut, prend sur lui, s'engage dans mes thérapies et me soutiens, je sais qu'il lutte, que cela l'affecte douloureusement, crises après crises, cette violence qui terrifie, qui le terrifie autant que moi.
Je sais qu'un jour, peut-être, notre couple volera en éclats, et ça ne sera pas à cause d'une infidélité, ou d'un manque d'amour.
Ça sera parce que ce trouble à la con aura gagné, et terminé de faire s'écrouler ce qu'il y a beau dans ma vie.
J'ai dévalisé la cuisine hier. C'est parti d'un rien. Un détail à la con qui a terminé en effet boule de neige.
Je bouillonne la plupart du temps, habitée par une énergie dont je ne sais jamais si elle me tirera vers le haut ou vers le bas.
Je ne m'en souviens même plus.
Je sais juste que c'était un détail ridicule. Je ne sais pas plus pourquoi j'ai explosé. Je ne sais de quoi on parlait. Je sais juste que les émotions étaient trop fortes, et que je n'ai su les gérer, les contrôler.
J'ai tenté de prendre sur moi, jusqu'à ce que ça devienne trop fort et que je ne parvienne plus à gérer la lave en moi. J'ai poussé le pot d'eau et commencé à hurler, me levant pour fuir dans la cuisine tel un fauve. Il m'a rattrapée, tenté de me maintenir, tandis que la bile se déversait, la haine, une éruption incontrôlable.
Je me suis dégagée, gangrénée par l'adrénaline, j'ai senti l'espace d'une seconde que je venais de craquer, qu'il n'y avait nulle raison à cela, nulle raison justifiée. Je l'ai senti furtivement alors que je renversais le meuble, projetant des objets dans tous les sens. Je l'ai senti furtivement, alors que lui explosait également, épuisé par mes crises, leur répétition, leur intensité grandissante.
J'ai balancé des babioles après avoir balayé le meuble, et me suis finalement assise devant mon bureau, fantomatique.
J'ai déconnecté, comme si la crise avait été un passage obligé, le seul moyen de me calmer, me calmer réellement.
Il a commencé à ramasser les débris de ma guerre froide, balayer le café en poudre étalé sur le carrelage alors que je réalisais soudain ce que je venais de faire. Atterrissage à retardement. Soudain, je redeviens moi-même.
Je réalise ce que le trouble venait de me faire faire. J'ai revu la scène dans ma tête, sans comprendre pourquoi, sans comprendre pourquoi je n'étais parvenue à réagir, me retenir, empêcher le volcan de ne tout détruire.
Et face à cette impuissance, les regrets qui déjà me gonflaient de culpabilité, j'ai explosé en sanglots, sur ma chaise, vidée de cette tension qui sans cesse revient et me dévore. Bourreau de mes propres émotions. A la merci de leur intensité.
« …pardon !... »
Mais le mal était fait.
Et ne me restait, c'est sûr, que mes yeux pour pleurer.
Combien de crises encore avant qu'il n'aie raison de nous, avant qu'il me demande de m'en aller, se protégeant de ce poison qui me bouffe de l'intérieur, se protégeant de ma violence, de mes délires, de mes craquages, de ce quotidien houleux qui jamais n'offre de pause ?
Je l'ai eu au téléphone ce midi.
Alors que je me suis remise, je sens que lui ne parvient plus à suivre. Il est éreinté, subissant d'une autre manière, mais subissant tout autant.
La culpabilité me bouffe de parts et d'autres. Je m'en veux, alors que je sais que j'ai pas su réagir, que je ne pouvais pas réagir.
Je suis ma propre marionnette. Je suis un pantin qui tente de s'accrocher au cœur des montagnes russes. Je couve un ennemi vicieux en moi, un ennemi qui finira par avoir ma peau.
Sur internet est écrit noir sur blanc : «le trouble bipolaire est le trouble psychiatrique avec le plus haut risque de suicide à long terme - de l'ordre de 15 % sur la vie entière, soit trente à soixante fois plus que la population générale.»
Je repense à la semaine dernière. A mon errance autour de la gare. Aux ceintures attachées entre elles. A ma lâcheté. Le refus de souffrir davantage. De souffrir pour me libérer. Je repense au moment où je les ai décrochées, et en boule sur le canapé, les larmes amères et dégueulasses.
Je me demande quel sera l'avenir. Je me vois seule, mon état dégradé, peut-être enfermée dans un HP, shootée de neuroleptiques, craquant parfois, avec trois infirmiers pour me maîtriser et me jeter dans ces salles d'isolement que j'ai déjà connues. Je me vois seule, car personne ne peut me supporter au long terme. Je me vois folle, incapable de comprendre, rongée, bouffée par quelque chose contre lequel je ne peux rien.
Je me sens d'humeur maussade en cette heure, presque perdante à l'avance, et j'estime qu'il y aurait de quoi.
Je ne sais rien de cette loterie russe, de ces humeurs qui s'imposent et virevoltent.
Je ne sais rien de comment me calmer, comment prévoir, quoi faire. J'attends le RDV, la semaine prochaine, où mes soignants vont adapter mon traitement. En urgence. Changer le neuroleptique, ou lui ajouter quelques aides chimiques. Qu'importe j'avalerai n'importe quoi.
Tout cela avant que je ne craque trop. Avant les conséquences irréversibles. J'ai peur que jamais aucune molécule ne me convienne, j'en ai déjà tant essayées. J'ai peur et je me sens impuissante, avec cet ennemi qui fait parti de moi, et qui jamais ne partira. Car non, ça ne se guérit pas. Il faut apprendre à vivre avec et accepter que notre vie sera toujours délicate, ce qui me semble au-dessus de mes forces. Je ne veux pas vivre avec ça jusqu'au repos éternel. Plutôt mourir maintenant, me dis-je souvent. Je ne me sens pas capable de survivre toute une vie avec ce monstre en moi. J'aimerais qu'on trouve quelque chose, qu'ils fassent des recherches, qu'ils découvrent n'importe quoi qui puisse apaiser réellement, et rendre la vie des bipolaires moins hachée. Moins violente. Moins ratée.
Je me demande ce que ça fait, d'avoir juste des soucis avec la voiture, ou l'immobilier. Le ménage, ou la bouffe.
D'avoir des disputes en couple sur des broutilles, l'un est trop absent, l'autre est fatigué. Se disputer sur des détails à la con. Se haïr pour un rien.
Je me demande ce que ça fait, de vivre, sans ce marionnettiste, ce fauve. Sans cette violence, cette tornade émotionnelle, sans ce dictateur qui nous marche dessus avec ses semelles vernies.
Comment c'est la vie, sans bipolarité.
Je me le demande souvent aussi.. Courage. Les paroles d'une chanson des Imagine Dragons résonnent si vraies à mes oreilles :
· Il y a environ 10 ans ·"I'm taking a stand to escape what's inside me.
A monster, a monster,
I'm turning to a monster,
A monster, a monster,
And it keeps getting stronger.
Can I clear my conscience,
If I'm different from the rest,
Do I have to run and hide?
I never said that I want this,
This burden came to me,
And it's made it's home inside "
Petite Plume Volcanique